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Billet de blog 26 juillet 2012

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Approprier un héritage coûte son avenir

Depuis plus de deux mois, une crise ouverte secoue l'Ecole Supérieure d'Art d'Avignon, révélant un profond mal-être accumulé dans la population de ses usagers.

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Depuis plus de deux mois, une crise ouverte secoue l'Ecole Supérieure d'Art d'Avignon, révélant un profond mal-être accumulé dans la population de ses usagers. Après la contestation des résultats d'une commission d'orientation et d'admission en second cycle qui fut l'étincelle, des étudiants ont fait appel au syndicat Sud Education pour les épauler face à une absence d'examen des motifs de leurs revendications par les plus hautes autorités décisionnaires. Parallèlement, une dizaine de professeurs a clairement fait état d'une situation en défaut patent de sérénité et de concertation, quand leur école doit céder la place à une extension de la Collection Lambert voisine. Ils expriment aussi leur désaveu ( cf. tribune du Quotidien de l'art du 25.07.2012) à l'encontre d'un projet  circonstanciel de nouvelle école qui semble vouloir leur être imposé de force sans considération d'un bilan "sanitaire" de leur établissement ni  de son identité enseignante actuelle. La situation s'est envenimée quand le directeur de l'ESAA a été accusé par des étudiants et syndicalistes, de graves dysfonctionnements autoritaires dont " le harcèlement moral et sexuel". ( cf. "De l'art ... ou du cochon" sur www.sudeducation84.fr ). Des plaintes en justice ont été déposées dans ce sens, que l'intéressé réfute par une riposte en diffamation et la dénonciation d'une instrumentalisation syndicale à des fins politiques, nourrie par un corbeau non identifié (cf. communiqué de presse du 11 Juin 2012 par la voix de son avocat ). Le projet d'école nouvelle a fait récemment l'objet d'un soutien  et d'une pétition en ligne pour sa défense  ...

APPROPRIER UN HERITAGE COUTE SON AVENIR

Surprenante que cette tribune de soutien à un projet d'école d'art nouvelle n'ayant pas fait officiellement l'objet de diffusion publique, transmis qu'il fut seulement le premier Juin 2012 en interne (1) à l'ESAA (2) et en tant que document de travail pour discussion future.

Il apparaît aujourd'hui largement sorti de ce cadre, et on pourra se féliciter qu'il puisse susciter ouvertement débat quand aucun dialogue n'a encore été instauré au sein de l'école.

Paradoxal est aussi le recours à des amitiés institutionnelles, auspices au pouvoir arrogé de légitimation, validation ou caution d'un projet artistique, mais qui dès lors fera immanquablement suspecter sa nouveauté d'académisme latent.

Pourquoi une rescousse sitôt requise pour intimer la révérence à une critique qui n'a pas eu lieu ou si peu et alors qu'on rappelle volontiers à l'amnésie d'aucuns « l'histoire quasi légendaire » de l'école d'art d'Avignon  pour son exemplarité « d'une réactivité critique constante » ?

Alors tant pis, ainsi soit-il.

« L'installation de la Collection Lambert à Avignon (3) doit beaucoup au militant de la première heure … » qui ne sera pourtant pas parvenu à assurer durablement les conditions d'un véritable partenariat artistique visant mieux que, selon beaucoup d'étudiants, la mise à disposition d'une main d’œuvre gratuite de montage et démontage des expositions.

Leur jugement est certainement sévère, des réalisations de qualité s'étant produites par le passé et des agents de la Collection Lambert enclins à jouer honnêtement le jeu, mais il révèle aussi sûrement les grands gâchis et désarroi au constat de l'implacable misère relationnelle inexorablement installée entre les deux établissements contigus et qu'on feint encore d'ignorer. Bon sang ! Faut-il à ce point être aveugle à une part de réel et si peu responsable pour ne pas prendre aussi la mesure de la situation économique étudiante aujourd'hui calamiteuse, qui contraint de plus en plus d'élèves précarisés à « habiter [pendant le temps ouvrable de formation à l'école,] les circonstances » des jobs qu'on leur réserve et ne pas avoir fait du phénomène une priorité de réflexion ?

