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Billet de blog 1 mai 2025

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Libérons-nous ! Levons-nous ! Nous sommes tous·tes dans le même bateau du patriarcat

La société a largement pris conscience des violences faites aux femmes : énorme victoire ! Mais le chemin n’est pas fini, et pour continuer à avancer, les hommes doivent eux aussi se lever et se lancer dans un effort personnel et collectif d’examen des moteurs toujours présents de la subordination des femmes. Pour leur libération, et pour celle des hommes! Car on ne naît pas homme, on le devient.

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Réponse à GRAND CHAOS qui écrit dans un commentaire à mon billet « Chers hommes, levez-vous ! » :

« Se lever ? Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire, concrètement, en situations ...

Le problème n'est-il pas justement qu'il y a "trop de Yang" ? »

Je reformule ces questions de GRANDCHAOS telles que je les ai comprises : qu’est-ce que j’ai bien pu vouloir dire en invitant les hommes à « se lever », alors qu’ils sont bien (trop!?) actifs dans les hautes sphères du pouvoir, dans les médias, dans les guerres, etc. ? – car, GRANDCHAOS, c’est bien ça que vous questionnez en parlant de « trop de yang », n’est-ce pas ?

Et bien ce que j’ai voulu dire par là, c’est que la refonte de l’organisation sexuée de notre société ne pourra pas se faire sans vous, chers hommes, et que si nous voulons vivre plus harmonieusement les un.e.s avec les autres, il va falloir que vous aussi vous fassiez un effort, dans le but de court terme pour que les violences les plus flagrantes faites aux femmes cessent et avec un objectif structurel parce que libérer les femmes du rôle qui leur est assigné, c’est aussi libérer les hommes.

Pour le moment, le combat féministe est essentiellement porté par des femmes. Si j’ose dire, la charge mentale du féminisme est portée par les femmes. En plus d’être discriminées sexuellement, économiquement, socialement, de travailler beaucoup plus à la maison (10h/semaine de plus que les hommes!) et dans la sphère professionnelle à salaire égal, elles doivent encore trouver la force psychologique de parler, de dire parfois l’horreur qu’elles ont subi, etc. Alors c’est bien normal, me direz-vous, elles sont les mieux placées pour dénoncer et exprimer leurs souffrances. Et puis « nous les hommes on les soutient ». Et puis elles ont de plus en plus accès à des postes à responsabilité. Il y a des progrès. Oui, indubitablement. Mais ça ne suffit pas. Cela me rappelle cet extrait lu dans la grande fresque d’Elena Ferrante Une amie prodigieuse, où la narratrice vit les grands changements sociétaux italiens, un pied dans le quartier napolitain pauvre de son enfance, l’autre dans les salons des grand intellectuels progressistes du moment : « Nino s’enthousiasmait sincèrement pour la manière dont les femmes se cherchaient elles-mêmes. Il n’y avait pas un dîner sans qu’il énonce que penser avec elles était désormais la seule vraie manière de penser. Cependant, il se réservait toujours des espaces et des activités, se mettait toujours au premier plan, lui et lui seul, et ne cédait pas une minute de son temps. »1. C’est à mon sens un passage emblématique du fonctionnement de beaucoup de couples d’aujourd’hui, y compris progresssites.

Il ne suffit pas de dire que l’on est contre les violences sexuelles ou de ne pas battre sa compagne pour que les siècles de construction d’une société où les femmes sont considérées comme moins importantes que les hommes disparaissent de nos mentalités et de nos façons d’agir.

Ce que l’on voit dans l’affaire Depardieu, où le silence des témoins a recouvert le vacarme sexuel assourdissant des obsessions de l’acteur sur les plateaux de tournage, c’est qu’un homme a dépassé les bornes. Bon. Mais comment se fait-il que personne n’ai levé le petit doigt ? Si les agressions sexuelles relèvent bien de la seule culpabilité de leurs auteurs, le tabou qui les entoure, lui, est porté collectivement. C’est une question de climat, si vous voulez. Et la question, c’est de savoir quels sont les petits trucs qui, bien que non répréhensibles par la loi, dans notre façon de nous comporter au quotidien, contribuent à laisser penser que les femmes sont subordonées au reste de l’humanité. Et ce travail là, il est à faire tout le temps. C’est-à-dire qu’il est AUSSI nécessaire dans les situations où nous ne sommes pas vu.e.s par le reste de la société. Il est AUSSI nécessaire dans les endroits les plus secrets de notre vie, et notamment de nos désirs qui sont bien plus politiques qu’on ne le pense. Il est AUSSI vrai dans l’intimité quand nous laissons voir à nos enfants un schéma de fonctionnement familial où on peut par négligence très vite les laisser penser qu’il est normal qu’une femme pense beaucoup plus souvent que l’homme à prendre les rendez-vous médicaux, à soigner les grands-parents, à laver les toilettes, à lancer une lessive, à veiller aux devoirs des enfants, à leur cuisiner des repas équilibrés en temps et en heure pour qu’ils mangent puis aillent se coucher à des heures respectables, à offrir une oreille attentive à la colère du petit dernier et au coup de blues de la grande ado, etc. bref, à se mettre au service des autres.

