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Billet de blog 8 juillet 2009

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La chaine des vérités (2) : "La connaissance est possible"

2. "La connaissance est possible" Ce qui est irréel n'est pas réel. Ce qui est faux n'est pas vrai.Pour cette raison, le postulat fondamental de toute recherche est encore et toujours le principe de non-contradiction.Car qu'est-ce que se contredire? C'est simultanément affirmer et nier la même chose : c'est donc détruire tout sens compréhensible à ce que l'on dit. C'est pourquoi la contradiction est proprement une absurdité : une chose que l'on ne peut pas "entendre". 

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2. "La connaissance est possible"

Ce qui est irréel n'est pas réel. Ce qui est faux n'est pas vrai.

Pour cette raison, le postulat fondamental de toute recherche est encore et toujours le principe de non-contradiction.

Car qu'est-ce que se contredire? C'est simultanément affirmer et nier la même chose : c'est donc détruire tout sens compréhensible à ce que l'on dit. C'est pourquoi la contradiction est proprement une absurdité : une chose que l'on ne peut pas "entendre".

Le principe de non-contradiction s'explique par la cohérence de la réalité : puisque tout ce qui est réel est dans la réalité, aucune chose réelle n'empêche l'existence d'une autre chose réelle - sinon elle n'existerait pas. Ou, pour le dire autrement, puisque rien n'est, en dehors de la réalité, la réalité est une et tout discours qui établit une dualité irréductible dans le réel nie cette unité et établit deux "réalités" absolument contraires, ce qui est absurde, puisque ce qui est contraire à la réalité n'est pas réel.

Ainsi peut s'expliquer le principe de non-contradiction, mais il ne faudrait pas croire qu'il y a là une démonstration de sa vérité. ce principe reste un postulat : on ne peut rien démontrer sans l'utiliser; et puisqu'il faut le poser à l'origine de tout raisonnement, on ne peut conclure sur son affirmation. Pour autant, pour cela même que l'on ne peut rien démontrer sans lui, c'est un postulat absolument nécessaire. Il n'est d'ailleurs jamais démenti par les faits. Son statut de postulat n'équivaut donc pas à une forme d'incertitude radicale sur sa vérité.

C'est donc en gardant à l'esprit ce principe discriminant du vrai et du faux que nous pouvons réfléchir à cette proposition : "la connaissance est possible". Cependant, avant d'en examiner la vérité, il faut commencer à comprendre ce qu'elle implique, et, pour cela, en éclaircir le sens.

1ière utilisation de la dialectique : l'éclaircissement de la pensée.

Qu'est-ce que la connaissance? Il est difficile de répondre immédiatement à une telle question. On voit que c'est une pensée, et une pensée faite pour porter un sens, une signification. On comprend même assez vite qu'elle doit avoir une relation avec la vérité. Mais quelle relation exactement? Essayons d'approfondir ce point, et nous verrons où il nous mène.

Peut-il y avoir une connaissance autre que vraie?

Pour le savoir, on peut examiner, dans l'usage, ce que l'on entend par ces mots - et ainsi clarifier le concept.

Il y a des choses que l'on croit savoir, et donc on s'aperçoit ensuite que c'était faux. Par exemple, on a longtemps cru savoir que la terre était au centre de l'univers; puis on s'est aperçu que ce n'était pas le cas.

Doit-on malgré tout appeler cette croyance une connaissance, puisque l'on a pu penser que c'était vrai?

Examinons cette hypothèse, et voyons ce qui s'ensuit (ce qui est déjà de bonne dialectique).

Si on admet que l'on peut appeler cela une connaissance, on sera obligé de dire que les anciens connaissaient ou savaient que la terre était au centre de l'univers. Mais dire une telle phrase suppose, de fait, que c'est vrai et que la terre est bien au centre. La preuve est qu'une personne qui ne saurait pas ce qu'il en est et qui entendrait dire que les anciens savaient cela en concluerait que l'on veut dire qu'ils avaient raison, et que c'est encore et toujours vrai.

