Dans des billets précédents, j'ai été amené à expliquer que le raisonnement logique reposait sur le principe de non-contradiction, qui consiste à éviter la contradiction, et qu'en même temps sa méthode était de s'efforcer de contredire les diverses positions présentées pour en éprouver la valeur.
Au fil des réactions, j'ai eu l'occasion de constater que ces deux points, pourtant fondamentaux,étaient parfois mal compris; et il est vrai qu'exclure la contradiction et en même temps la promouvoir peut paraitre... contradictoire.
Et ceux qui comprennent l'importance de la cohérence en arrivent à s'étonner de cette recherche de la contradiction, et ceux pour qui il importe de soumettre sa pensée au discours contradictoire des autres en viennent parfois à refuser l'idée d'un "principe de non-contradiction".
Cependant la "dispute" repose, comme souvent, sur une confusion : et il n'y a pas d'incohérence à soutenir à la fois les deux choses. C'est ce que nous allons voir.
Le principe de non-contradiction, rappelons-le, nous indique seulement qu'une pensée ne peut avoir de sens qu'à la condition qu'elle ne s'annule pas elle-même. Or une contradiction interne affirme et nie à la fois la même chose : elle dit "A" puis "non-A" dans un même mouvement, de sorte que l'on ne peut plus saisir ce qu'il faut en comprendre. Comme lorsque l'on dit "le carré est rond" ou "le sud est au nord" ou "le segment de l'hypothénuse est courbe en point B". Bref une contradiction est une expression qui n'est plus rendue compréhensible
C'est uniquement contre cela que nous avertit le principe de non-contradiction. Et c'est d'ailleurs un principe que l'on suit toujours plus ou moins consciemment. Si notre conjointe (ou conjoint) nous explique, désolé(e), qu'il (ou elle) doit s'absenter pendant un long week-end pour un séminaire sinistre à Maubeuge, et que, le lendemain, elle (ou il) souligne combien cela l'ennuie de devoir partir en Charente-Maritime, il y a fort à parier (pour peu que vous connaissiez un peu la géographie) que cela vous étonnera et que vous ne comprendrez plus : Maubeuge n'est pas en Charente-Maritime, et on a rarement vu un séminaire se passer en même temps à deux endroits différents. Bref, il y a contradiction. Et cela, c'est louche!
Pour qu'on puisse le comprendre, il ne faut donc pas que le discours dise deux choses contraires : il doit être cohérent. Et c'est tout ce que demande le principe de non-contradiction. Il ne faut pas "se contredire" (établissons donc que c'est là le sens 1 de cette expression).
Pour autant, il peut être utile de "porter la contradiction" à quelqu'un, c'est-à-dire de porter une parole contraire à celle de quelqu'un d'autre : essayer de réfuter ce qu'il affirme ou de défendre une position contraire. Ainsi, avec un nombre suffisant d'indices, vous pourriez essayer de "porter la contradiction" aux assurances de fidélité de votre conjoint(e), en lui présentant les raisons que vous avez de ne pas le (ou la) croire.
Par une de ces faiblesses du langage dont nous devrions être habitués, il se trouve que "porter la contradiction" peut aussi plus simplement être désigné par le verbe "contredire". De sorte que si votre conjoin(e) se contredit (au sens 1), vous pouvez vous appuyer sur cette contradiction pour contredire (au sens 2) ses déclarations d'honnêteté.
Et vous voyez que l'on peut (et même l'on doit) à la fois refuser la contradiction (au sens 1) et pratiquer la contradiction (au sens 2); et même que pour valablement s'opposer à un discours, il est mieux de souligner les contradictions internes qu'il recèle et qui, si elles sont exactes, signalent son erreur.
Vous suivez jusque là? Non, alors relisez plus lentement...! Oui? Bon, alors accrochez vous, car on va complexifier encore un peu!
Comme vous l'imaginez sans doute, le bon philosophe ne va pas se contenter de défendre sa position. Il va essayer, de lui-même, d'en voir les faiblesses : il va donc en éprouver la valeur, et, pour cela, il va "se dédoubler" et s'efforcer de se porter la contradiction à lui-même. En d'autres termes, il va "se contredire". Et là, si vous avez bien suivi, vous aurez compris, qu'il va se contredire pour s'assurer qu'il ne se contredit pas....
Je vais trop vite? Alors il suffit de décomposer : il va se contredire (au sens 2) : il va essayer de prendre une position contraire et se faire des objections à lui-même. Mais il fait cela pour s'assurer qu'il ne se contredit pas (au sens 1), cad pour vérifier la cohérence de sa position, pour voir s'il peut répondre à ces objections qu'il se fait.
Comme il est ennuyeux que les limitations du langage nous conduisent à des horreurs formelles comme celles-ci : "il faut se contredire pour ne pas se contredire!". Et pourtant, si vous avez bien suivi, vous voyez qu'il n'y a pas contradiction, car, dans les deux cas, le mot ne signifie pas exactement la même chose.
Conclusion :
1) Observer rigoureusement le principe de non-contradiction, ce n'est pas refuser le dialogue et la rencontre d'idées contraires. Mais c'est se souvenir que cette rencontre sert à tester la solidité et la cohérence des positions -et donc à voir si nous avons bien observé ce principe.
2) Si vous voulez devenir meilleur dialecticien, gardez toujours à l'esprit qu'il suffit de se fixer sur le sens des mots, et non sur les mots eux-mêmes pour éviter les confusions. Mais il est vrai que ce n'est pas toujours très facile!