Est-ce qu’il y a un continuum allant de la non-chalance ménagère à l’agression sexuelle caractérisée comme ce qu’a vécu Muriel Pélicot ? Et bien je ne suis pas loin de le penser.

L’autre point, c’est que dans une société patriarcale, il n’y a pas que les femmes qui sont enfermées dans un rôle. Les hommes le sont aussi, même si les effets ne leur sont pas aussi délétères que pour les femmes. Les injonctions à la virilité sont aussi facteurs de mal-être pour les hommes eux-mêmes, les empêchant d’être qui ils sont ou veulent véritablement être, poussant certains à un mal-être fou car ils ont tellement bien intégré l’idée que les femmes leur doivent obéissance et respect qu’ils se retrouvent démunis lorsqu’une femme refuse leurs avances (Amia Srinivasan en donne un exemple2), ou qu’elles émettent des opinions divergentes. Je me demande même si ce n’est pas exactement ce mécanisme qui est la cause de la plupart des violences conjugales et/ou sexuelles. Je suis longtemps sortie avec un homme qui avait grandi dans un milieu où il était inconcevable qu’une femme rentre chez elle après 23h. La dernière scène de notre vie conjugale se résume à cela : des insultes de cet homme, hors de lui, parce que j’étais rentrée à 23h30. D’une certaine façon, il avait échoué en temps qu’homme à se faire respecter. Pourtant, je ne l’ai jamais trompé, j’étais une bonne petite compagne bien sage, "bien sous tous rapports". J'avais des tenus extrêmement "sages et respectables", je n'avais que des amiEs, etc... Finalement, cet homme-là n’était pas fondamentalement mauvais, mais dans notre histoire, il a été en permanence tiraillé entre son amour pour moi et son bain éducatif et culturel qui lui avaient fait croire que sa force venait de sa masculinité alors qu’elle venait juste de lui, de sa personne et qu’il pouvait se faire confiance. Ce n’est pas parce que sa copine rentre tard le soir qu’il est nul ! Si les femmes ne naissent pas femmes mais le deviennent, de la même façon et de façon inextricablement liée, les hommes ne naissent pas hommes, mais le deviennent !

Et pour que chaque homme, personnellement et intimement, en prenne conscience, il va bien falloir qu’ils se mettent sur le même chemin que celui emprunté avant eux par de nombreuses femmes : celui de la déconstruction.

Et pour se mettre en chemin, oui, il faut « se lever », se mettre « en marche ». Se mettre en marche, c’est accepter de partir à l’aventure. Et faire un effort. Pas moyen de rester passif et de se contenter des beaux discours sur cette route-là. Et en cela, je vous rejoins, GRANDCHAOS, sur votre piste d’action : « Écouter mieux, vers écouter Bien, essayer de prendre une place juste (pas "trop", même si beaucoup ?), chercher sur soi, ... nuancer aussi, pour ne pas non plus prendre la culpabilité de ce qui ne m'appartient pas : mes pistes. ». « Ecouter », c’est loin d’adopter une posture passive, de même que s’écouter, pour ne pas s’épuiser, se perdre et se croire logé à l’extérieur de nous-même. Ce travail-là, les femmes le font déjà. Il leur est indispensable pour leur survie au quotidien et pour lutter pour le meilleur au niveau sociétal.

Se mettre à l’écoute, c’est se poser des questions, sans cesse, sur soi, sur le fonctionnement de notre machine collective, pour se donner la possibilité d’entendre et de s’entendre. Et c’est donc se mettre à la hauteur des autres. Je garde en tête que les tendances observées ne sont pas les individualités, mais on ne peut pas ne pas les questionner et, à mon sens, il faut que les hommes fassent, comme beaucoup de féministes, l’examen d’eux-mêmes et de leur place dans un aller-retour continu entre les tendances observées et les résultats des études sociologiques d’une part et leur vie personelle, intérieure, intime, ménagère et professionnelle d’autre part. La critique sociale n’est pas déconnectée de nos vies.

Il me semble que pour le moment, la grande majorité des hommes adoptent des postures de « sachants » ou alors théorisent le féminisme, partagent intellectuellement ses luttes mais ne font pas ce travail d'auto-examen.

