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Billet de blog 17 févr. 2023

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Revue Réparations — Elle aura tes yeux — Iris Estivals

Du travail intérimaire. Du travail des femmes venant d’un pays du Sud du globe. Du soin donné aux personnes âgées. De la relation à la vieillesse telle que vécue par une jeune femme. Dans ce réel qui dégringole.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

[Iris Estivals apprend de l’autogestion, de l’apprentissage par la création, d’une nécessaire émancipation. Sans doute en développe-t-elle une curiosité et un talent pour la question, à plusieurs endroits, et sait être tenace et libre. Elle collecte les outils, par exemple la radio, et le son qui la traverse. Elle s’empare du legs collectif, tente d’apprivoiser le monde, le regarde attentivement. Iris étudie le réel, dont ce réel qui dégringole. La contribution qu’elle propose ici (bande dessinée et texte) croise les préoccupations liées au travail intérimaire, au travail des femmes venant d’un pays du Sud du globe, au soin donné aux personnes âgées, à la relation à la vieillesse telle que vécue par une jeune femme. Dans ce réel qui dégringole.]

Illustration 1

J'ai travaillé 3 mois comme aide à domicile auprès de personnes âgées. Les journées de travail ressemblaient à peu près à ça.

Illustration 2

Quand j'ai commencé ce travail je m'attendais à rien de spécial. Je voulais découvrir de nouvelles choses dans un mélange d’intérêt sociologique et de besoin financier. Je découvrais des intérieurs impensés, à Nantes, des personnes vieilles, sur le chemin de la mort.

Illustration 3

Illustration 4

J’étais impressionnée par le soin que lui portait l’aide à domicile. Là ou je voyais une personne légume, elle voyait un être humain qui avait besoin de toute son attention. Elle en prenait soin comme de sa propre mère. Ce que je voyais aussi : une femme issue d’un pays du sud du globe prenait soin d’une vieille bourgeoise blanche, dans une ville où de grandes fortunes se sont construites sur le commerce triangulaire.

J’ai pensé à ce texte d’une militante États-unienne, Arlie Russel Hochschild, Le nouvel or du monde, qui explique le transfert de l’amour de mères migrantes vers des enfants des pays riches, au détriment des leurs. Un soin en déficit, dans certaines régions, rééquilibré pour le confort de certain· e·s au détriment de certain·e·s autres.

Illustration 5

Je travaillais au départ avec des femmes dévouées, fatiguées et attachées aux personnes chez qui elles travaillaient. Moi je me demandais pourquoi. Pourquoi cet acharnement à garder une personne en vie alors qu’elle est dans l’âge de mourir. Du haut de mes 20 ans j’avais jamais vraiment réfléchi à la possibilité de vieillir puis de mourir. Ou même à ce que je ferai quand mes parents perdront leur autonomie. De fait, j’avais jamais été confrontée à la mort exceptée à celle d’arrière-grands-parents qui n’était en rien surprenante. Là, imbriquée dans ce monde de l’assistanat à des vieillissant·e·s je me posais la question de ces différentes possibilités offertes aux vieux et aux vieilles. Ehpad. Maison de retraite. Aide à domicile permanente. Tout ça me paraissait peu enviable. Alors que j’étais en pleine réflexion sur ce sujet, j’eus un jour une conversation avec une dame que je voyais tous les soirs.

Illustration 6

Alors c’est ça la vieillesse ? On clamse direct ou on croupit dans une chambre le temps que la faucheuse nous prenne. J’étais stupéfaite du ton léger et détaché avec lequel elle abordait cette question mais soulagée de cette réponse qui me paraissait couler de source.

Il y avait que quelques personnes que je voyais régulièrement. Je faisais souvent des remplacements de dernière minute, ou je comblais des trous. J’avais besoin de trouver un nouveau travail. C’est ainsi que j’ai découvert l’enfer de l’Ehpad.

