Voici une petite histoire.
Un magnifique bateau s'élançait sur l'océan. Nombreuses étaient les personnes à profiter du soleil et des douceurs de la croisière. Hélas, une nuit, un grand fracas se fit entendre. Inquiet, le capitaine dépêcha deux personnes, fort réputés pour l'acuité de leurs investigations, pour inspecter le navire et voir s'il y avait du dégât.
Après quelques heures, il les vit revenir en pleine discussion. Il les interrogea. "Alors? Que se passe-t-il?" Le premier répondit : "Je sais bien que mon collègue ici présent vous dira le contraire. Mais je suis bien sur que c'est des reflets bleus qu'elle a." Le second reprit de suite: "Non, des reflets noirs. C'était pourtant clair!" Le capitaine s'emporta quelque peu : "mais de quoi me parlez-vous?" "De l'écume, évidemment", précisa le premier. "Quelle écume?" "L'écume de l'eau que l'on a trouvé dans la soute". "Comment? La soute prend l'eau et vous ne le disiez pas?" "Eh bien si, vous voyez bien que c'est de cela qu'on parle!" Stupéfait, le capitaine s'emporta : "Mais enfin? Avez-vous vu où sont les fuites? Et si c'est réparable?" Alors les deux hommes : "Eh bien, non. Mais dès qu'on aura éclairci le problème de l'écume, nous pourrons facilement résoudre l'autre". "Mais vous êtes dingues! Qu'est-ce qu'on en a à faire de la couleur de l'écume?! Vous croyez que ca va résoudre le problème??! C'est à colmater la fuite qu'il faut s'attacher dans l'urgence, vous ne pensez pas??!" éclata le capitaine. "Mais enfin, Monsieur, calmez-vous! répondit le second. Vous ne voyez pas que nous y travaillons? C'est que la couleur de l'écume n'est pas différente de votre sujet. Voyez-vous, si l'écume a de reflets noirs, alors il y a des chances que le courant d'eau passe par la salle des machines, et qu'ainsi la fuite se trouve par là bas." "Oui, mais je te dis moi que l'écume a des reflets bleus!" insista le premier. Et ils repartirent de plus belle dans leur dispute.
Ahuri, le capitaine les laissa disserter sur les choses importantes, et se précipita vers la cale.
C'est ainsi que l'on a droit, souvent, à des débats d'experts sur le père de la fille de Rachida Dati, sur une bague envolée, sur l'art oratoire d'un président, sur la gestuelle d'une candidate, ou sur sa coupe de cheveu et sur bien d'autre choses encore.
Beaucoup de journalistes sont devenus, semble-t-il, des chasseurs d'écume. Autrefois, ils étaient les garants de la démocratie et un moyen de s'instruire. Sans doute, cette fonction n'était plus assez moderne, ni assez facile. Pensez : il faut des connaissances historiques, économiques, philosophiques même peut-être, pour faire ce métier d'autrefois. Pour parler de l'écume, il suffit d'un peu de sens commun. De toute façon, elle est si vite passée...