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Billet de blog 19 février 2025

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Parents un jour, parents toujours

Je vous livre un petit aperçu de mes questionnements sur l'adolescence : je me demande quelle mère d'adolescent je vais être et quelle mère je souhaite être. Je me demande quel être politique sera mon fils et comment aider nos jeunes à cultiver l'envie de croire à plus juste, plus coopératif, plus solidaire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je lis Françoise Dolto dans La Cause des adolescents1. Je cherche un chemin pour comprendre mieux ces élèves du collège dont je perçois des signaux de souffrance nets, mais dont le fonctionnement est insondable parce qu’ils ne peuvent pas dire, ou ne savent pas, ou ne veulent pas.

Alors pour les accompagner dans le cadre de mon travail d’AESH, je parle beaucoup, avec mes collègues, avec les enseignants, avec les parents quand c’est possible, pour trouver des indices qui pourront m’orienter dans le brouillard. Et puis je lis, j’écoute des émissions de radio. Je regarde des documentaires portraits sur Arte.tv - comme celui de Vincent Lindon, être blessé qui me fait tellement penser à mon frère-. Je fouille ma mémoire. Est-ce que vous vous êtes promis vous aussi de ne jamais oublier ce que c’est que d’être adolescent quand vous serez adulte, pour avoir les mots justes avec vos enfants à venir ? Moi, oui. Je n’ai pas oublié ma promesse, mais je dois bien m’arracher à moi-même cette vérité : j’ai plein de souvenirs de mon adolescence, de ses joies et de ses mal-êtres mais mes 20/25 ans de plus – d’expériences, de réflexions, d’effacement de la souvenirs – sont autant de distance mise avec la vivacité du ressenti dans le corps et l’esprit d’une façon d’être qui appartient à un autre âge.

Ce dont je me souviens encore, c’est d’avoir commencé à me sentir « adulte » vers 11 ans (aujourd’hui, je dirais plutôt que j’ai pris conscience à ce moment-là de moi-même et des injustices de ce monde). Pour le reste, et notamment la réponse à la question « quels mots aurais-je aimé entendre de ma mère ou d’autres adultes ? », je ne sais plus.

Alors je continue à fouiner, inlassablement. Je cherche dans tous les coins, dans ce que les humains disent d’eux et racontent d’histoires apparemment sans lien avec le réel. Je suis en quête. J’essaie de lire en creux de ce qui est directement audible. Ces collégiens sont énigmes pour moi. Mes congénères sont une énigme pour moi. Je suis une énigme pour moi-même.

Dans ma quête, je m’aperçois que je ne suis pas simplement en train de me construire une culture professionnelle. Je réexamine aussi mon adolescence et me projette en tant que mère. Mon propre fils ne le sait pas encore, mais il s’apprête à ôter la cloche qui l’a protégé pendant l’enfance et va ainsi progressivement se mettre à nu. Ai-je suffisamment nourri les racines de ce petit être pendant l’enfance ? Sa tige paraît plutôt robuste, mais est-ce que cette fragilité d’enfant de parents séparés et en conflit, là, qui la parcourt, ne va pas se révéler être une blessure insurmontable lorsque la plante chérie va se retrouver exposée au vent et aux variations de température et d’hygrométrie ?

Est-ce que je vais savoir accompagner cette mue de l’enfant en adolescent ? Est-ce que je vais savoir continuer à lui transmettre mon amour sans qu’il soit étouffement? Est-ce que je saurai trouver les mots pour que la jeune plante continue à s’épanouir et à chercher la lumière, pas trop vite pour ne pas que la tige file, pas trop lentement pour qu’elle puisse vivre pleinement sa vie et prendre de la hauteur sur les considérations de ses parents ? « Un jeune individu sort de l’adolescence lorsque l’angoisse de ses parents ne produit plus sur lui aucun effet inhibiteur »2.

J’ai tellement peur que le lien avec mon fils ne s’assèche par manque de considération sincère pour lui. J’ai tellement peur de reproduire le non-accompagnement de ma mère durant ma propre adolescence… plus que ça : elle m’a demandée elle de l’accompagner dans sa nouvelle parentalité, celle d’une adolescente qui voulait s’affirmer et découvrir le monde.

J’ai vu hier le film Jouer avec le feu3 avec Vincent Lindon dans le rôle du père de deux jeunes hommes d’environ 20 ans. L’un d’eux se rapproche dangereusement de l’ultra-droite. Le père essaie bien de l’en empêcher, mais les interdictions paternelles face au besoin du jeune de trouver une autre communauté qui l’aidera à s’affranchir de la famille sont inefficaces voire contre-productives. Le père assiste, dans une douloureuse impuissance, effaré, à la distension de leurs liens et à la mise en danger de son fils et de ceux que ce dernier considère différents. Ce gosse avait pourtant reçu amour, valeurs, attention, confort matériel.

Alors, comment faire pour que nos enfants n’aient pas la tentation de la haine quand l’adolescence sera bien terminée et qu’ils feront leurs propres choix, sans nous ? Comment leur donner envie d’une société qui inclut, qui donne envie de faire ensemble plutôt que de se battre contre ? Et comment reste-t-on parents d’enfants qui nous semblent devenus des extraterrestres une fois adultes ? Comment conserver et servir ce lien familial pour nous nourrir nous, individus, mais aussi pour la cohérence de nos groupes humains à toutes les échelles ?

Je souhaite à mon fils qu’il aie suffisamment confiance en lui pour ne pas se tourner vers des groupes de personnes haineuses et cultivant la violence pour se sentir fort.

De toute ma poitrine bondée d’amour maternel incommensurable, je lui souhaite d’embrasser la vie avec ce qu’il est, sans honte, et avec le sentiment de faire ce qui est bon et juste, pour lui, pour les autres, pour les être vivants en général.

Je souhaite que nous réussissions à continuer à critiquer ce qui ne va pas dans nos sociétés, oui, bien sûr, mais aussi que nous trouvions les mots et soyons des modèles pour que nos jeunes perçoivent que d’autres chemins que la colère, la haine et la résignation, sont possibles.

1Françoise Dolto, La cause des adolescents, 1988

2Françoise Dolto, ibid.

3Delphine Coulin et Muriel Coulin, Jouer avec le feu, 2024

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.