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Billet de blog 18 février 2009

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La grève, c'est grave; ca grève nos déficits!

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qui ne se laisse pas aller d’un franc sourire lorsqu’aujourd’hui encore il entend la célèbre phrase de Jacques Chirac : « J’ai décidé de dissoudre l’assemblée nationale » ? Une de ses quelques gaffes, qui l’ont rendu alors un peu ridicule, mais en même temps si sympathique (et ce n’est certes pas un chiraquien qui écrit cela !).

Je vous laisse imaginer dans quelques années, lorsque l’on fera une rétrospective solennelle du quinquennat de Sarkozy, ce que provoquera en vous l’écoute de ce qui est désormais une perle d’humour involontaire : « désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s'en aperçoit ».

Il y a ainsi certain mépris que l’on lance et qui, tel un boomerang, finit par vous revenir à la figure.

Notre président n’est pas avare de critiques envers ses prédécesseurs. C’est qu’il est à craindre qu’il ait déjà fait bien des gaffes, mais sans s’en apercevoir encore. Peut-être que les quelques grèves encore à venir sauront le rendre plus lucide.

Car il y aura encore des grèves. Et pas seulement celles des DOM (si justifiées !) ou celle du 19 Mars, si vous voulez mon avis. Pourtant ce n’est pas faute de nous avoir expliqué que la grève, c’est pour les imbéciles !

Reportons-nous il y a quelques mois. Ouvrons le poste : grève de la SNCF, ou grève des enseignants, ou grève de la Poste… Commentaires : encore une grève corporatiste ! Ces syndicats ne savent que défendre leurs privilèges !

Reportons-nous il y a quelques semaines. Grève mêlée du privé et du public, le 29 Janvier. Ouvrons encore le poste. Commentaires : encore des grèves. Très suivie, oui, mais il n’y a pas de mots d’ordre clair, c’est trop mélangé. Ca ne fait que regrouper les mécontentements ! Jamais de vraies propositions !

Alors comment faudra-t-il encore vous le dire ? La grève, c’est pour les idiots ! Il n’existe pas de grève justifiée. C’est la crise ? Eh alors ? C’est justement là qu’il faut se mettre à travailler pour remonter la pente. Et quand ca ira mieux, eh bien… vous n’aurez plus de raison de faire la grève, de toute façon ! Vous voyez bien qu’il n’existe pas de grève justifiée !

D’ailleurs, c’est toujours les mêmes qui font grève : fonctionnaires ou assimilés. La grève, c’est la détente rituelle des privilégiés de la république !

C’est que nous ne sommes plus au 19ième siècle. Zola, c’est fini. Alors rentrez chez vous, et laissez les Traders consciencieux faire leur travail ! Est-ce qu’ils font la grève, eux ?

Vous l’aurez compris, je me suis efforcé de compiler ici les principaux poncifs que l’on entend systématiquement lors des grèves. Si j’étais optimiste, je penserais qu’il est suffisant de les relever et de les montrer ainsi en eux-mêmes, pour leur faire un sort. Mais comme la réalité tend à être toujours pire qu’on le pense, il ne sera pas inutile de conclure sur quelques réflexions :

- La raison d’être d’un syndicat est de défendre les intérêts des « corps » qu’ils représentent. Ce qu’a très bien compris le Medef, par exemple. Leur reprocher cela, c’est leur reprocher d’être des syndicats. Et de toute façon, même lorsqu'ils sont à plusieurs, ca n'a pas l'heur de plaire!

- Ce n’est pas aux grévistes, aux manifestants ou aux syndicats de gouverner la France. Ils n’ont jamais prétendu le pouvoir, eux. En revanche, ils sont dans leur rôle lorsqu’ils refusent ce qui leur semble injuste ou insupportable. Il est donc encore imbécile de leur reprocher de « ne pas avoir de solutions à proposer ». Ce n’est pas parce que je ne suis pas médecin et ne peux pas guérir un patient que je ne peux pas m’opposer à ce qu’on lui administre de la strychnine à forte dose.

- Contrairement à ce qui a été, est et sera sans doute prétendu presque à chaque fois, bien des syndicats ou d’autres partis politiques font des propositions. Mais ils ne conviennent pas au pouvoir. Certes, il est tentant de nier l’existence de ce qui ne nous plait pas, et cela permet de faire croire que le dialogue n’est pas possible.

- Nous ne sommes plus au temps de Zola. Seulement au temps du chômage massif, des méthodes entrepreneuriales modernes où chacun est en concurrence avec chacun et où des ingénieurs peuvent se suicider sur leur lieu de travail. Au temps où des milliards s’envolent en fumée dans les salles de jeux des industries financières, où on licencie pour augmenter la valeur des actions, et où un PDG de Banque (M. Bouton) est châtié de son incompétence… en cessant d’être Directeur mais en restant Président.

Il est pourtant tellement clair que la lutte des classes est terminée et que le gentil patron n’a qu’une préoccupation du matin au soir : faire mieux vivre ses salariés !

Il faut vraiment que nous soyons sans cœur et sans intelligence pour en appeler encore à faire la grève en ces moments si graves!

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.