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Le “modèle Riace” d'accueil et d'intégration des migrants en Calabre suscite de l'intérêt aussi en Suisse, où l'accueil des réfugiés est également un sujet « chaud ». C'est pourquoi Mimmo Lucano, créateur du modèle de Riace, le présente et le discute à l'Université de Neuchâtel le vendredi 14 mars à 18h dans le cadre d'une table ronde avec le professeur Jean-Thomas Arrighi. L'organisateur est le Centre de recherche national sur les migrations et la mobilité (NCCR), qui regroupe huit universités suisses.
L'intérêt des universitaires a été suscité aussi par la dizaine de reconnaissances accordées à Mimmo Lucano, maire de Riace (Calabre, Italie) et membre du Parlement européen; notamment le prix de la Fondation Liberté et Droits Humaine(Berne, 2015), la nomination comme l'un des « 10 meilleurs maires du monde » (World Majors 2010), la nomination comme l'un des « 50 leaders les plus influents » (magazine américain Fortune) et des citoyennetés honorifiques. L'histoire de Riace a également été racontée par le réalisateur Wim Wenders dans le court-métrage “Il volo” (Le vol).
Mimmo Lucano a commencé en 1998 l’expérience de Riace non pas en tant que maire, mais en tant qu’activiste pour les droits civils des réfugiés. Le 11 mars 2023, par exemple, il était en première ligne parmi les manifestants sur la plage de Cutro (Calabre) qui protestaient contre l’absence d’intervention des autorités italiennes quand une centaine de naufragés sont morts le 26 mars 2023 à quelques dizaines de mètres de la plage.
La condamnation à 13 ans de prison et le (presque) acquittement
L'invitation de Lucano à l'Université de Neuchâtel s'explique par deux raisons : d'une part, l'originalité du “modèle Riace” et son applicabilité possible en Suisse et, d'autre part, l'engouement médiatique suscité par une affaire judiciaire qui s’est bien terminé. Le 12 février 2025, en effet, la Cour de cassation a annulé la quasi-totalité de la lourde peine de 2021 infligée à Mimmo Lucano. « Condamné à 13 ans de prison, pour 22 chefs d'accusation », avait tonné Giorgia Melonielle-même dans une vidéo Internet. Le 1er octobre 2021, un quotidien titrait : « Buonismo criminale » (Angelisme criminel) et « Scandale de l'immigration ». Sur les « 22 chefs d'accusation », la Cour de cassation n'en a retenu qu'un seul, confirmant une peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis pour un faux dans l'une des 57 résolutions contestées. Comme souvent, l'annulation de la Cour de cassation a été presque ignorée par les médias, qui avaient mis en avant la condamnation au premier degré pour association de malfaiteurs, aide à l'immigration clandestine, escroquerie aggravée, faux en écriture idéologique, abus de fonction, fraude aux marchés publics et détournement de fonds au préjudice de l'Etat. « L'ampleur de la peine est incompréhensible », a commenté l'ancien magistrat Gianluca Carofiglio. « Une telle peine est plausible pour un homicide involontaire, par exemple, ou pour un vol aggravé, ou pour une agression sexuelle continue”. À 12 ans, il a par exemple été condamné pour massacre aggravé par la haine ratiale Luca Traini, le candidat leghiste qui a abattu six personnes noires à Macerata en 2018.
Le double “modèle Riace”
Le modèle Riace s'attaque à deux problèmes : l'accueil et le dépeuplement. Le modèle est né en 1998, lorsque deux cents refugiés Kurdes ont débarqué à Riace. Après un premier accueil dans une structure paroissiale, Mimmo Lucano et d'autres habitants ont eu l'idée d'adapter les logements laissés vacants par les nombreux habitants qui avaient émigré. Le dépeuplement de Riace serait ainsi compensé par l'installation de nouveaux habitants, de surcroit jeunes, à la recherche d'une nouvelle vie. À la fin des années 1990, Riace ne comptait plus que 400 habitants, dont de nombreuses personnes âgées. En 1999, Lucano a fondé l'association Città Futura dont l'objectif est de rouvrir des maisons abandonnées et d'accueillir des migrants. Ceux-ci sont logés, apprennent un métier et reçoivent un petit salaire de la part des coopératives. Pour intégrer les nouveaux arrivants, Lucano a également créé la coopérative Il Borgo e il cielo (Le village et le ciel) afin d'organiser des ateliers de tissage, de céramique, de verre, de confiserie et de récupérer d'anciens métiers. De nombreux habitants se sont montrés favorables à ces initiatives. De 2004 à 2024, Mimmo Lucano est élu maire à quatre reprises. En 2024, il est élu au Parlement européen avec 180 000 préférences, en tant qu'indépendant sur la liste AVS (Alliance Verts et Gauche).
Au cours des quatre premières années, aucun financement public n'a été accordé et les habitants de Riace ont fait ce qu'ils ont pu. Les caves abandonnées ont été confiées à des migrants qui les ont transformées en ateliers d'artisanat multiethnique, et les secteurs de l'artisanat et de la restauration ont peu à peu prospéré. Le modèle de Riace s'est consolidé en un système d'accueil en plusieurs étapes : d'abord, il adhère au système de protection des demandeurs d'asile et des réfugiés du service du Ministère de l'intérieur, puis on sollicit des prêts ou des fonds régionaux pour rénover les maisons abandonnées et les donner aux réfugiés et aux demandeurs d'asile, qui se mettent finalement à travailler dans des ateliers d'artisanat.
De nombreux migrants sont arrivés, mais beaucoup sont partis vers d'autres destinations. En 2017, 550 migrants d'une vingtaine d'ethnies ont été accueillis à Riace - mais au moins 6 000 y sont passés. Le tourisme solidaire est également devenu une source de revenus; de nombreuses personnes viennent à Riace pour visiter le village et ses ateliers. Une monnaie locale, l' Euro de Riace, a également été créée et peut être utilisée aussi par les touristes.
Baisse de la population dans les cantons alpins et installation de réfugiés
Certaines communes helvétiques ont envisagé ou mis en œuvre l’installation de réfugiés et demandeurs d’asile pour lutter contre le dépeuplement - par exemple Albinen (VS), Losone (TI) et Windisch (AR).
Certaines communes des vallées reculées du Tessin, des Grisons et du Valais sont particulièrement touchées par le dépeuplement. Par exemple, le petit village de montagne de Gondo-Zwischbergen (VS), à la frontière avec l’Italie, comptait autrefois plus de 500 habitants, mais aujourd’hui moins de 100 personnes y vivent. Sufers (GR), dans la forêt du Rhin, a également connu un fort déclin démographique au cours des dernières décennies. L’éloignement et les opportunités économiques limitées poussent de nombreux jeunes à quitter le village.
Le modèle de Riace a depuis inspiré d'autres expériences. En 2008, sur l'île de Lampedusa, une tentative a été faite pour gérer comme à Riace les refugiés debarqués. Les municipalités calabraises de Stignano et Caulonia ont également commencé à héberger des migrants dans leurs logements vacants. Recement, en Suisse, le Secrétariat d'État aux migrations (SEM) a lancé un projet pilote qui utilise l'intelligence artificielle pour répartir, loger et intégrer les réfugiés dans plusieurs cantons. À Riace, cependant, c'est l'intelligence naturelle de ses habitants qui a généré un modèle que d'autres tentent d'imiter.