Il y a trois catégories d'émotions. Celle des tripes, celle du cœur, celle du cerveau. Lorsque les deux premières prennent le pas sur la troisième, il y a problème.
Lors de l'attentat contre Charlie Hebdo, j'ai ressenti une grande émotion du cœur, de la peine et de la colère. J'ai dit, moi aussi: Je suis Charlie ! Parce qu’à bien des égards, je me sentais touché par le drame humain et politique qui atteignait aussi violemment Charlie Hebdo. J'ai pleuré parce que ces hommes étaient bons. Tuer Wolinski, Cabu et Charb c'est tellement insensé. Mais depuis ce terrible attentat, c'est mon cerveau qui ne cesse de réagir. "Je suis Charlie" proclament de braves gens. Leur émotion m'a bouleversé. M'a surpris même. Les manifestations populaires spontanées, rassemblant des dizaines de milliers de gens, resteront la référence pour apprécier le ressenti des Français face à un tel drame. C'est mon cerveau qui le dit. Il me dit aussi que l'émotion populaire est mise à contribution pour faire passer des messages dangereux. Mon cerveau me dit qu'il y a récupération politicienne. C'est la chose la plus exécrable qui puisse être mise en œuvre en échos à l'assassinat de journalistes et de policiers venus les protéger.
On nous dit : Unité nationale et même européenne. J'hallucine. À des milliers de gens qui vont venir manifester avec leur cœur, leur colère et leur peine, on va imposer la direction de François Hollande, de Nicolas Sarkozy, d'Angela Merkel, de David Cameron et d'autres.
On manifeste pour défendre la liberté de la presse rachetée aujourd'hui par des banques et des groupes financiers ? On manifeste pour défendre la liberté du vivre ensemble des victimes et des bourreaux ?
On manifeste pour aider notre jeunesse ? LA RÉPUBLIQUE manifeste pour que la jeunesse sorte de sa pauvreté intellectuelle et matérielle dans un pays aussi si riche que la France ? Si riche que les grandes entreprises et groupes financiers expatrient leurs capitaux pour ne pas être contraints d'aider notre jeunesse à bien vivre.
Quelle hypocrisie !
Qu'est-ce qu'on va faire pour éviter que d'autres jeunes tombent dans la tentation djihadiste ?
Ceux qui vont se trouver en tête du défilé sont ceux qui par les conséquences de leur politique créent les meilleures conditions pour produire demain de nouveaux terroristes.
Nos jeunes des banlieues et des cités ne sont pas génétiquement des délinquants ou des fous d'Allah. Ils ne demandent qu'à vivre avec un travail, un logement, un environnement humain. Ils se sentent stigmatisés, abandonnés. Ils sont au RSA, quand ils y sont, pendant que d'autres flambent des milliards dans les paradis fiscaux. Ils vivent dans une société du non-sens absolu. Comment voulez-vous qu'ils n'aient pas le sentiment qu'on les prend pour des cons ? Demain, il y a des chances pour que nombre d'entre eux pensent que c'est contre eux qu'on manifeste.
Encore un mot, en restant dans l'émotion du cerveau : Tous Charlie ? Non pas tous ! Pas tous ceux que j'ai vus hier à la télévision et qui tout le long de l'année ne pensent qu'à leur petit profit, leur petit confort, leur petite promotion médiatique en mettant en avant leur apolitisme. Ces gens-là sont petits, petits à côté des Wolysnky, Charb, Cabu, Tignous et leurs copains.
Marcel TASSY