Alors que la plupart des étudiants sont à peine issus de l'enseignement secondaire tel qu'on en connaît l'indigence de la part artistique, et qu'on peut pointer les lacunes criantes à l'ESAA de celui de l'histoire de l'art, de l'anthropologie, de la muséologie, du droit, de la recherche, comment pourraient-ils être en mesure d' « appareiller mentalement et physiquement pour une école nomade supérieure » qui puisse éventuellement convenir à des artistes accomplis ?

Même s'il est vrai que l'engagement social et politique de l'art contemporain demeure très faible, comment peut-on s'abstenir de toute réflexivité, cruellement absente ou autrement fondée que sur des clichés de masse ?

Comment inciter encore des étudiants à un « environnement processus d'interaction »quand on sait la brutalité, le mépris usés à leur encontre et par voie de presse pour traiter la crise de l'ESAA (4) éclatée après la tenue d'une commission d'admission en second cycle ?

Nul ne peut oublier la vertu ostentatoire qui habita les apparences en s'interposant symboliquement et médiatiquement contre l'iconoclasme à la Collection Lambert (5). 

Que ne s'entremet-elle pas pour leur sécurité contre la maltraitance subie et dénoncée par les étudiants ! « Pour les étudiants, le paysage culturel français, la liberté, la singularité, la poésie de l ' école vécue et imaginée … est indispensable ». Mais à quel prix !?

Du reste, combien d'étudiants qui habitèrent le réel offert par l'école sont-ils devenus ces créateurs  au cours des vingt dernières années ? Quid des autres ?

C'est cette même question au futur que soulève aussi le projet de nouvelle école qui comme la tribune de soutien, ne concerne que des artistes en devenir, alors que plus de la moitié de la population étudiante actuelle se projette à l'école dans la discipline de la conservation-restauration !

La spécificité de ce versant qui caractérise pourtant l'identité de l'ESAA, ses étudiants et ses acteurs spécialisés sont complètement éludés par un discours unilatéral ignorant des arrière-plan, attendus et enjeux de formation à cette activité.

Son enseignement est censé notamment préparer méthodologiquement à un agir par ceux qui en font profession ou le souhaitent, et ne peut s'en tenir à un questionnement sentimental ou une rêverie poétique d'artiste.

L'argumentaire théorique déployé qui sous-tend apparemment un semblant de philosophie, relève bien plus d'une rhétorique relationnelle et communicationnelle néo-romantique alimentée par un recyclage éclectique d'expériences contestataires théorisées au cours des années cinquante.

Autrement, il eut été bienvenu que l'auteur de la tribune explique le rapport entre l' « Ecole Nomade Supérieure », le Black Mountain College (6) et la réappropriation du réel par le dépassement de l'art, chère à l'Internationale Situationniste et Guy Debord, car on ne voit pas très bien au delà de leur convocation incantatoire, comment les relier et les contextualiser théoriquement aujourd'hui pour étayer un projet fiable d' école d'art nouvelle, dépourvue en outre de garantie de financement.

L'éducation prônée au BMC comme une sorte de work in progress sur une base programmatique approximative sans objectifs quantifiables ni cadre rigide, est déjà à l’œuvre à l'ESAA depuis longtemps.

Mais elle s'inscrit en faux à la fois contre les attendus du référentiel de formation en cours soumis à l'approbation de l'AERES (7), les textes réglementaires du ministère de tutelle des écoles supérieures d'art, et même le système LMD. Comment alors ne pas dérouter les usagers de l'école ?

En citant uniquement le vintage Art as experience (1934) de Dewey comme suprême référence théorique, n'use-t-on pas de la pétition de principe léonine eu égard aux directeurs et enseignants dont aucun ne renierait le modèle français d'enseignement de l'art dans plus de cinquante établissements disséminés sur le territoire national, différent de celui de l'université en ce qu'il privilégie largement une formation pragmatique basée sur l' expérience des œuvres et l'acte artistique ?

Quant à l'appareillage pour un nomadisme « mobile, étoilé, en réseau ... » indiscernable d'un bohémianisme moins racoleur, il apparaît obscurément comme une bien piètre procédure d' artialisation d'un déménagement forcé contribuant au dédouanement du cynisme d'un fait de prince.

