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Billet de blog 8 janvier 2025

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AESH : quand un peu de psycho ne nous ferait pas de mal !

Le 16 janvier prochain, les AESH feront grève pour réclamer une rémunération décente et mettre fin à leur statut précaire, réclamations ô combien légitimes... mais insuffisantes ! Car il faut aussi défendre notre droit à obtenir de meilleures conditions d'accompagnement des élèves, et ce qui est un droit pour nous est, me semble-t-il, un devoir à l'égard de ces derniers.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans ce billet, je vous propose un aperçu fugace de mes questionnements et de mes souhaits pour améliorer (et pourquoi pas révolutionner!) l'accompagnement des élèves "en situation de handicap", notamment en ce qui concerne un aspect omni-présent mais trop rarement mis sur la table dans les relations pédagogiques avec les élèves : les enjeux psychologiques.

J’ai un petit carnet à couverture rigide rouge dans lequel je prends des notes concernant mon travail d’AESH. Je ne m’y censure pas. Ce ne sont pas des notes strictement professionnelles. Des notes factuelles côtoient donc des phrases plus sensibles et subjectives qui jouent elles le rôle d’une sorte d’exutoire. Ces notes me servent à préparer des réunions (enfin, les parties factuelles) mais aussi à prendre le temps de me regarder dans mes relations avec les élèves (et parfois aussi avec les adultes).

Hier soir, après deux journées de collège au retour des vacances de Noël, j’y ai noté ceci1 :

07/01/25

Luc

Parti en vacances après 3 refus coup sur coup de réaliser les évaluations respectives de physique, maths et français car très contrarié.

Retour de vacances : je suis arrivée quelques minutes après que les élèves se sont installés pour le cours de maths. Luc était en train de tendre une calculatrice à Mme Tauban (pour remplacer celle qu’il ne lui avait apparemment pas rendue lorsqu’elle la lui avait prêtée?) et celle-ci de lui dire sur un ton neutre : « Ce que je veux Luc, c’est pas que tu me donnes une calculatrice. C’est que tu aies la tienne en cours et en évaluation ». Luc, muet.

Je salue d’un sourire Mme Tauban, je m’assois à droite de Luc. Je me tourne vers lui qui regarde ailleurs, et moi, toujours souriante :

« Bonjour Luc. »

Il me jette un regard furtif.

Muet.

Le cours commence.

Je lui propose d’écrire les énoncés de calcul pour faciliter sa mise au travail et minimiser ses efforts de graphie (élève dit, entre autres diagnostics, « dysgraphique »). Muet. Il se cure les ongles avec la pointe de son compas.

J’écris les énoncés de calcul et fais glisser le cahier devant lui.

Muet, Luc. Il est en plein découpage. Son absence totale m’évoque une contrariété de niveau moyenne-basse.

Il griffonne les réponses à l’exercice. Je l’observe en coin. Il ne griffonne QUE les réponses.

« Luc, c’est très bien ce que tu fais. Tes résultats sont justes. Mais tu sais que c’est bien, en 4ème, d’écrire les détails des calculs. Ça fait partie des choses à apprendre en plus de la réalisation du calcul. Tu les rajoutes ? »

« Non ». Luc reprend son « bricolage ».

Je prends la correction (les fameuses « étapes de calcul » exigées par les professeurs de maths pour avoir tous les points aux évaluations) puis nouvel exercice. J’écris l’énoncé. Il écrit ses réponses.

Muet.

Sonnerie.

« Je note le travaille dans ton agenda ? »

« Non »

« Je te note au moins d’amener ta calculatrice pour les contrôles groupés, ça coûte rien. »

« Non, ça sert à rien ».

Le cours se termine. Muet, Luc. Bien déterminé à s’auto-saboter et à oublier une nouvelle fois sa calculatrice en contrôle.

Au moment de souhaiter une « bonne journée et à jeudi », Luc, muettement, est parti.

Je dis à Mme Tauban, une fois les élèves sortis : « Je me sens démunie. »

Elle : « Moi aussi. Quand on entend la mère dire qu’il est « une plaie », on se dit que si elle ne croit pas en lui, on ne voit pas trop comment il pourrait se couler dans le moule de l’élève qui va s’aider lui-même. Dommage. Il a pourtant les capacités ».

Sandy

Je remplace ma collègue auprès d’elle en évaluation d’SVT : très souriante, relativement causante par rapport à ce que j’ai connu d’elle l’an dernier. Accepte d’utiliser des aides de repérage (surligneur, couleurs) sur le sujet (alors même qu’il allait falloir le rendre et l’exposer au regard d’un tiers!).

