J'ai tellement grincé des dents
que j'ai fini par en limer mes canines
C'est le pire qu'il puisse arriver à un homme
Sans croc, impossible de redevenir un loup
ou même de se défendre
condamné à être mou
difficile de faire autre chose que
de sucer la vie.
Sans vraiment mordre dedans,
juste en extraire de quoi survivre,
un semblant de parfum, de jus de vie,
juste de quoi faire croire à mon cœur
qu'il bat encore pour quelque chose
Je me suis trop laissé démolir
parce que je laisse toujours une chance aux autres de me prouver que je me trompe sur eux
qu'en réalité ils sont bons
Non,
les gens ne sont pas bons
Ils ne sont qu'un parquet de désirs
Frustrés, bâillonnés, abrutis, contrôlé
Ils voulaient rêver et
on leur a donné la télé, et internet
plus besoin de s'imaginer le bout du monde
en un clic, on y est
Ils voulaient s'épanouir et
on leur a donné l'usine
le geste unique, le métier unique, la carrière,
la monoculture du travail
Ils voulaient gouter et déguster
et on leur a filé la bouffe discount,
les faisant culpabilisé de ne pas acheter un "Bio" qui triplerait la valeur du caddie
Ils voulaient la sincérité sociale
On leur a donné la consommation, la fête, le management
la peur de l'autre, la culpabilité de cette peur,
la "positive attitude", des "projets" - un mot dangereux qui a souillé "l'envie"
mais pas d'ange heureux
Ils voulaient l'amour passionnel
On leur a donné la trahison et la déception
La consommation des corps, la rencontre facile, le coup d'un soir
L'amour est un cannibalisme réciproque
qui aime le plus fini par être bouffé
Ils voulaient une famille
On leur a donné les jeux vidéos pour les gosses, le divorce
les règles absurdes et les colonies de vacances
Ils voulaient apprendre
et on leur a flingué cette envie avec la Déséducation Nationale
le dégout des belles lettres
la peur des chef d'œuvres que plus personne ne lis
parce que c'est ringard, parce que ça sent la poussière.
Une fable de La fontaine demeurera toujours
plus élégante, perspicace, et musicale
qu'un morceau diffusé sur NRJ
Encore faut-il faire un effort…
C'est sûr, l'effort est devenu un gros mot
Apprendre à lire et écrire c'est bien
Apprendre à aimer et penser, c'est mieux.
Les gens ne sont pas bons
le pire, c'est qu'ils le croient
Ils ne se sourient plus
ne se découvrent plus
ne s'acceptent plus
ne se tolèrent plus
ne s'entraident plus
ne s'aiment plus
ils se méfient l'un l'autre avant de se méfier d'eux même…
Deux religions monothéistes passent leur temps
à se foutre sur la gueule, à noyer la terre de sang
alors qu'elles sont les mêmes, sensiblement
On remplace les mots pour ne plus les penser
Un jour, on supprimera "Liberté" du dictionnaire
et ça en sera fini
La liberté est morte
avec le loyer, le salaire, la télévision, le canapé,
le préservatif, la religion, le développement personnel
la psychiatrie, le libéralisme,
le culte du physique, la bienséance, SOS racisme
SOS féminisme, SOS mal bouffe, SOS anti cancer
SOS ….
Les associations ont flingué la liberté d'expression
on ne peut plus rien dire, sinon on est condamné d'avance
La fête de la musique a tué la musique
Les festivals ont tué le petit bal du samedi soir
30 ans dans ce monde
dégouté des études
du travail, de l'époque, du désir de ce canapé Do It Yourself
de la culpabilité de ne savoir bricolé
de la culpabilité d'être un solitaire
les yeux un peu trop ouverts
le cœur un peu trop blessé
J'ai tellement flingué mes dents à trop vouloir croquer
ce monde trop dur
que je n'arrive plus qu'à faire une chose,
ruminer des rêves qui ne pourront exister