Le fait même de dire "connaissance" et "savoir" suppose donc toujours que le contenu de pensée est vrai, c'est-à-dire, d'une manière ou d'une autre, conforme à la réalité. (Je précise : "d'une manière ou d'une autre", en raison des différentes espèces de vérités, mais ce point sera éclarici dans le 4ième chapitre).

Une connaissance fausse n'est donc, en réalité, qu'une fausse connaissance : c'est une apparence de connaissance, une illusion, mais par une réelle connaissance. La vérité est la qualité commune à toute connaissance réelle - et donc à toute connaissance au sens propre et légitime du terme.

"La connaissance est possible" signifie donc "la connaissance de la vérité est possible", parce qu'il n'existe pas d'autre connaissance réelle que celle de la vérité - et si la vérité n'est pas connaissable, il n'y a pas de vraie connaissance du tout.

Mais si la vérité est une qualité nécessaire, est-ce une qualité suffisante pour faire de la pensée une connaissance? Il ne semble pas. En effet, on peut bien dire quelque chose par hasard, sans savoir que c'est vrai, et que ce soit vrai. Mais puisqu'on ne savait pas que c'était vrai, on ne pourra pas appeler cela une connaissance. On doit donc en déduire que la connaissance nécessite non seulement que l'on pense la vérité, mais surtout que l'on sache que c'est la vérité. Autrement dit, savoir, c'est savoir qu'on sait, et donc aussi être capable de justifier ce que l'on sait.

En résumé, qu'est-ce donc que la connaissance? C'est une pensée qui porte en elle la compréhension de la réalité telle qu'elle est en elle-même, de manière consciente et assurée. Et l'absence de connaissance - que l'on appelle ignorance - est le contraire. Il peut d'ailleurs en avoir à différents degrés, en fonction des paramètres qui sont niés dans la définition précédente. Ainsi, il est possible de ne pas comprendre - mais s'en apercevoir : c'est l'ignorance consciente. Il est possible aussi de ne pas comprendre, sans s'en apercevoir : c'est l'ignorance qui s'ignore elle-même. Il est possible également de penser vrai, et croire pour cela savoir quelque chose, mais se rendre compte ensuite que l'on ne sait pas vraiment pourquoi c'est vrai. On parle alors plus souvent de simple opinion, même si c'est toujours une forme d'ignorance, mais une ignorance moins handicapante.

Bref, nous avons là, semble-t-il, mieux compris tout ce qu'implique le terme de "connaissance".

"La connaissance est possible" est un énoncé général : il signifie que "la connaissance, en soi, est possible", c.-à-d. que rien, dans la nature même de la connaissance, telle que nous l'avons définie, n'en empêche l'existence. Mais il ne signifie pas qu'aucune circonstance extérieure ne peut l'empécher. "La connaissance est possible" est une proposition comme "une maison sur piloris est possible", elle ne prétend pas que tout le monde sait tout, de même que tout le monde n'a pas de maison sur piloris partout. Cependant, elle prétend que rien dans la nature de la pensée n'empêche qu'elle porte une compréhension exacte du réel.

Maintenant que nous avons éclairci ce qu'implique et présuppose cette proposition, on peut examiner si elle est vraie ou fausse.

2ième utilisation de la dialectique : traquer les contradictions dans une hypothèse.

En fonction du principe de non-contradiction, que nous avons rappelé, l'affirmation "la connaissance est possible" est soit vraie, soit fausse. Autrement dit, soit la connaissance est possible, soit elle est impossible. Et il n'y a pas d'autres éventualités. On pourrait peut-être dire qu'elle est possible dans certaines circonstances, et pas dans d'autres, mais, en vertu de ce que nous avons expliqué plus haut, pour qu'elle soit possible dans certaines circonstances, il faut d'abord qu'elle soit possible par elle-même, et cela revient donc à classer cette éventualité dans l'énoncé général "la connaissance est possible"; les circonstances particulières qui s'y surajoutent devront faire l'objet d'une étude, mais ensuite : ce n'est pas la peine d'envisager les cas particuliers, si le cas général est impossible. Ainsi, il n'est pas nécessaire de se demander si un cercle carré peut s'inscrire dans un triangle, il suffit de se rendre compte qu'un cercle carré est impossible.

