Mon enfant Théo a 9 ans. Son père a saisi le juge aux affaires familiales car il souhaite la résidence alternée de notre fils. Jusqu'à maintenant, la résidence principale était établie chez moi. Je ne voulais pas d'une garde alternée car j'estime que la personnalité du père couperait Théo d'une vision réaliste et positive de lui-même et de son environnement. Jeudi dernier, lors d'une énième audience auprès du juge, nous avons décidé ensemble de tester ce mode de garde sur une période de 3 mois et avons également approuvé les mots proposés par le juge pour l'annoncer à Théo, de préférence ensemble, afin que notre fils vive sereinement et sans tiraillement ce nouveau quotidien.
Nous sommes le samedi 2 novembre 2023, semaine impaire. Il est 10h et j'ai amené Théo devant chez son père que nous appellerons ici Sébastien. C'est "son" week-end.
Nous avons sonné au petit portillon. Théo l'a franchi. Je suis restée sur le trottoir, en dehors du domicile de Sébastien. Lui se tient au seuil de sa porte. Il a oublié (n'avait pas compris?) que nous devions annoncer ensemble la décision prise ensemble en accord avec le juge.
Après avoir vérifié que Sébastien comme Théo sont prêts à en parler maintenant, je prends la parole et je me lance. Je veille à mettre dans mon propos les mots suggérés par le juge. Ça n'est peut-être pas spontané, mais, finalement, malgré l'effort que cette démarche me demande, je suis sincère ; j'ai réellement la volonté de montrer à Théo que cette décision est prise en commun. J'y crois. Pendant que je parle, j'ai du mal à décoder l'expression du visage de mon enfant : un mélange de joie dans le regard et de bouche tordue (d'inquiétude?).
J'explique également à Théo que son père et moi en profiterons pour rencontrer une médiatrice pour essayer de mieux communiquer. Théo me demande ce qu'est une médiatrice. Je réponds. Séb complète, et puis pour résumer, il dit : "En gros, c'est une garde alternée sous surveillance". Je bondis : "Ah bah non, Séb! C'est pas une garde alternée sous surveillance! C'est un essai de garde alternée. La médiation est confidentielle. Il n'y a rien qui relève de la surveillance là-dedans".
Mon ton est plus vif que je ne le voudrais. Je m'en aperçois à peine. Ses remarques délétères me plongent toujours dans le néant, le trou noir de l'inintelligibilité. No man's land. Une faille dans la réalité et les faits. Séb continue à insister sur la notion de surveillance dans cette affaire. Je tiens bon et je ne perds pas pieds même si je m'énerve de plus en plus. Je ne veux pas que Théo croit que cette vision des choses est vraie. Je me rappelle que c'est lui, la priorité, et coupe court en me tournant vers lui : "Tu as d'autres questions Théo?". "Ce sera de quand à quand? Enfin je veux dire, ça va se passer comment?".
Je commence à répondre quand Sébastien m’interrompt brusquement : "Bon! ça suffit maintenant! Tu as dit ce que tu avais à dire, tu as eu le temps de t'exprimer, tu as pris toute la place, maintenant, je veux répondre aux questions de Théo seul à seul avec lui!". Moi : "Mais enfin, je n'ai fait que parler en notre nom à tous les deux et dont nous avions parlé au...". J'ai n'ai pas le temps de finir ma phrase qu'il part dans une longue diatribe et termine, menaçant : "De toutes façons, le médiateur il te le dira, ce que tu es en train de faire, là!".
Je laisse tomber. Je reviens à Théo : "Tu veux un petit câlin/bisou? J'y vais." Il s'approche tristement, il incline sa tête vers moi par-dessus le portillon qui a été fermé. Il est déjà de l'autre côté, celui que je qualifie d'obscur. Je l'embrasse aussi tendrement et chaleureusement que je peux. Je lui souhaite un bon week-end et me tourne vers mon vélo. Je ne sais plus où j'en suis. Je cherche à le déclaver alors qu'il ne l'est pas, m'en aperçois rapidement, et je prends mes clics et mes clacs dans la précipitation.
Même quand on doit annoncer un truc que Monsieur a voulu et derrière lequel je me range, il faut que ça foire. Que ça foire, mais pas n'importe comment : par le charcutage du moindre début d'accord. Le charcutage systématique, aveugle, indécent, dégueulasse, sourd à la souffrance de notre enfant.
Je suis vide. Je ne pense plus à rien en pédalant. Il n'y a plus de mots. Je dois faire un gros effort pour me concentrer sur la route. Je n'ai plus envie d'aller au marché. J'ai juste envie de pleurer. J'ai juste envie de marcher sans but, le plus longtemps possible, de laisser mes pas me conduire vers un ailleurs et de laisser mon esprit être bercé par leur rythme. Six minutes d'"échanges" auront suffi à me pomper toute mon énergie.
Un peu plus tard, les mots refont leurs apparitions. J'écris.
Cette scène que je viens de vivre, c'est comme le témoignage de deux mondes parallèles qui se télescopent. Enfin non... ça... ce serait dans le meilleur des cas. Ça voudrait dire qu'il n'essaie pas de faire du mal en abimant volontairement tout mon monde via notre enfant. Je crains qu'il n'y ait pas seulement deux mondes parallèles qui ne peuvent pas se rencontrer sereinement. Je crains qu'il s'agisse plutôt d'une situation où un monde subit les assauts répétés d'une autre entité qui finit par paraître monstrueuse et dont l'unique but est la destruction.
Car tout le temps, depuis plus de 7 ans, le père de mon fils remet de la division partout. Au lieu d'offrir à notre fils de l'unité ou au moins le plus petit dénominateur qui nous est commun à nous deux, parents, il nourrit la division très activement. Il la crée de toute pièce bien souvent, y compris aux endroits les plus farfelus de nos "échanges", changeant d'avis comme de chemise pour être bien certain de notre désaccord, même si pour cela il faut faire souffrir notre enfant. Il instille la peur chez moi... et écartèle Théo.