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Billet de blog 23 décembre 2015

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Indépendance des médias, version américaine

A l'occasion de la COP21, les lecteurs de Mediapart ont bénéficié des analyses de Naomi Klein l'essayiste militante canadienne. Il y avait aussi à Paris une autre journaliste, essayiste et militante de la cause de l'indépendance des médias : l'américaine Amy Goodman, fondatrice du media alternatif DemocracyNow! Voici sa conférence du 11 décembre dernier.

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Amy Goodman à Paris le 11 décembre 2015 © marcj

Cela s'est passé dans l'auberge de jeunesse très cosmopolite, le St Christopher Inn, à deux pas de la gare du nord. Le lieu s'était transformé durant les deux semaines de la COP en un bouillonnant centre de conférence éphémère appelé « A place to b ».
En 1992, la journaliste avait risqué sa vie lors d'un reportage au Timor oriental en tentant de s'opposer physiquement à un massacre de la population par l'armée indonésienne d'occupation. Elle a recommencé une enquête très dangereuse au Nigeria quelques années plus tard dans le cadre de l'exploitation pétrolière dans le delta du Niger. Ces épisodes, dans lesquels elle a en quelque sorte lu la signature du gouvernement et des entreprises américaines soutenant des régimes criminels, l'ont rendue très critique sur la politique extérieure de son pays.
En 1996, elle est à l'origine de sa chaine d'information DemocracyNow!
Origine de DemocracyNow!
DM! est issu de Pacifica Radio fondé il y a 65 ans à Berkeley, Californie. La première radio créée par Pacifica était KPFA, fondée par un objecteur à la seconde guerre mondiale Lewis Hill, qui sortait de prison. Il voulait créer un média qui ne soit pas contrôlé par des entreprises commerciales qui profitent de la guerre mais par des journalistes et artistes. A ce propos, Amy Goodman cite George Gerbner, doyen de l'Annenberg School for Communication à l'Université de Pennsylvanie, qui voulait un média « non contrôlé par des entreprises qui n'ont rien à dire mais tout à vendre et qui éduquent nos enfants aujourd'hui ». Plusieurs stations locales ont été créées dont KPFT à Huston au Texas.
Quand KPFT débuta à Huston, elle fut la seule station de radio dont l’émetteur fut détruit à l'explosif. En effet, l’émetteur fut dynamité après quelques semaines d'émission par le Ku Klux Klan. Après la remise en service du site et du matériel, le KKK revint et disposa encore quinze fois plus d'explosifs autour de l'émetteur pour le faire sauter à nouveau. La première explosion s'était produite durant une chanson d'Arlo Guthrie « Alice's restaurant ». Quand la station fut remise en service pour la troisième fois, ce fut un événement qui attira les télés nationales et Arlo Gutherie revint à Huston pour terminer sa chanson. KPFT continue d'émettre depuis.
Pourquoi cela est-il important ?
Amy Goodman :
« Je ne sais plus si c'était le « Grand Dragon » ou le « Exalted Cyclops » du KKK [l'auteur des destructions de KPFT] car je confonds souvent leurs titres mais il dit que c'était l'acte dont il était le plus fier. Fier, je crois, car il avait compris  à quel point Pacifica était dangereux, à quel point les médias indépendants sont dangereux. Dangereux car ils permettent aux gens de parler pour eux-mêmes. Et quand vous entendez quelqu'un parler de sa propre expérience, que ce soit un enfant palestinien ou une grand-mère israélienne ou un oncle en Afghanistan ou un réfugié dans le camp de Calais, cela vous change, cela brise la barrière de l'indifférence (littéralement : ça passe le mur du son), cela est un défi aux stéréotypes et aux caricatures qui aliment les groupes haineux. Vous pouvez ne pas être d'accord avec ce que vous entendez, de la même manière que nous ne sommes pas souvent d'accord avec les membres de notre famille, mais vous commencez à comprendre d'où ils viennent. Cette compréhension est le début de la paix.
Je pense réellement que les médias peuvent véhiculer la plus grande force pour la paix sur terre alors que trop souvent ils sont brandis comme une arme de guerre. Nous devons nous ressaisir des médias. »
Importance des médias indépendants
Elle parle ensuite du comportement des médias après les attentats du 11 septembre 2001. Plutôt que de relayer servilement les inventions de G.W. Bush pour justifier une guerre contre l'Irak, ils auraient dû vérifier les faits. Vérifier et équilibrer les informations, c'est à ça que les médias américains devraient servir. Ils sont supposés être critiques et vérifier toutes les informations. Ils doivent représenter le quatrième pouvoir et non pas être au service de l’État (« we need a media that should be the fourth estate and not for the state »). Ils sont pour cela spécialement protégés par la constitution américaine. La démocratie est dépendante de médias indépendants. Pourtant, concernant la guerre en Irak, ils ont pleinement participé à la « fabrique du consentement » en faveur de la guerre, suivant la notion théorisée par Noam Chomsky.
Reportage à Calais

