« C’était prévu : nous l’avons fait ! », assène pour toute excuse l’un des gros bras de la CGT pour justifier l’expulsion par la force, ce 24 juin, des sans-papiers occupant l’annexe de la Bourse du travail, rue Charlot à Paris.
Il est midi, en effet, lorsque des bruits de lutte retentissent dans la cour du bâtiment. Une cinquantaine d’hommes masqués, matraque à la main et brassard rouge au bras droit, s’introduisent en force avant de poursuivre les occupants pour les sortir de l’enceinte du bâtiment.
Comme tous les mercredis matins, la Bourse du travail a été pratiquement désertée par les sans-papiers, partis pour manifester dans la capitale. Seuls quelques-uns occupent encore les locaux comme sentinelle arrière.
Mais il suffit de quelques secondes pour que s’engagent des affrontements d’une rare violence. Face aux coups de matraque des « services d’ordre » de la CGT, les occupants balancent des chaises et autres ustensiles qu’ils ont sous la main. Rapidement, les hommes masqués utilisent les gaz lacrymogènes sans oublier, d’un seul homme, de se protéger eux-mêmes avec des lunettes de piscine. La résistance est vite brisée.
En face, les sans-papiers, surpris par la violence de l'intervention, tentent de fuir dans les étages. Mais ils sont rapidement ramenés par les militants syndicaux. La CGT a pris le contrôle de la Bourse, et en filtre les entrées et les sorties. En une vingtaine de minutes, en tout et pour tout, les derniers résistants sont jetés dehors. Les plus dociles quittent, sans entrave, le bâtiment au milieu des hommes qui gardent leur masque pour ne pas être identifiés.
Initiative purement CGT ou de concert avec la police ? A voir un agent de police en uniforme, sur le coup des 13 heures, parlementer avec les forces CGT dans l’enceinte du bâtiment, la question semble légitime. S’agit-il d’une action émanant de la seule CGT ou d’une expulsion fomentée avec les forces de l’ordre ? Derrière la porte de la Bourse, des sans-papiers de retour de manif. n’ont pas manqué de tambouriner pour rentrer. Mais le cordon des CRS, arrivés en moins d’une demi-heure sur les lieux, avec une quinzaine de cars, les a écartés avant de boucler le quartier. « Nous avons été surpris par ces événements », lâchera finalement un policier en civil, arrivé sur le tard dans les bâtiments, pour évacuer un occupant blessé, et pris en charge par trois sapeurs-pompiers de Paris.
Environ 800 sans-papiers occupaient, depuis le 2 mai 2008, l’annexe Eugène Varlin de la Bourse du travail, aux abords de la place de la République. Début 2008, la CGT avait d’abord incité certains sans-papiers, souvent adhérents, à déposer des dossiers de régularisation de leur situation dans le cadre de la nouvelle législation sur l’immigration. Des associations de sans-papiers, aujourd’hui regroupées au sein de la coordination 75, se sont alors senties exclues. Et, elles avaient décidé d’occuper les locaux en réclamant que tous les dossiers soient régularisés.
Avec ce coup d’éclat, la CGT vient donc de les en déloger par la force. Et, derrière les portes closes, en ce début d’après-midi, les manifestants sans-papiers font front aux CRS. Sur le boulevard du Temple, à quelques encablures de l’annexe Varlin, ils sont encerclés. Impossible de s’en approcher. L’attente s’est installée tandis que les expulsés entonnent des slogans et des appels à la République. A un moment, un mouvement de foule s’engage, et aussitôt les CRS balancent les gaz lacrymogènes. Une femme s’affaisse, plus loin, sur le trottoir, cherchant à respirer.
L’usure aura-t-elle raison des sans-papiers, à la rue ? « Nous devons rester et attendre que la mairie de Paris nous propose une solution d’hébergement », lançait pour tout espoir un membre de la coordination 75, à la force de son porte-voix.
Marc Torl, journaliste
Compléments d'information :
« L’amalgame avec la CGT nous a agacé », la préfecture de police de Paris
Interrogée hier, la préfecture de police de Paris a insisté sur l’absence de concertation entre les services de police et l’intervention de la CGT pour déloger les sans-papiers de l’annexe de la Bourse du travail de Paris qu’ils occupaient. « Cela a été une opération à l’initiative de la seule CGT », a confirmé la porte-parole de la préfecture de police de Paris, Marie Lajus. « Nous avions des effectifs sur place pour la manifestation des sans-papiers entre la Bourse et la place du Châtelet. Mais, il nous a fallu un peu de temps avant de comprendre ce qui se passait à l’intérieur de la Bourse. Face aux tensions très fortes, nous avons ensuite ramené des effectifs de police qui ont pu paraître importants. Il fallait escorter les dernières personnes pour éviter une mise en contact entre CGT et sans-papiers… »
Sur la question d’une expulsion envisagée, la porte-parole en réfute tout projet du côté de la police : « Nous ne pouvons intervenir qu’en cas de réquisition légale. Cela peut se faire dans les premiers jours d’occupation. Maintenant, il aurait fallu une décision judiciaire pour lancer une telle expulsion. »
"Nous n'avons pas mis les sans-papiers à la rue", la CGT
Après le reportage d'hier sur le déroulement de l'expulsion des sans-papiers, j'ai pu joindre ce matin et la préfecture de police de Paris et l'union départementale parisienne de la CGT. Le service de presse de la préfecture a nié avoir été impliqué en amont, avec la CGT, pour expulser les sans-papiers. Le cabinet du préfet a relaté que "les services de l'ordre (qui encadraient le défilé des sans-papiers) accompagnaient juste le défilé et ont été les premières à arriver sur place à leur retour du défilé. Qu'en revanche, les forces de police avaient été requises plus tard, en début d'après-midi".
Du côté de la CGT, Bernadette Citot, la responsable communication de l'union départementale 75, a réfuté "tout dérapage". "Cela s'est passé de façon calme et pacifique. Mais face au déchaînement de violence des sans-papiers qui ont jeté du matériel, les forces CGT n'allaient pas rester les bras croisés. Mais il n'y a pas eu de gaz lacrymogènes..."
Des propos qui m'ont laissé pantois. Non seulement l'un des assaillants CGT tenait à la main une longue bombe rouge, ressemblant plus à un extincteur de voyage, et en a largement aspergé les sans-papiers. Mais le service d'ordre a foncé franco sur les sans-papiers pour les expédier manu militari. Mis à part le déchaînement de cette violence choquante et gratuite, il n'y a effectivement pas eu d'intention de casser du sans-papier. "Seulement" une méthode peu digne d'un Etat démocratique.
La CGT se défend cependant en précisant que depuis plus d'un an, elle a tenté d'accompagner les sans-papiers pour la régularisation de leurs situations. "Nous ne nous sommes pas contentés de demander ! Nous avons eu une série de discussions, de réunions, de tentatives de résolution du conflit. Associations et défenseurs des sans-papiers ont été largement associés... Malgré nos propositions et projet de protocole d'accord, rien n'a bougé. Nos propositions ne convenaient jamais. C'était une occupation pour nuire à la CGT sans que des pressions ne soient réellement exercées ni sur le patronat, ni sur le gouvernement. Nous n'avons pas mis les sans-papiers à la rue. Ce sont quand même les locaux de la ville de Paris..."