Dans le précédent billet, j'ai été amené, suite au déferlement médiatique, à rectifier la présentation qui a été faite des propos du Pape lors de son voyage en Afrique.
Qu'il y ait à diverses occasions, un peu de désinformation, à cause d'une analyse rapide et partielle, cela arrive parfois. Mais que celle-ci porte sur le discours religieux est une chose assez fréquente et remarquable, pour mériter que l'on s'y arrête un instant.
L'histoire des malentendus entre le discours religieux et le discours moderne est très ancienne; et, à bien des égards, la représentation que l'on s'en fait est tout à fait caricaturale. Dans l'ensemble, la religion est présentée comme un refuge de l'obscurantisme, un sanctuaire de l'ignorance et de l'asservissement humain. La modernité antireligieuse est alors le porte-flambeau de la lumière, et de la liberté, véritable « religion nouvelle ».
Je ne peux que renvoyer sur ce point à deux excellents ouvrages :
Le premier, Et Dieu dit « que Darwin Soit » est écrit par Stephen Jay Gould, professeur à Harvard, chef de file de la nouvelle théorie de l'évolution, dans une Amérique que l'on sait tentée par un retour au créationnisme. Il est donc au-delà de tout soupçon.
Le Second, Pour en finir avec le Moyen-âge, de l'historienne réputée Régine Pernoud.
Ces deux livres permettent de se rendre compte que bien des mensonges ont été colportés de la part des religieux, certes, mais aussi, et c'est moins connu, de la part des « progressistes ». Et certaines de ces fausses rumeurs ne sont toujours pas disparues.
Ainsi, il est étonnant de constater que le grand Newton, image du scientifique rationaliste, reprochait au Père Thomas Burnet, qui proposait une étude rationnelle de la Genèse, de ne pas laisser assez de place au miracle de Dieu. Et l'on se souvient alors qu'un grand nombre de clercs furent des scientifiques, et que l'opposition simpliste rappelée plus haut est certes très confortable, mais tout à fait inexacte.
Quelques erreurs à rectifier :
Galilée ne fut pas brulé sur un bucher, contrairement à ce que rapporta longtemps sa « légende dorée ». Ceci est désormais assez largement connu. C'est Giordano Bruno qui fut brulé, et cela est tout de même bien assez grave pour ne pas en rajouter.
Mais mieux encore. Qui n'a pas entendu dire qu'au temps de Christophe Colomb l'on croyait que la Terre était plate? Qui n'a pas appris même qu'une commission d'évêques, à Salamanque, objecta, contre son projet, la platitude de la Terre? C'est en tout cas ce qui était enseigné dans les manuels, dès 1887. Pourtant tout cela est faux. Tous les lettrés de l'époque ont toujours reconnu la sphéricité de la Terre. On la trouve déjà très clairement affirmée, par exemple, chez Thomas d'Aquin. Et si les évêques, à Salamanque, ont fait des objections à Christophe Colomb, c'était uniquement à propos de la circonférence de la Terre : pour justifier la durée raisonnable du voyage qu'il prévoyait, Colomb avait volontairement sous-estimé cette circonférence, ce dont les évêques s'étaient aperçu (Cf. Gould, ouvrage cité; ou Russell, Inventing the flat earth, Praeger, 1991).
Qui n'a pas entendu dire que l'Eglise n'a reconnu que tardivement une âme aux femmes? Évidemment cela est faux. Et cette affirmation, qui est sans cesse répétée, tant elle va dans le sens des préjugés, est sans doute la plus incroyable des mystifications. On ne peut qu'être effaré devant la crédulité des gens. Comment donc l'Eglise n'aurait-elle pas reconnu une âme dès l'origine à celle qui fut la mère de Dieu? Comment n'aurait-elle pas reconnu une âme à celles qui accompagnèrent le Christ? A quoi sert donc le salut pour qui n'aurait pas d'âme? Pourquoi donc l'Eglise les aurait-elle baptisées? Comment certaines d'entre elles auraient pu être déclarées saintes? Tout démontre l'absurdité totale de cette rumeur. Et pourtant, elle est régulièrement reprise.
Peut-être avez-vous entendu parler de la Papesse Jeanne? Cette jeune femme qui, déguisé en homme, parvint à se hisser jusqu'au Pontificat à la mort de Léon IV. Encore une fois, la pauvre Église se voyait bien ridiculisée! Mais non par les faits, par les rumeurs. Car jamais il n'y eut de Papesse Jeanne...