A osé me dire d’abord qu’elle n’avait pas de copies doubles vierges, puis + tard pas de crayon à papier et pas de règle pour que je lui en prête : VICTOIRE ! Elle oublie son matériel et en plus, elle le dit d’elle-même ! (Oui, c’est bien ça ! Pour Sandy, accepter de se tromper et d’exposer son imperfection en le disant avant que l’adulte ne le remarque, c’est une incroyable victoire!).

Devant un.e élève qui cache tous ses « défauts » et ne dit RIEN, reste même immobile dans la position de la Joconde comme si on lui avait demandé de ne pas bouger, comment je peux agir ? (c’était le comportement de Sandy en cours l’an dernier). Comment je peux l’amener, doucement, en trouvant ensemble un mode de relation qui permet la confiance, à expérimenter d’autres méthodes de travail, à lui donner de l’intérêt pour le contenu et SURTOUT à lui montrer que, SI, il.elle et capable de beaucoup ? Comment entrer en relation quand l’élève ne répond pas ?

Pas d’existence, pas de relation avec les autres si on n’accepte pas notre droit à l’erreur, notre droit d’avoir des défauts, d’exprimer notre OUI ou notre NON. Sous-vie.

Comme dans Nancy Houston2. L’Allemande qui ne dit NON à rien ni à personne, réduite à l’état de fantôme par les traumatismes de la guerre.

Comme je me sens bien peu outillée dans ces situations ! Des séances d’analyse de pratique pourraient aider mais malheureusement, celles qui devaient avoir lieu cette année ont toutes été annulées, faute de participant.e.s.

Et puis, pouf ! Une fois de plus, au détour d’un livre, je trouve une petite bouffée d’oxygène. Le bouquin en question est d’Emmanuelle Piquet et Alexandra Elia. Il s’intitule Nos enfants sous micoscope. Je ne prétends pas que cet ouvrage est extraordinaire ou ne l’est pas. Je n’ai pas les connaissances fondamentales nécessaires pour étayer un avis ou un autre.

En fin de bouquin, je lis le témoignage de cette enseignante qui, lors d’une séance d’analyse de pratique, évoque un élève très lunaire. L’enseignante décrit une situation où tous, c’est-à-dire elle-même, les parents ainsi que l’élève lui-même, tentent de lutter contre cet état des choses. Finalement, c’est l’encouragement à l’élève à se déconcentrer lorsqu’il en a besoin (selon l’expression du bouquin) plutôt que la volonté de combattre la déconcentration qui va petit à petit limiter les phases de repli en soi du petit en question.

Ce témoignage, dans les difficultés vécues à entrer en relation avec l’élève et à l’amener à se mettre au travail, est comme un clin d’œil à ce que je vis avec les élèves

Dans la solution trouvée, je vois une notion de solidarité avec l’élève, y compris avec la partie de lui qui ne peut pas faire, peu importe la raison, et aussi une responsabilisation de l’élève face à sa propre concentration.

Je me pose moi-même souvent ces questions : comment redonner de la douceur à l’élève ? Comment lui permettre de « se réunifier » ? lui permettre d’entendre ses blocages et de ne pas, moi, adulte, essayer de les chasser en espérant vainement la coopération de l’élève, mais plutôt de l’accompagner pour qu’il puisse les accepter puis les apprivoiser ? L’accompagnement des AESH ne revient-il pas, quelques fois, à ajouter de la lutte à la lutte ?

Comment aider l’élève à respirer mieux, sans être tout-à-fait sûre de n’être pas en train de gripper davantage son épanouissement, le tout sans formation adéquate, ni des AESH, ni des professeurs, sans véritables espaces de mise sur la table de notre travail, sans suivi psy des parents souvent en difficultés pour accompagner au mieux leur enfant, et dans un environnement scolaire avec beaucoup d’attentes, des horaires contraintes, des plannings à suivre, etc...

La lecture de passages de Nos enfants sous microscope vient confirmer mon intuition que les aspects psychologiques des relations parents-enseignants-AESH-élèves sont insuffisamment explorés pour améliorer l’accompagnement de ces derniers.

Comment pourrait-on améliorer le soin à la dimension psychologique pourtant fondamentale dans le lien adultes-enfants sans pathologiser à outrance ?

1Les prénoms ont été changés.

2L’empreinte de l’ange

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