Qu'est ce qui empêche la municipalité comme elle l'avait promis, de prendre le temps nécessaire à la réinstallation de l'école en toute sérénité sans pour autant se dédire quant à son obligation de remplir la condition d'extension de la Collection Lambert, lorsque son calendrier ne figure pas dans l' acte de donation d’œuvres à l’État ?

Le grand marchand maintenant gratifié du ruban rouge demeurerait-il si insensible aux répercussions de ses desiderata, tel le déménagement d'une école publique, d'art de surcroît  ?

En définitive, l'argumentaire prospectif semble plutôt emboîter le pas à une esthétique relationnelle dont Nicolas Bourriaud serait le chantre depuis 1995, pour produire un discours de mercatique esthético-artistique dénué d'unité théorique ou conceptuelle, mais qui apparaît opportunément publicitaire pour lecteurs et décideurs vrais ou faux dupes.

Face à la gravité triviale de la situation de l'ESAA, qui pourra se satisfaire d'un art de la formule accouchant d'un patchwork métaphorique d'idées séduisantes ?

Elles sont censées formuler le projet d'« un art comme manière de vivre » mais dont on ne peut s'empêcher de flairer la vacuité. « Nul n'est obligé de partager cette conception de l'art » mais pourtant « c'est cela que doivent venir chercher les étudiants pleinement conscients, inscrits à l'ESAA » ...

Le nouveau projet d'école constituerait « une réponse comme seuls les artistes peuvent l'imaginer ».

Peut-être mais hélas aussi, solitaire et très exclusif apparaît un congénère dont « La poésie de l'école vécue et imaginée [avec] ses collaborateurs [de coulisses] est indispensable. »

On se souviendra toujours de qui est artiste quand lui-même le rabâche à l'envi. Mais aujourd'hui à l'ESAA, encore après lecture du projet et de son soutien, on finirait par oublier la fonction de directeur, qui serait lui seul « dépositaire de la mémoire de l'école », tant les volte-face critique (8) imprévisible et fuite autiste dans des divagations réchauffées et obsessionnelles - « le vertige de la création … , [sa mémoire] et son oubli » -escamotent l'irresponsabilité du calendrier de déménagement imposé à l'école.

Il ne s'agirait donc que de se réapproprier l'expropriation !?

La nouvelle toute-puissance conférée à son directeur par les statuts de l'EPCC rend elle loisible le libre cours à une personnification narcissique et seulement artistique de l'école d'art ? Ou encore une stature d'artiste-en-chef en dépit d'une mission avant tout de responsabilité publique d'enseignement supérieur qu'on envisage mal sans l'entretien prioritaire d'une collégialité élémentaire dont le dessein premier et pour le moins, doit générer enthousiasme et confiance ? La diversité artistique des enseignants-artistes titulaires à leur école d'arts encore plastiques n'a que je sache, ni compétence ni expérience dans le champ théâtral même si d'aucuns en seraient soudainement pourvus pour monter dans un wagon en remorque du Festival d'Avignon.

Mais quel avenir pédagogique propose-t-on aux peintres, sculpteurs, photographes et autres plasticiens déjà ostracisés et culpabilisés de leurs pratiques, techniques, tangibles et durables, puisque la réalisation du projet de l'école nouvelle nécessiterait moultes compétences extérieures ?

Depuis la parution de la tribune de soutien, une armada pétitionnaire veut se liguer jusque sous un regard ministériel contre un ennemi irréel, dans ce qui s'apparente à une manœuvre de consolidation de la thèse d'un complot.

Alors une critique seulement de fond et de forme du projet et de son soutien débusquerait à leur corps défendant des conspirateurs discrédités d'avance, comme une adhésion au projet attesterait de zélateurs.

Ce n'est certainement pas dans cette logique de division au grand jour que souhaite s'inscrire mon texte, tant elle apparaît suicidaire pour l'avenir de l'ESAA.