De toute façon, l'Église est misogyne : ne fait-elle pas de la femme la cause du péché et de la chute de l'homme? Nous devons dire que cette affirmation a pu être accréditée par certains ecclésiastiques idiots, qui recommencent l'erreur d'Adam. Mais ce n'a jamais été la position officielle de l'Église chrétienne. Laquelle est bien plutôt, en Orient, celle de Syméon le Nouveau Théologien : « Dieu l'invite au repentir en lui disant : ' Et qui t'a appris que tu es nu? N'est-ce pas que tu as mangé de l'arbre, du seul arbre dont je t'avais interdit de manger? ' Or il ne se décida pas à dire ' J'ai péché '; bien au contraire, il mit le grief au compte de Dieu, qui avait fait toutes choses très bonnes, et il dit : ' c'est la femme que tu m'as donnée qui m'en a donné et j'ai mangé. ' Comme […] ils ne voulurent pas se repentir […] il les chasse » (Ethique, I, 2). Ou en Occident, celle de Saint Bernard : « Car s'il n'obtint point le pardon de son crime, bien qu'il le confessât, ce fut sans doute parce qu'il y mêla celui de sa femme. C'est une espèce d'excuse d'en accuser un autre, lorsque l'on est repris. Or David nous apprend que c'est non seulement inutile mais funeste » (16ième Sermon sur le Cantique du cantique, 11). Théologiquement, l'homme n'est donc pas puni par la faute de sa femme, ce qui serait injuste, mais par la sienne propre aggravée de la volonté de se décharger sur elle de ses responsabilités. La question est : que vaut-il mieux propager? La version populaire qui fait de la femme la fautive ou la version théologique? Évidemment, faire l'un ou l'autre n'obéit pas aux mêmes intentions.
Par ailleurs, dans son livre, Régine Pernoud montre que le statut de la femme dans la civilisation chrétienne était largement meilleure que celui qu'elle avait dans la civilisation gréco-romaine; ce qui explique combien elles ont participé à la montée du christianisme.
Mais tout de même, il y a bien une illustration décisive de la misogynie et la cruauté de l'Église contre les femmes! Car c'est bien sous le régime chrétien que les seigneurs avaient le « droit de cuissage » : ils pouvaient s'octroyer leurs faveurs! Sauf que... c'est encore faux... (cf. http://www.zetetique.ldh.org/cuissage.html) Le droit de cuissage n'a jamais existé. Et comment la même Église que l'on accuse de détester la sexualité aurait-elle pu en même temps admettre une telle chose? Il faut tout de même un peu de cohérence dans les critiques!
Enfin, de toute façon, l'Église n'est pas vraiment « humaine » : elle n'a pas aboli l'esclavage que je sache! A ceci près que, si, elle l'a aboli entre chrétiens : le servage n'est pas du tout l'esclavage. L'esclave est la propriété de son maitre. Et c'était ainsi dans l'antiquité gréco-romaine. Le serf n'est pas la propriété de son seigneur. Ce qui signifie qu'il a des droits que l'esclave n'a jamais eu. C'est ainsi par exemple que le roi Louis le Hutin déclara officiellement, en juillet 1315, que « selon le droit de nature, chacun doit naitre franc ». Durant le Moyen-âge, l'esclavage envers les non-chrétiens a subsisté surtout dans les républiques maritimes d'Italie. N'oublions pas que l'esclavage moderne, la traite des noirs, etc. est apparu à partir de la renaissance, c. à d. précisément alors que l'on s'éloignait des valeurs chrétiennes, pour renouer avec celles de l'antiquité!
Autre exemple de l'inhumanité de l'Église : son racisme et son antisémitisme! Je sais bien que sur ce point, il va être difficile de me faire comprendre, tant il s'agit d'un sujet délicat. Mais je suis obligé de déclarer à nouveau qu'il y a davantage de désinformation que de vérité. Le racisme est une doctrine étrangère à l'Église (qui, jusqu'à preuve du contraire, ordonne à égalité des prêtres de toutes les couleurs!). En fait, et le livre de Gould le montre assez bien, le racisme est une doctrine délirante dérivée d'une mésinterprétation grossière du Darwinisme. Mais rien à voir, donc, avec l'Église. Quant-à l'antisémitisme, il faudrait pour être exacte parler de la « judéophobie » de nombreux chrétiens à partir de la première croisade, environ. Mais cette judéophobie populaire fut toujours réprouvée par les Papes et les maîtres les plus reconnus de l'Église : certes, d'un point de vue chrétien, un juif est infidèle (sens premier de « perfidus »; de même que d'un point de vue musulman, les deux ont dévié de la vraie religion). Mais « ils sont aimés à cause de leur Père. Car Dieu ne se repend pas de ses dons et de son appel » (Paul, Rom. 11-28-29). Qui sait encore que Pie XII lui-même, tellement voué aux gémonies de nos jours, avait été salué en 1944 par le Rabin de Jérusalem Isaac Herzog? Et si tout n'était pas aussi simple et tranché qu'on ne le pense?
Encore une fois, mon propos n'est pas d'exonérer l'Eglise de toute critique : mais c'est précisément pour pouvoir porter un jugement raisonnable et sain, qu'il est bon de veiller non pas au décorum mais à la vérité. Or, force est de constater que beaucoup de bêtises sont colportées à son sujet.
Mais d'où viennent ces rumeurs et ces mensonges alors? De divers cotés, mais toujours, vous l'imaginez, d'opposants à l'Église : de la propagande révolutionnaire d'autrefois, des scientifiques "positivistes" sortis de leur juste fonction, et même, semble-t-il, pour le dernier cas, de la propagande communiste russe qui trouvait en nos esprits un terreau bien préparé par ses prédécesseurs.
A défaut de vous avoir convaincu sur chacun des points, j'espère au moins vous avoir incité à faire les recherches nécessaires par vous-mêmes et à vous méfier de certains préjugés historiques d'autant plus tenaces, qu'ils ont été produits et propagés par « les vainqueurs » successifs de l'histoire.