Le samedi suivant la première semaine de la COP21, couverte par DemocracyNow! (soit le samedi 5 décembre), l'équipe de DM ! est allée en train à Calais. Il était important d'aller interviewer les réfugiés, les faire parler eux-même et pas seulement raconter ce que les journalistes voyaient.
Amy Goodman lit alors la chronique qu'elle a écrite pour l'occasion (elle écrit une chronique hebdomadaire avec son collègue Denis Moynihan, publiée dans différents journaux). Cette chronique, ‘We Are Human Beings; We Are Not Dogs’, est disponible ici :
http://www.democracynow.org/2015/12/10/we_are_human_beings_we_are
Le reportage à Calais est visible sur le site DemocracyNow ! En deux épisodes :
"I Don't Want to Die. This War Is Not My War": A Syrian in France's Largest Refugee Camp Speaks Out :
http://www.democracynow.org/2015/12/9/i_dont_want_to_die_this
et
What Do Survivors of War Have to Do to Live in Peace?: Voices from France's Largest Refugee Camp :
http://www.democracynow.org/2015/12/9/what_do_survivors_of_war_have
Après la lecture de sa tribune , elle revient sur la conséquence des guerres.
Le jour de sa visite à Calais, il y avait une manifestation car un migrant soudanais nommé Joseph s'était fait écraser par un camion sur l'autoroute conduisant au tunnel sous la Manche. Les manifestants de la « jungle » de Calais portaient des pancartes dont l'une disait : « Aujourd'hui Joseph, demain qui ? »
Amy Goodman :
« ces réfugiés sont les accidentés de la guerre » ('roadkill of war' : littéralement les tués sur la route de la guerre). Nous devons être responsable, la guerre a ces effets inimaginables. Ce dont nous parlons aujourd'hui, c'est un ordre de grandeur de 16 millions de réfugiés, le plus grand flux depuis la seconde guerre mondiale. Ce sont les effets de la guerre. Ce n'est pas une question de charité quand nos pays accueillent des réfugiés, c'est une question de responsabilité quand on bombarde le berceau de la civilisation. Où les gens vont-ils aller alors ? Là où Dieu (ou le vent) les emportera ( 'There but by the grace of God go I' ).
Le réfugié qui souriait
Amy Goodman :
« Transmettre la voix de ces gens, devenus des invisibles. J'ai demandé à Majd, ce syrien de 21 ans,  pourquoi, tout au long de notre conversation, il souriait [voir lien ci-dessus, premier épisode du reportage à Calais]. Il a répondu : « si j’arrêtais de sourire, je mourrais ». Ces réfugiés nous connectent tous ensemble, nous rappelant que la guerre n'est pas la réponse. Ils sont là à cause de la guerre, du changement climatique. Il faut penser au changement climatique comme alimentant la guerre, et la guerre alimentant des changements considérables.
Après le vote au parlement britannique, les avions UK ont immédiatement bombardé les champs pétroliers en Irak. Quelle conséquence cela aura-t-il sur l'environnement ? La France a bombardé Raqqa après les attaques du 13 novembre, ville qui a des centaines de milliers de civils. Nous avons interviewé Nicolas Hénin, ce français retenu otage durant 10 mois par l’État islamique, et il a dit que les deux choses qui conduisent les gens dans les bras de l'EI sont le fait de bloquer les réfugiés et de bombarder la Syrie. Si vous voulez stopper le terrorisme, vous devez changer de politique.
Il était otage et il est très important que nous entendions ces appels à la paix »
COP21, Rosa Parks et … Donald Trump et l'islamophobie aux USA
Elle parle ensuite de la COP21 et de l'état d'urgence, des manifestations interdites et de la répression policière du 29 novembre place de la République (voir les images produites à cette occasion par Democracy Now! : http://www.democracynow.org/2015/11/30/thousands_defy_paris_state_of_emergency)
Amy Goodman :
« Nous vivons en état d'urgence climatique et la dissidence est d'importance critique pour faire changer les politiques. La société civile doit demander le changement, faire pression sur les dirigeants et ne pas renoncer. »
Elle parle de l'inauguration de la station de gare « Rosa Parks » (ligne E du RER dans le nord-est parisien), un choix de nom qui a beaucoup ému Amy Goodman. Rosa Parks représente un sommet de dissidence (à la toute fin de son dsicours, dans une partie que je n'ai pu filmer, la place sur mon smarphone ayant expiré, elle parlera de Rosa Parks, non pas comme la couturière fatiguée qui reste assise dans le bus comme elle est souvent décrite, mais comme une activiste déterminée et habituée des actions de désobéissance civile dans les bus).
Elle parle aussi de la montée dans les médias de Donald Trump (« he's having a good time » : il s'amuse beaucoup), et de l'inquiétante montée de l'islamophobie aux USA. Au Royaume-Uni, une pétition a recueilli un demi-million de signatures pour empêcher une éventuelle venue de Donald Trump (il possède des propriétés en Écosse). Au delà du phénomène du « clown » Trump, son discours n'est que la généralisation du mépris des vies musulmanes que les USA ont marqué sur les terrains de bataille du monde (lecture d'un article de Teju Cole : Trump is a dangerous clown, but deadly speech not new).
Un discours mémorable sur le changement climatique
Pour conclure elle relit le remarquable discours d'Anjeli Appadurai, tenu à l'occasion de la COP17 à Durban en Afrique du Sud. Voici la vidéo de ce discours avec des sous-titres en français :
http://www.videotexts.net/fr/video/?v=j0k6MkImgwc&lang=fr

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