Marc Perrin (avatar)

Marc Perrin

Abonné·e de Mediapart

22 Billets

0 Édition

Billet de blog 12 octobre 2022

Marc Perrin (avatar)

Marc Perrin

Abonné·e de Mediapart

Revue Réparations — Une lecture du « Scum Manifesto » — Isabelle Querlé

« Couper les hommes en pièces pour moi, c’est surtout les sortir du centre de mes préoccupations. J’ai d’autres choses à foutre. »

Marc Perrin (avatar)

Marc Perrin

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

[La mise à l’écriture chez Isabelle Querlé peut ressembler à une lutte sociale, une résistance transclasse. Ses premiers dispositifs, objectivistes, sériels et mécaniques comme un travail à la chaîne, sont autant de travail en perruque, temps d’écriture volé sur le travail salarié, ce temps de travail, ce temps de travail comme matériau – par exemple dans un aéroport, à partir d’un stand de boulangerie, pour la série Vues d’aéroport. La force reproductive du corps de la femme est observée de la même manière dans les Lettres au Capitaine, écrites à l’adresse de l’enfant qui se fabrique/est fabriqué. Depuis ces lettres, se pose la question philosophique du sujet, jamais perçue dans notre société comme possiblement pluriel, notre tradition philosophique occidentale n’ayant été formulée que par des hommes dont l’expérience ontologique reste immuablement unitaire. Interroger l’implicite, pour en révéler les idéologies sous-jacentes passe aussi dans le travail d’Isabelle Querlé par la coordination du groupe Hymen Redéfinitions, qui travaille à rendre au mot hymen la matérialité qu’il recouvre, et à défaire le lien véhiculé entre cette matérialité et la notion de virginité.]

Illustration 1

J’ai lu le SCUM Manifesto à 20 ans il y a 20 ans.

C’est un pamphlet ultra-violent qui explique comment les hommes font du monde une grosse merde et qui se propose, pour le rendre meilleur, le monde, de les éradiquer, les couper en pièces, les hommes.

Ce livre est d’une folie et d’une sagesse absolues, la langue de Solanas est directe, vulgaire, brutale. Pas de beauté, pas de dignité, pas de gentillesse.

Ça claque.

Et pourtant, toute cette violence m’a détendu le cerveau comme jamais. SCUM Manifesto m’a fait l’effet d’un bon bain chaud, celui avec la boule à bulles qui pétillent sous les lombaires.

Détente maximale.

Parce que avant ma lecture de SCUM Manifesto, je vivais dans un monde absurde où j’étais éduquée à aimer des hommes qui (ceux-là ou d’autres) m’agressaient, me harcelaient, m’insultaient régulièrement. Et non seulement, je devais les aimer ces hommes, mais aussi les séduire, les admirer, les soigner, les écouter, laver leur linge, leur faire à manger, les torcher bébés et vieillards.

Et ça, ça ne te détend pas le cerveau, non.

Ça te le fait vriller.

Et pour que ton cerveau supporte cette absurdité totale, on va te faire croire à la puissance infinie de l’amour romantique et maternel. Et quand le vase débordera, que l’agressivité masculine encaissée sera trop forte, tu ne vas pas la leur retourner dans la gueule, l’agressivité, non (puisque tu les aimes, puisque tu les crains, puisque tu as besoin de leur fric) non, tu vas soit la retourner vers toi l’agressivité (version je suis qu’une merde qui mérite pas de vivre) soit la détourner de sa cible, en devenant plus mec que les mecs détestant en bloc les bonnes femmes, les salopes et les blondes, en étouffant la vie de ton fils adoré dans l’œuf (c’est le seul homme que tu pourras jamais dominer, meuf, donne-toi à fond !), en frappant tes enfants, en étant immonde avec ta belle-fille, la caissière au supermarché, le rom au coin de la rue, avec toutes les personnes plus faibles que toi sur lesquelles tu vas enfin pouvoir faire passer ta colère et ta frustration.

Le SCUM Manifesto détend plus qu’un massage de tête après un soin à la lavande chez le coiffeur parce qu’il renvoie l’agressivité précisément là où elle doit aller, à l’envoyeur.

Avant d’avoir lu SCUM Manifesto, je n’avais jamais pensé à cette possibilité, détester les hommes, jeune fille bien éduquée que j’étais.

Je désire des hommes, j’en aime certains mais SCUM Manifesto m’a montré que mon intérêt, mon amour, mon soin n’étaient pas un dû.

Couper les hommes en pièces pour moi, c’est surtout les sortir du centre de mes préoccupations.

J’ai d’autres choses à foutre.

Isabelle Querlé — Réparations, numéro zéro — juillet 2022.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.