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Billet de blog 24 avril 2009

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Coordination ou coopération des politiques européennes?

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Savez-vous qu'il y a bientôt des élections européennes? Non, non, ne vous récriez pas, j'ai vérifié, c'est officiel : le 7 juin, il y a des élections. Et le 8 au matin, les éditorialistes se lamenteront sur l'abstention et la légèrté de la conscience politique des français. Mais pourquoi donc ce rejet incompréhensible des français? Peut-être parce qu'il n'y a aucune campagne véritable? Peut-être parce que les politiques eux-mêmes n'aiment pas cette élection? Peut-être parce que les médias en parlent très peu? Peut-être parce que, si l'on ne vote pas dans le bon sens, on est traité d'imbéciles et on doit revoter? Allez savoir! Tout cela est tellement énigmatique...

Mais laissons tout cela aux experts politiques qui sauront analyser le problème et le résoudre avec brio, comme ils en ont l'habitude. Je voudrais aborder une question plus élémentaire que tout cela. Avec les élections qui approchent, il est surement temps de se demander sérieusement quelle Europe nous voulons. Notez bien que la question que je pose n'est pas de savoir quelle politique nous voulons (gauche, droite, chacun son choix), mais bien quelle Europe. Car cette question, toute tranchée qu'elle semble être, doit être mise enfin sur la scène publique.

Car elle ne l'a jamais été très clairement : le camp de l'Europe actuelle s'est toujours débrouillé pour faire croire qu'aucune alternative n'était possible et pour ainsi éviter un réel dialogue sur le sujet.

Il y a en réalité au moins (notez que je suis prudent) deux visions différentes de la politique européenne.

L'on peut chercher à mettre en oeuvre une coopération entre les politiques des pays européens. En ce cas, on développe L'Europe des Nations ou L'Europe des patries. Cette expression a été très souvent dénigrée : c'est pourtant elle que promut le Général de Gaulle, dont l'esprit put se maintenir jusqu'au traité de Maastricht, et qui permit la création d'Ariane et d'Airbus, entre autres choses.

L'on peut aussi chercher à mettre en oeuvre une coordination des politiques européennes. C'est le choix fait depuis Maastricht. C'est la monnaie unique, l'espace Schengen, et ce sont les inénarrables directives de la commission, depuis Bolkestein jusqu'au rosé, etc.

Mais quelle différence entre coopération et coordination? Derrière ces mots habilement choisis, il y a une différence fondamentale : coordonner les politiques impliquent de les soumettre à une instance supérieure aux instances nationales, et qui a donc le droit (et la fonction) d'imposer ses décisions aux différentes nations.

A l'inverse, la coopération est, comme son nom l'indique, une prise de décision commune par laquelle différents pays acceptent de travailler ensemble pour unir leur force et répondre à des besoins communs. Mais tout se fait entre nations, et aucun ne se soumet à une instance supérieure. Cela permet tout de même d'être assuré que les décisions prises répondent aux intérêts de tous les pays qui s'investissent - sans quoi ils ne le feraient pas, puisqu'ils n'y sont pas obligés.

La coordination pourrait ne pas être un mauvais choix. Elle a cependant un grand défaut : elle ne repose pas naturellement sur un principe démocratique. Ce qui signifie qu'elle peut parfaitement être anti-démocratique. La coopération aussi d'ailleurs, mais elle a un avantage : elle repose sur les Etats existants, et si ces Etats sont démocratiques, alors la démocratie n'est pas remise en cause.

Or l'ennui, c'est que la "voie de la coordination" qui a été choisi est manifestement anti-démocratique. On me trouvera peut-être un peu sévère. Mais je pense être juste. On pouvait croire encore récemment que cette "absence" de véritable système démocratique européen n'était qu'un "oubli", même si cet oubli était déjà pour le moins surprenant et suspect de la part de gens qui n'ont que le mot "démocratie" et "démocrates" à la bouche. Nous avions cependant déjà quelques avertissements, quelques indiscrétions : certains commissaires européens s'enorgueillissant d'être un peu des "dictateurs éclairés", et que c'était somme tout le meilleur moyen de faire le bonheur du peuple européen, si indiscipliné et si rétif aux bonnes solutions libérales, malgré lui. D'ailleurs l'élargissement constant de l'Europe, en dissolvant le poids respectif de chacun des peuples, et en associant un grand nombre de pays de l'Est qui gardaient les yeux rivés vers l'USA, permettaient, sous couvert de bons sentiments et de préoccupations démocratiques, d'éviter d'installer une véritable démocratie.