Mais face à une stratégie et des postures d'évitement, il faudra quand même bien traiter d'un dysfonctionnement d'autorité, de ses affres et de sa responsabilité que dénoncent d'anciens personnels, quelques professeurs et des étudiants qui seraient seuls à faire les frais de sa récurrence.

Comment croire en effet à la manipulation de ces derniers par un syndicat d'enseignants contre un projet artistique et à des fins politiques, ou encore à une mythomanie contagieuse stigmatisée par les représentants de l'ordre ?

Point d'appareillage avant navire en chantier de réparation, entamée par des réunions pédagogiques fin Juin mais qui trébuche déjà, tronquée par le silence assourdissant de trop d' enseignants comme celui de la plus haute instance décisionnaire de l'école, et d'autant plus compliquée qu'elle ne doit pas se fourvoyer dans le règlement de compte personnel.

La résolution de ce qu'il convient d'appeler aujourd'hui une crise grave de l'ESAA ne pourra faire l'impasse d'un bilan de responsabilités ayant conduit à son état actuel.

Il montre notamment une faiblesse répétée de niveau du DNSEP (9) création-instauration, la précarisation ciblée d'une large part du corps enseignant, l'augmentation de ressources « pédagogiques » arbitrairement externalisées, une collégialité déliquescente, le respect versatile d'un cadre réglementaire incomplet, un clientélisme de pouvoir, et dévoilerait peut-être encore d'autres souffrances plus inavouables.

Tout nouvel accastillage accommodé sur une embarcation aussi endommagée et encore affaiblie par une scission de son équipage ne permettra pas l'évitage au vent de l'arraisonnement.

Marc Maire, PEA et représentant (10) des enseignants à l'EPCC-ESAA, 20 Juillet 2012

NB: Réaction à la tribune « Réinventer l'héritage » parue dans le Quotidien de l'Art n°191 du 16.07.12 et à la Pétition pour défendre le projet de l’École d'Art  d'Avignon mise en ligne le 18.07.12.

(1) Les enseignants avaient été pourtant priés d'émettre un avis sur ledit projet, ce à quoi je m'employai volontiers pour finalement et à ma grande stupéfaction, ne recevoir de commentaire critique que de la bouche du préfet de Vaucluse lors du dernier conseil d'administration de l'EPCC-ESAA, le 26 juin !

(2) L' Ecole Supérieure d'Art d'Avignon qui doit déménager pour laisser la place à l'extension de la Collection Lambert, condition de la donation du marchand à l'Etat.

(3) La Collection Lambert prêtée à l'origine pour 20 ans, fut accueillie en 1999 dans l'Hôtel de Caumont, propriété de la Ville d'Avignon

(4) cf. articles de presse du début de crise, fin Mai, sur le site de la contestation étudiante : www.esa-avignon.fr

(5) «C'est une violence contre un individu qui pense, un artiste. [ ...] Il était important de montrer aux élèves, qui seront de futurs créateurs, à quoi ils peuvent être confrontés". » http://www.leparisien.fr/faits-divers/saccage-de-piss-christ-menaces-de-mort-contre-le-personnel-du-musee-17-04-2011-1411447.php

(6) Même si contrairement à la norme, il faisait la part belle à l'enseignement des arts plastiques et de la musique, le BMC fut d'abord un établissement d'enseignement secondaire général  de 1933 à 1956

(7) Agence d’Évaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur, instance d'accréditation de l'enseignement supérieur

(8) Collection privée contre école publique : duel artistique en Avignon , Le Monde du 14.02.2009, « nous avons reçu abruptement cette nouvelle de délocalisation précipitée, sans médiation, comme si on voulait tirer un trait définitif sur l’école en la rejetant à la périphérie »

(9) Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique, option art, mention céation-instauration

(10) Le CA de l’Établissement Public de Coopération Culturelle ( récente forme juridique de l'ESAA ), est présidé par le maire d'Avignon et composé de 13 autres membres : 5 élus de la Ville, le Préfet de Vaucluse, le Directeur Régional des Affaires Culturelles, 2 personnalités qualifiées (1pour la Ville et 1 pour l’État), et 4 représentants des usagers : 1 agent d'administration, 1 étudiant, 2 enseignants

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