Cette posture de "sachants" s'exprime aussi dans leur faible occupation des postes de métier d’écoute, de soin et de services à la personne, à moins qu’ils ne soient liés à un prestige social ou économique  :

- accompagnant.e.s des élèves en situation de handicap : 93 % de femmes3 ;

- 90 % des aides- soignantes en activité, 87 % des infirmières salariées et 82 % des infirmières libérales sont des femmes.4 ;

- les salariés des services à la personne (garde d'enfants, préparation des repas, ménage, petit bricolage, jardinage, etc.) sont à 87 % femmes 5 ;

- 85 % des prostitué.e.s sont des femmes6 ;

- 86 % des psychologues sont des femmes (mais bizarrement à peine 50 % des psychiatres)7 ;

- etc.

Mon observation personnelle (qui vaut ce qu’elle vaut, on est d’accord!) m’incite à penser que cette posture de « sachants » colle à la peau des hommes. C’est la carapace qu’on leur enjoint de prendre dès tout petit. Surtout, il faut être fort, pas d’apitoiement sur soi-même, pas d’observation de ses émotions qui ne servent à rien. Or, je pense sincèrement là encore que les hommes, à cet endroit-là, sont aussi prisonniers que les femmes. Si on n’est pas capable de s’examiner soi-même, de se reconnaître parfois heureux, parfois triste et d’autres en colères (etc...), nous risquons d’être esclaves de nos réactions, abîmant ainsi des relations avec des personnes qui nous sont chères. Nous risquons également fort de ne pas savoir reconnaître non plus chez les autres les signaux d’une joie, d’une tristesse ou d’une colère et de nous retrouver captifs de situations qui nous sont alors incompréhensibles. Nous risquons de ne pas savoir prendre soin de l’autre auquel/à laquelle nous tenons tant.

Alors, chers hommes, osez la vulnérabilité ! La vulnérabilité n’est pas l’absence de force !

Et à ceux qui pensent que je souhaite diviser l’humanité en deux camps élevés l’un contre l’autre – les femmes contre les hommes – je leur dis qu’ils se trompent ! Je souhaite juste participer au travail collectif de ramener chacun à ce qu’il est radicalement : un être vivant.e dans un environnement d’autres êtres vivant.e.s.

Sandine Rousseau dans Blagues Bloc sur Mediapart, 2 avril 2025 :

« On passe des crans. Ca va être difficile de revenir en arrière [c’est-à-dire à une société inconsciente des méfaits du patriarcat, antérieure à Metoo et aux procès Pélicot notamment8]. [...]Il y a juste un dernier verrou. Là on est dans un truc, les hommes contre les femmes et ça c’est pas bon. En fait on a besoin vraiment d’avoir une vision politique, de donner à voir politiquement ce qu’est une masculinité non toxique, une masculinité respectueuse, une masculinité égalitaire et pour ça on a vraiment besoin que vous vous bougiez et que vous la montriez, cette masculinité non toxique, parce que ça permettra de sortir d’une espèce d’impression de guerre de tranchée alors qu’en réalité c’est [le véritable conflit9] vraiment le camp progressiste contre le camp réactionnaire. »10

Bien à vous,

Marcelle

1Elena Ferrante, Une amie prodigieuse, Tome IV L’enfant perdue, p;264-265, 2014, Gallimard

2Amia Srinivasan, Le droit au sexe, Le féminisme au XXIème siècle, Editions Points, 2024, p.121-153 : « Peu après le tuerie de Rodger, les incels se sont rendus sur la manosphère pour expliquer qu’au bout du compte, c’étaient les femmes (et le féminisme) qui étaient responsables de ce qui s’était passé. Si l’une de ces « vilaines garces » avait simplement baisé Elliot Rodger, il n’aurait pas eu à tuer qui que ce soit. Les commentatrices féministes se sont empressées de souligner ce qui aurait dû être évident : qu’aucune femme n’était obligée d’avoir des rapport sexuels avec Rodger, que son sentiment de surlégitimité sexuelle était un parfait exemple d’idéologie patriarcale, et que ses actes constituaient une réaction prévisible, bien qu’extrême, à l’empêchement de ce sentiment de surlégitimité. Elles auraient pu ajouter que le féminisme, loin d’être l’ennemi de Rodger, pourrait bien constituer la principale force de résistance au système même qui l’avait se sentir inadapté – en tant que garçon petit, maladroit, efféminé et métisse. »

3Source : https://www.education.gouv.fr/panorama-statistique-des-personnels-de-l-enseignement-scolaire-2022-2023-379668

4Source : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2024-06/DM15.pdf

5https://www.vie-publique.fr/en-bref/19976-salaries-des-services-la-personne-majorite-de-femmes-peu-diplomees

6https://fondationscelles.org/pdf/FACTS/09-La-prostitution-obstacle-egalite-femmes-hommes-pages110-118-RapportFACTS.pdf

7Source : DREES, 2021

8Ndlr

9Ndlr

10Ma retranscription

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