J’ai travaillé 4 heures dans un Ehpad. Des fois, des Ehpad demandaient des renforts à l'agence intérimaire où j’étais inscrite, des sortes d'« extras ». L’agence y envoyait des personnes surtout les week-ends, cela revenait moins cher à l’Ehpad. Là-bas, ma tâche devait être simple, en théorie : servir les petits déjeuners des résident·e·s. Ok. Mais sans connaître leurs noms, ni leurs goûts, et sans pouvoir communiquer avec eux, la plupart en était incapable. J'avais été habituée à avoir du temps pour m'occuper d'une seule personne, pouvoir être à l'écoute, attentive aux besoins de celle-ci. Ici, je me retrouvais face à une dizaine de vieux et de vieilles, prêt·e·s à manger, qui attendaient que moi pour commencer. J'étais pas accompagnée. Personne pour m'expliquer les démarches à suivre. Et un public beaucoup moins autonome que celui avec lequel j'étais habituée à travailler. En clair, il fallait que je devine qui voulait manger quoi, sans que les personnes soient à même de pouvoir me communiquer leur souhait.

C'est là que l'angoisse a commencé à monter.

Je me suis retrouvée à raccompagner des personnes dans leurs chambres, à pas savoir comment répondre à leurs besoins, en faisant un boulot qui était pas le mien et en les laissant littéralement dans leur merde. Pour couronner le tout, une aide soignante m'a littéralement engueulée au beau milieu de la salle, au lieu de m'expliquer calmement ce qui allait pas. Elle me reprochait de pas avoir fait ce que j'étais censée devoir faire. Elle parlait mal aux résident·e·s, aussi, leur interdisant toute tentative d'autonomie. Elle voulait que je les surveille pendant leur repas, quitte à les forcer à manger et surtout, à avaler leurs médicaments.

Je me souviens d’une femme qui se lève de son fauteuil, juste pour combler les quelques pas qui la séparait des toilettes, en se tenant avec sa canne. Quand l’aide-soignante l'a vue, elle lui a ordonné de manière infantilisante, dégradante, de retourner sur son fauteuil et de se faire accompagner par quelqu'un·e.

Certain·e·s résident·e·s étaient couvert·e·s de vomi ou de bave sans que personne fasse rien. Il y avait personne pour m'accompagner, me former, ni personne pour s'occuper d’elles, d’eux.

Je me souviens aussi quand j'ai accompagné un monsieur dans sa chambre, comment il m'a expliqué qu'il voulait aller aux toilettes. Or, il pouvait pas, physiquement. J'ai alors cherché une sonnette ou quelque chose qui pouvait faire venir quelqu'un·e de plus compétent·e. Puis je suis retournée dans la salle principale pour essayer de trouver des personnes qui puissent s'occuper de lui. J'ai trouvé personne.

À mon retour de l'Ehpad, ce jour-là, j'ai appelé la permanence téléphonique de l'agence pour négocier la suppression de deux autres heures que je devais faire dans le week-end. Une voix masculine a répondu et a essayé de me convaincre de faire mes heures comme prévu. J'étais en pleurs. Je me rappelais de la voix gentille de la RH, lors de mon premier entretien.

« Si vous avez des limites concernant certaines actions, n'hésitez pas à le dire, on fera en sorte de vous éviter ça. »

Elle est là ma limite. À cet endroit précis. Faire des allers-retours à vélo sous la pluie pour faire la vaisselle de vieilles dames, ça passait encore, mais pas l'Ehpad. Et le type au bout du fil me refusait le remplacement alors que c'était son boulot.

« Mais c'est quoi le problème exactement ? »

« Ben j'ai pas été préparée pour l'Ehpad, je suis pas formée pour ce public. »

« Il suffit juste de servir le repas aux personnes, je vois pas en quoi vous êtes pas formée, c'est les personnes âgées qui vous angoissent ? Dans ce cas, va falloir songer à changer de boulot. »

Sur le coup j'avais pas su quoi répondre. Est-ce que j'avais peur des personnes âgées ? Est-ce que j’étais dégoûtée par elles ? Certes je faisais pas ce boulot par amour pour les personnes âgées ou pour prendre soin des gens mais j'aimais bien leur contact, et le temps passé avec eux, avec elles. Non. Ce qui m'angoissait, me dégoûtait, m'énervait, ce que j'avais eu du mal à regarder, ce qui m'avait choquée dans cet Ehpad — et encore j’y ai passé au final que quelques heures, c'est la façon dont des personnes étaient maltraitées.

Être vieux, vieille.

Pouvoir être allongé·e sur la plage un mardi après-midi hors vacances.

Après une vie entière à travailler, materner, stresser.

Pouvoir enfin s'étendre au soleil.

Iris Estivals  — Revue Réparations, numéro zéro — Juillet 2022

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