L'alchimie est un grand art : elle est de ces arcanes difficiles à décrypter. Faire du plomb en or, qui n'en rêverait pas?
Eh bien, chers amis, réjouissez vous! La transmutation est possible et les grands patrons, régulièrement, l'opèrent devant vos yeux ébahis.
Ils réussissent à transformer des dettes qui les plombent en l'or d'une rente illimitée.
Mais comment font-ils? Mais quel est le mercure philosophique qu'ils emploient? Où se trouve l'incroyable athanor? La recette, la recette!
Patience et longueur de temps. En ouvrant mes grimoires jaunis, et un peu moisis, je l'ai dénichée pour vous.
Le mercure des philosophes? L'Etat.
L'athanor? Le Libéralisme, qui permet de canaliser l'action du mercure sur le plomb en vue de la transmutation.
Le plomb? Une grande entreprise du secteur privé, internationale, et, si possible, liée au secteur financier.
Ce doit être un gros bloc de plomb de première qualité, du plomb pur, menaçant, que vous recouvrez du mercure. Celui-ci doit bien adhérer et le recouvrir entièrement.
C'est que l'entreprise doit être assez grosse pour que l'économie du pays tout entier en soit relativement dépendante : l'Etat ne doit pas pouvoir s'en séparer. Une grosse banque, une grosse industrie de l'énergie ou de l'armement, par exemple.
Mettez ensuite votre plomb dans l'Athanor. Vous faites cuire à feu doux. Votre minerai va progressivement passer par différentes couleurs.
D'abord, la chaleur de l'activité économique incessante va favoriser les échanges. Et l'entreprise va peu à peu se noircir de dettes.
Déjà, sans que l'on s'en aperçoive, la nature du plomb connait une transformation : elle rejaillit en surface.
Ce plomb est alors peu à peu chauffé à blanc : il semble presque avoir disparu. Les dettes sont passées de l'économie visible à l'économie invisible, dans des produits d'une blancheur immaculée pour les clients candides. Le mercure, bouillonnant, ne se doute de rien. Il s'agite gaiement et pense que tout va pour le mieux.
C'est alors que le minerai vire au rouge sang : et il paraît se vider, s'effondrer sur lui-même, tout racorni. Et ce sont les subprimes, la titrisation et les contrats passés auprès des insolvables et les dettes qui révèlent leur vacuité.
Aspiré par ce vide, le mercure s'engouffre. Il ne peut pas faire autrement : il repose sur le plomb. Si celui-ci s'effondre, il s'effondre aussi. Autrement dit, le plomb évacue sa nature propre et se mèle à celle du mercure.
L'Etat garantit les banques, ou leur prête de l'argent, ou mieux même il prête de l'argent aux débiteurs des entreprises pour qu'ils puissent les payer : ni vu ni connu, les dettes du privés sont devenus publics.
La magnifique inversion s'opère : la transmutation finale s'exécute. L'or est enfin là - le mercure disparait avec le plomb.
La nature ne recèle-t-elle pas de merveilleux mystères?