(Réflexion d’un cinéaste autour de « La parade des talibans avec leurs trophées français », article de PARIS-MATCH N°3094).
L’ennemi est-il un contre champ parfois insaisissable, anonyme, abstrait, presque mythique, juste concret du constat de la mort donnée, de la mort reçue dans l’enclos d’une peur partagée.
Nous voudrions nous situer, antagonistes, de part et d’autre d’une séparation invisible, alors que nous composons un ensemble indivisible.
Le champ contre champ n’a pas de transition, pas de limites, c’est un leurre. Nous le voulons manichéen. Il n’est qu’une sphère, l’unique champ du monde, non celui d’une mondialisation, détestable expression monomaniaque susurrée dans une médiatique, vulgaire litanie.
Pluriels, d’identités multiples, nous sommes en quête d’un ennemi, non pour un contact direct, « dialectique », mais dans une approche imprudente, impudente, jusqu’à peut-être, yeux dans les yeux, boire ensemble le thé de l’inimitié et que la dépouille de l’un soit consensuelle, la pavane, le trophée, le pavois de l’autre.
De moins en moins, le propos narratif lui-même, sa teneur, son contenu, ne m’apparaît comme une valeur juste. Il ne prend de valeur, aujourd’hui, que d’une forme désinventée, de sa disparité, de sa dispersion, de sa vaine, impensée sophistication.
L’écriture, la parole, le langage deviennent ennemis de l’écriture de la parole et du langage, alors que nous nous parlons apparemment dans la proximité, dans l’échange le plus direct, le plus immédiat, le plus rapide.
Je vois, je lis dans Paris-Match, là-bas, la photo de la montre prise sur la dépouille d’un soldat et je vois le lendemain même, à la télévision, ici, cette montre dans la main de la mère du soldat mort.
Quelle heure est-il ?
Marcel Hanoun - Resson, le 07/09/2008