Tout ceci nous laissait malgré tout encore de l'espoir : on voyait bien que bon nombre de lois votés par les parlements nationaux n'étaient que la transposition des directives européennes, dont le peuple était consciencieusement tenu dans l'ignorance. Mais on pouvait croire encore, disais-je, que ce n'était qu'un "étrange oubli".

Mais voilà, le 29 Mai 2005 (pour toutes raisons que nous avons évoqués, et d'autres encore) le peuple français a finalement dit "Non" aux volontés des "coordinateurs". Et ils n'ont pas aimé être désavoués par le peuple. Donc, logiquement, le 4 Février 2008, le parlement ratifiait un traité qui reprenait, en gros, les mêmes dispositions que celles que le peuple avait rejetées.

Bref : le 4 février 2008, la source de la souveraineté politique a été officiellement ôtée au peuple français. En effet, si ce que le peuple a rejeté, le parlement peut l'accepter, c'est que la volonté du peuple est seconde par rapport à celle du parlement : c'est donc le parlement qui a la souveraineté et qui, de temps en temps, accepte de consulter le peuple, mais ce n'est rien d'autre qu'une "consultation". Le peuple cesse d'être le souverain.

Face à cette analyse tout de même assez simple et logique de l'événement, certains, comme Alain Duhamel, ont longuement et véhémentement expliqué que la démocratie représentative, c'était tout de même la démocratie, et que le vote des députes est donc bien légitime! C'est faire bien peu de cas de l'ordre des souverainetés : pour que l'on soit en démocratie, les députés doivent tenir leur pouvoir du peuple. Mais, pour cela, il ne suffit pas qu'ils soient élus par lui. Car oui, certes, il y a encore des élections, mais sous les Napoléon aussi, il y avait des élections. Mais était-ce une démocratie? Non, il faut encore que les députés respectent la voix du peuple, qui doit demeurer toujours la voix souveraine : vox populi, vox dei, et ce que le peuple a fait, seul le peuple peut le défaire. Concevons-nous un messager qui prendrait sur lui de changer le message qu'il doit transmettre? Ce serait un bien mauvais messager. Nos représentants furent alors de bien peu fidèles gardiens de la démocratie.

Nous sommes donc officiellement depuis Février 2008 dans un nouveau régime d'oligarchie élective. Le changement s'est fait doucement, et donc cela ne transforme pas fondamentalement notre vie, mais il est bon de le savoir.

Le pire est sans doute qu'un grand nombre de nos politiques ne s'en sont pas rendu compte, et continuent à penser qu'ils travaillent à la démocratie en expliquant que le peuple a eu tort et qu'il est donc normal d'aller contre sa volonté. Il n'est pire bêtise que celle qui se vante de bonnes intentions. Que le peuple ait parfois tort, c'est une évidence. Mais que l'on puisse être démocrate en foulant aux pieds la volonté populaire, cela est un oxymore, et qui n'est pas sans rappeler la rhétorique de certaines "démocraties" de l'Est.

Je voudrais simplement rappeler que le principe fondateur des démocraties véritables, c'est celui de l'autodétermination des peuples. Mais, bon, évidemment, c'est sans doute un peu vieillot, la démocratie, à l'heure de l'internet, de la mondialisation, des J.O de Pékin et de la refondation du capitalisme par le G20.

Mais pourquoi parler de tout cela? Et après tout, si nous ne sommes plus en démocratie, pourquoi voter en Juin? Certes, la question se pose sérieusement. Et on s'aperçoit que la question n'est plus de savoir si l'on est pour ou contre l'Europe, si l'on était dans le camp du "oui" ou dans le camp du "non". L'enjeu n'est autre que la démocratie. L'aveuglement même des politiques que je dénonçais plus haut est aussi peut-être ce qui fait que tout n'est pas encore joué : il y a ceux qui se moquent, finalement, de la démocratie, et qui n'acceptent le vote qu'à condition qu'ils soient bien sur de retrouver ainsi "une place" ici ou là. Il y a ceux qui croient à la démocratie mais n'ont pas vu la dérive actuelle. Et il y a ceux qui l'ont vu et qui ont prévenu. Qu'il est dur cependant d'être Cassandre! On ne pardonne jamais à ceux qui ont prédit le malheur de ne pas les avoir crus à temps! Pourtant, tout marginalisés qu'ils soient, ils sont encore là, et ils ont encore des choses à dire.

Alors pourquoi voter? Pour ne pas se résigner... et pour donner enfin, peut-être, un peu plus d'influence à ceux qui ont eu le tort d'avoir raison.

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