Jeudi 12 mars 2025
Le cours de physique-chimie est annulé pour cette classe de 4ème, dont j’accompagne un élève. Le jeune professeur, en formation, est remplacé par son collègue. Ce dernier choisit de leur projeter de petits films de quelques minutes sur la fabrication des objets.
Vidéo sur l’uranium. Marius est assis tout devant aux côtés de ses copains tandis que je suis restée assise à une paillasse, au fond.
Je regarde, un peu hébétée, le reportage. La voix off masculine est bizarre. Je ne mets pas de sens à ce que j’entends. La voix enchaîne les phrases sans respirer, les coupe en plein milieu. Le timbre donne envie à mon cerveau de croire à la présence d’un humain, mais non. Désagréable inconfort. L’intonation est peu variée.
Je jette un coup d’œil à Marius. Maintenir son attention lui demande un gros effort à cause de « son trouble » et ses camarades, dans ce groupe, sont loin d’avoir la maturité pour l’y aider. Pas d’agitation notable pour le moment sinon ce qu’il ne peut pas maîtriser : son omoplate droit semble se débattre, soumis aux forts spasmes qui prennent son bras droit depuis quelques semaines. Changement de traitement ?
Je reviens à la vidéo. Industries dangereuses – usines – technologies de pointe. Ça bouge mais tout n’est que mort sur ces images en mouvement. La voix dit « péneuz » pour « pneus ». Clameur et ricanements des élèves qui ne s’en remettent pas. Tant mieux, finalement. Ils ne se laissent pas faire - pour le moment…
Machines – automatisme – puits de pétrole – robots – tout n’est que mécanique, jusqu’à la voix et au rythme des vidéos. Ils ont été pensés pour nous,téléspectateurs, et sont sensés nous relier en nous informant à toute cette technologie, mais ils sont mortifères.
Froideur – gris qui confinent à la déprime.
Je ne peux pas m’empêcher de faire le lien avec ce que ces élèves ont déjà gentiment écouté hier en cours de techno : la diffusion, requise par le Ministère de l’Education, d’un powerpoint dans le cadre d’Educfi. Au début, j’ai cru à une simple sensibilisation aux questions d’argent. C’en est une, mais il s’est avéré que c’est aussi un vrai encouragement à placer son argent. Ce n’est donc pas une aide aux choix éclairés ou bien une initiation à la démarche de réflexion sur l’économie et ses mécanismes mais bien une sorte d’outil idéologique. En tous cas, j’ai du mal à y voir autre chose. Voyez plutôt, par exemple sur cette diapo extraite du fameux powerpoint :
Source : https://eduscol.education.fr/180/education-economique-budgetaire-et-financiere-educfi le 13/03/2025
Eh ben ! Ils sont pas gâtés ces jours-ci les 4èmes !
Cela fait des années que je suis AESH. J'ai assisté à des heures d'enseignements de la petite section de maternelle à la 3ème et officie actuellement dans un collège.
Sachant que, selon la CIIVISE, « Seulement une personne sur dix sait que 5 millions de Français ont été victimes de violences sexuelles lorsqu’ils étaient enfant, 8 sur 10 sous-estimant ce chiffre. »1, sachant que l'horrible maltraitance des mineurs persistent, ruinant des vies à peine commencées, comment se fait-il qu'au cours de ces années de travail en établissement scolaire j'ai eu l'occasion de voir des gosses de 13 ans être sensibilisés à des problématiques d’argent ET de placement d’argent - qui ne les concernent pas encore - mais que je n’ai RIEN RIEN RIEN vu de fait pour les sensibiliser, dès le plus jeune âge - avec les mots et les angles d’attaque adaptés -, au respect de leur corps et même, plus globalement de leur personne et des autres ?2
Je suis en colère contre cet « ordre » des choses. Je suis outrée de cette facilité du Ministère de l’Éducation à biberonner les élèves à l’évidence que notre société tourne autour de la technologie et du capitalisme, sans que l’existence d’autres façons d’organiser notre vie/nos vies humaines ne soit même vaguement évoquée, tout en semblant oublier totalement la priorité prioritaire pour des jeunes : leur propre protection.
J’aimerais tellement que nos jeunes soient outillés pour être des adultes capables de prendre soin d’eux-mêmes, des autres et responsables de leur environnement !
J’aimerais tellement qu’au lieu d’automatismes de machine froide et impersonnelle, qu’au lieu de rêves d’argent placés en bourse, ils soient nourris d’une envie de créer, de faire de leur vie une œuvre riche, fourmillante et d’élans pour faire vivre un monde foisonnant d’idées, de poésie, peuplé de cultures diverses et grouillant d’une biodiversité gaillarde!
J’aimerais tellement pour eux un monde de courbes, symboles de mouvement, de changement mais aussi de douceur, et non un monde d’angles aigus et d’argent froid et austère !
J’aimerais tellement qu’ils ne deviennent pas à leur tour des engrenages du capitalisme, dont l’argent et/ou le travail sont parfois productifs, mais toujours infertiles !
A quand l’éducation et l’économie au service de l’émancipation individuelle et collective, bref, au service de la vie et pas de l’argent ?
Je crois en nos métiers du service public. Je crois en la nécessité de présence humaine auprès de nos élèves. Je salue tous mes collègues engagés auprès de nos jeunes dans les établissements scolaires et autres : AESH, profs, CPE et surveillants, personnels d’entretien, directeurs...
Marcelle
1Source : CIIVISE (Commission Indépendant sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants), Rapport d’étape, octobre 2023 disponible sur le site www.ciivise.fr
2CIIVISE, Suivi des préconisations, Octobre 2024