Capitalisme, libéralisme... Chaque jour, il n'est guère de mots qui sont davantage utilisés par les médias (parfois avec des "néo-" antécédents, ou des "ultra-" de circonstance). Pourtant il semble exister un grand flou sur le sens exact de ces termes : qui n'a pas constaté qu'en de multiples occurrences, "libéralisme" et "capitalisme" paraissent interchangeables? Pour autant, n'entend-on pas aussi qu'il serait possible d'être libéral, mais anti-capitaliste? Ou bien qu'il faudrait être capitaliste, mais pas trop libéral? Bref, rien de plus embrouillé.
Il faudrait être bien naïf pour penser que la confusion est involontaire. On sait bien, depuis longtemps, que le monde des hommes est régi par les mots, et il n'y a pas de meilleur moyen de sembler ne s'être jamais trompé que de demeurer vague et général, mais de l'être avec conviction et autorité.
Malgré tout, les mots ont un sens, celui que leur origine ou leur usage impose. Et il vaut mieux en être averti lorsque l'on s'apprête à en entendre parler, ou mieux encore, à en parler soi-même, pour être sûr de bien comprendre. Il peut donc être utile d'essayer de préciser ce que recouvre chacun des termes.
Le capitalisme est souvent associé à l'idée d'enrichissement. Ce n'est pas sans raison : dans le mode de pensée capitaliste, il est bon de s'enrichir. Cependant, cela ne suffit pas à caractériser le capitalisme. Plus précisément, est capitaliste toute pensée économique qui considère qu'il est normal d'utiliser l'argent non seulement pour procéder à des échanges, mais aussi pour s'enrichir, c.-à-d. accroître son capital. Ceci peut prendre plusieurs formes, comme le prêt à intérêt, l'achat d'une entreprise, l'actionnariat ou la spéculation sur les biens. Dans tous les cas, c'est l'argent qui sert d'instrument pour en obtenir davantage.
Le libéralisme est un peu différent. D'abord, historiquement, il est une philosophie générale dont l'économie n'est qu'un aspect. Ce pourquoi certains socialistes se sont revendiqués du libéralisme social, tout en rejetant le libéralisme économique. Ce qui, malheureusement, n'a pas aidé à clarifier les choses. Le libéralisme est une pensée qui met en son centre la liberté individuelle : il faut laisser les individus le plus libres possible. Dans la mesure où l'Etat, par définition, oblige ou contraint ses membres, son intervention sera alors considérée comme "un mal nécessaire", au mieux, ou "la source du mal", au pire (en ce cas, il s'agit de l'anarcho-libéralisme).
Dans le domaine économique, qui est celui qui nous intéresse, est libérale toute pensée qui considère que s'ils sont libres les échanges sont justes, s'équilibrent d'eux-mêmes et produisent de la richesse. Dans le précédent billet, j'ai déjà mis en évidence le caractère quelque peu utopique, pour dire le moins, de cette philosophie.
On ne peut donc pas dire qu'il y ait une stricte identité entre la pensée capitaliste et la pensée libérale. Cependant, un examen rapide permet de s'apercevoir qu'un système libéral est un environnement particulièrement adapté à la pratique capitaliste. On ne peut mieux jouer sur les flux de valeurs que là où ces flux sont les plus nombreux, les plus diversifiés et les plus libres. Le libéralisme est ainsi un auxiliaire très précieux pour le capitalisme, et l'on peut même dire que, du point de vue capitaliste, il est dans un premier temps désirable, puisqu'il lui permet davantage de se réaliser. En ce sens, il paraît un peu vain de prétendre s'opposer au libéralisme pour revenir à un capitalisme "plus pur". Car quelle serait cette pureté d'un capitalisme non libéral?
Il faut en effet remarquer que s'il est un bon environnement pour la réalisation du capitalisme, le libéralisme porte en soi une exigence contraire, qui le rend d'ailleurs moins cohérent que ce dernier : l'exigence de concurrence. Et de fait, seule l'existence d'une concurrence forte peut donner l'impression d'une réelle liberté des échanges. Mais, en même temps, plus il y a de concurrence dans un domaine, moins il est facile de s'enrichir en y investissant. C'est la raison pour laquelle on doit considérer qu'en réalité le capitalisme utilise le libéralisme, et cette exigence de mise en concurrence, pour détruire les monopoles publics, et en faire des secteurs d'investissements privés. Mais, ceci fait, il conduit ensuite à des conditions qui rendent peu à peu une vraie concurrence impossible, par le regroupement et l'achat entre elles des entreprises et la création de grands groupes internationaux : aucune nouvelle entreprise débutante ne peut plus s'imposer et menacerait-elle qu'elle serait alors rachetée par ses ainés. De sorte que grâce au libéralisme le capitalisme réussit à transformer les monopoles publics en monopoles ou oligopoles privés.
Au-delà de cette différence dans le rapport à la concurrence, on peut constater que les deux systèmes tendent dans les faits aux mêmes conséquences : un déplacement des richesses vers ceux qui ont les plus fortes capacités d'investissement. Ceci est une évidence pour le capitalisme, puisque c'est sa raison d'être. Mais c'est aussi ce à quoi incite le libéralisme à cause de ses incohérences doctrinales : en prétendant que tout échange libre est en soi producteur de richesses parce qu'il se fait entre valeurs inégales - ce qui revient à dire qu'il suffit de faire les bons échanges au bon moment pour réussir à s'enrichir de manière légitime - il confond production et déplacement des richesses produites.
On voit donc que le capitalisme et le libéralisme économique sont deux aspects, certes contrastés, d'une même habilité à s'enrichir, cette habileté qu'autrefois Aristote appelait "la chrématistique", pour en dénoncer l'immoralité.
C'est qu'entre l'art de produire des richesses et l'habileté à les attirer à soi, dont il est ici question, il y a la même différence qu'entre l'originalité et le plagiat.