Cela fait maintenant une bonne vingtaine d'années, peut-être plus, il faut s'y faire, que la France accumule les difficultés financières, et que les gouvernements successifs s'essayent à des réformes plus ou moins profondes, mais toujours les bonnes, nous assure-t-on.
Il faut réformer! Il faut réformer! Réformer? Oui, il faut. Cela ne se laisse pas discuter. Qui oserait prétendre le contraire? Pas même moi, c'est dire. Puisque ca va mal, il faut changer les choses. Et changer les choses, c'est réformer. Tout se tient. Il faut donc réformer.
On doit bien dire pourtant, au risque d'être paradoxal, que ce serait plus facile si ca ne pouvait être pire. Je m'explique. Il est toujours plus facile de penser en mode binaire : si ce n'est blanc, c'est noir; si ce n'est haut, c'est bas; si ce n'est un homme, c'est une femme; si ce n'est toi, c'est ton frère. Bref, quand on n'a pas le choix, les risques d'erreur se réduisent d'autant.
Or il faut réformer. Pourquoi déjà? Parce que ca va mal. Ah oui! Et donc si on change les choses, logiquement, ca ira mieux. Voila un fort joli raisonnement.
Un jour, un homme se plaignit auprès de son médecin d'une douleur chronique au ventre. Le médecin, fort inspiré, lui tendit sentencieusement un flacon et déclara : "buvez!". Le patient, pris d'une curiosité malsaine sans doute, s'enquit de la mixture. "Cyanure concentrée, répondit le savant, très efficace. Votre douleur cessera vite". Le malade montra un peu de réticence. Alors, plein de bon sens, "vous avez mal, il faut bien faire quelque chose, non?" insista le médecin.
Moralité : quand cela peut encore aller plus mal, parfois refuser une réforme peut permettre de ne pas faire empirer les choses.
Longtemps ce principe tout simple (si ca peut être pire, il ne suffit pas de changer pour bien faire) a été assez ignoré. Le mot d'ordre était "réformes réformes réformes", comme si la réforme était une fin en soi, et non pas simplement un moyen. Les campagnes électorales sont assez remarquables de ce point de vue : Untel se glorifie d'être le candidat de la réforme. Et le discours antisyndical l'est autant : tel syndicat est décidément inutile puisqu'il refuse la réforme.
Depuis peu, je dois dire que j'entends enfin les journalistes oser demander : "mais est-ce que ce sont de bonnes réformes? Est-ce que l'on ne pourrait pas faire autrement?"
Il faut dire que depuis le temps que l'on nous propose des réformes, pour nous annoncer ensuite qu'il faut encore et toujours réformer, même les esprits les plus lents ont commencé de comprendre que quelque chose n'allait pas. Si ni la gauche ni la droite n'ont réussi à rétablir la situation - au contraire - alors même qu'ils ont accumulé les réformes, c'est bien que la réforme ne suffit pas. Il est vrai qu'il y a encore des résistances. Certains, qui ne veulent toujours pas sortir de ce mode de pensée confortable, car simple, nous assène que les gouvernements précédents n'ont pas fait de réformes. Mais qu'à partir de maintenant, on va voir ce qu'on va voir. Décidément, Alzheimer fait plus de ravages qu'on ne le pensait.
Il ne suffit donc pas de faire "des réformes". Que faut-il alors? De "bonnes" réformes. Et là, évidemment, les choses se compliquent. Que peut être une bonne réforme? C'est une réforme qui améliorera la situation. Mais que pouvons-nous considérer comme une amélioration?
A mon petit niveau, je me permets de faire une suggestion. Car faire cesser l'aggravation d'un mal est déjà une forme d'amélioration. Or, pendant plus de vingt ans, les réformateurs n'ont eu de cesse de proposer des réformes, puis d'autres, parfois contraires, pour aboutir à une situation toujours plus difficile, sans avoir l'air, il faut bien le dire, de maitriser finalement quoi que ce soit. Je crois donc modestement que s'il y a une réforme qui s'impose avant toutes les autres, c'est celle des réformateurs eux-mêmes. Et comme ce sont des gens courageux et intelligents, je ne doute pas qu'ils s'y mettent à l'instant.
On m'objectera peut-être (si on m'a suivi) : mais ils risquent de devenir encore pires, s'ils se réforment mal! C'est toujours possible en effet, car il ne faut jurer de rien, et il y aurait même des indices qui montrent que certains ne se sont pas améliorés avec le temps. Mais quoi? Il ne faut tout de même pas désespérer de la réforme, non?