Ainsi nous avons ces deux propositions contradictoires, qui, selon l'usage des divisons dichotomiques, épuisent à leur niveau de généralité toutes les éventualités : "la connaissance est possible" et "la connaissance est impossible".

Prenons la seconde hypothèse et voyons ce qu'il en ressort.

Si l a connaissance est impossible, que s'ensuit-il? Cela implique, par définition, que tout savoir est impossible, et donc que toute vérité consciente et justifiée est impossible. La première conséquence est ainsi que l'on ne peut rien démontrer ou savoir, pas même que la connaissance est impossible. Si donc la connaissance est impossible, il est impossible de le savoir. Mais allons plus loin, car cela ne fait pas encore une contradiction.

Que s'ensuit-il concernant l'ignorance? Si la connaissance est impossible, il est impossible de connaitre son ignorance. Il est impossible de rien savoir, ni que l'on sait ni que l'on ignore. On pourrait donc en déduire que tout est douteux; et même aller plus loin en affirmant que cela même "tout est douteux" est douteux. Car si la connaissance est impossible, on ne peut rien savoir. Il vaudrait donc mieux suspendre tout jugement.

Cependant, puisque l'on ne peut pas savoir sans savoir qu'on sait, on ne peut pas penser ignorer quelque chose alors qu'en fait on le sait. Comme on l'a vu, la connaissance est toujours consciente d'elle-même, ou bien ce n'est plus de la connaissance. Lorsque, donc, on a conscience d'ignorer quelque chose, on a bien connaissance de notre ignorance.

Or, avons-nous dit, si la connaissance est impossible, il est impossible de connaitre son ignorance. Mais, on vient de le voir, toute conscience d'ignorance est une connaissance de l'ignorance. Si la connaissance est impossible, il est alors impossible d'avoir conscience de son ignorance. Autrement dit, on devrait avoir toujours l'impression de tout savoir, sans jamais douter de rien - et sans jamais rien savoir.

Ainsi, cette hypothèse conduit à la fois à rendre impossible l'existence de la connaissance, du doute et de la conscience d'ignorer. Seule subsisterait l'ignorance non consciente d'elle-même - et tout se passerait comme si on savait tout sans être jamais détrompé.

Cependant, se poser toutes ces questions, en chercher les réponses, c'est déjà la preuve de l'existence du doute et donc d'une conscience de notre ignorance.L'hypothèse "la connaissance est impossible" conduit donc à une contradiction, et à une absurdité.

En vertu du principe de non-contradiction, et puisqu'il n'y a pas d'autres possibilités, si cette hypothèse est absurde, c'est que la proposition contraire est vraie : la connaissance est possible.

Il serait donc vain d'essayer d'y chercher une contradiction réelle, même s'il n'est pas illégitime de le tenter. Pour autant, il ne serait pas inutile de le soumettre à la dialectique, et d'examiner tout ce qu'implique cette hypothèse, mais pas pour la même raison : pour voir quels enseignements on peut tirer, sur la réalité et sur la pensée, de cette possibilité de la connaissance. Mais cela nous entrainerait surement trop loin.

Cependant, puisque nous avons vu que la connaissance réelle était toujours vraie, dire que la connaissance est possible, est-ce à dire que l'on peut atteindre la vérité absolue et totale? Avant de pouvoir répondre à cette question, il faut encore la soumettre au van de la dialectique, pour séparer les différents concepts, les différentes idées qui se cachent derrière les mots.

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