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Billet de blog 1 décembre 2014

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Du pacte de responsabilité aux missions locales (1) Le pacte de responsabilité, un anti-pacte social

  L'entreprise est l'étoile montante des six dernières décennies. Elle est devenue le modèle social promu par l’État comme garant de l'intérêt collectif.

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  L'entreprise est l'étoile montante des six dernières décennies. Elle est devenue le modèle social promu par l’État comme garant de l'intérêt collectif. À ce titre, le pacte de responsabilité constitue une nouvelle consécration, un accord élitaire entre l'exécutif étatique et l'entreprise, une ellipse omettant les composantes fondamentales du pacte républicain.

« Mais l'ordre social est un droit sacré qui sert de base à tous les autres. Cependant ce droit ne vient point de la nature ; il est donc fondé sur des conventions. Il s'agit de savoir quelles sont ces conventions. »

Jean-Jacques Rousseau, Le contrat social, Chapitre I, Livre I.

 Les antécédents du pacte de responsabilité

  Depuis les années 19601, un processus de dérégulation érode en profondeur le modèle d'intégration républicain hérité de la Résistance2. De la libéralisation du secteur bancaire dans les années 1960 jusqu'à l'ère ouverte par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) dans les années 2000, des générations d'élus, de conseillers et de hauts-fonctionnaires se sont succédées qui ont mis en œuvre des mesures inspirées du libéralisme économique. L'un de leurs principes d'action commun consiste à considérer l'intérêt des entreprises comme prioritaire et donc à accorder à ces dernières certains privilèges : subventions directes, remboursements de taxes et d'impôts et exonérations de charges patronales. Ces faveurs pourraient être qualifiées de subsidiaires quand par ces dernières l’État se substitue à certaines fonctions essentielles des entreprises en participant à la rémunération de leurs salariés (contrats aidés), au paiement par compensation des exonérations de leurs charges sociales (contrats en alternance). Le but officiellement invoqué est de faire face aux crises économiques qui se sont égrainées depuis le premier choc pétrolier. Invariablement, c'est l'intérêt commun qui est mis en avant par le déploiement implicite du raisonnement suivant : pour faire face aux affres de la crise, il faut aider les entreprises, parce que c'est pour le bien de tous, les aider c'est faciliter la création d'emplois.

  Ainsi, l'intérêt public est subordonné à celui des entreprises. D'une part, l’État lui-même se conçoit comme une entreprise, il comprime son périmètre d'intervention directe sous prétexte de réduire ses coûts, et pour se faire, il décentralise ses compétences vers les collectivités territoriales sans accompagner ce transfert de moyens conséquents – sans parler des privatisations de services publics achevées ou partielles. De plus, l'imposition du modèle de l'entreprise comme modèle unique tend à masquer certaines contradictions inhérentes au libéralisme. Tout d'abord, le secteur public et le secteur privé non marchand se comportent de manière similaire au secteur privé marchand en ayant recours massivement au travail précaire (vacations et contrats à durée déterminée à répétition) ainsi qu'aux contrats aidés (aides directes à la rémunération : contrats uniques d'insertion, emplois d'avenir). Ensuite, l'entreprise a réussi à s'imposer (ou à se maintenir) comme un acteur politique déterminant à tel point que le MEDEF – l'instance représentant les entreprises – est devenu un pôle de production del'idéologie dominante. Ilinflue sur les représentations et sur les décisions des pouvoirs publics au plus haut lieu3. De décennie en décennie, l’État organise par des mesures législatives et réglementaires l'affaiblissement du rôle intégrateur du travail et de la relation salariale4 ainsi que la dégradation du système de sécurité et de protection sociale.

 Le pacte de responsabilité, un pacte entre élites

  Le pacte de responsabilité s'inscrit dans ce processus de dérégulation globale5. En quelque sorte, aujourd'hui, il n'en est que la dernière ou l'avant-dernière étape6, mais non des moindres eut égard à la somme – plus que la moitié du déficit public de 20137 – sensée être l'enjeu de ce big deal libéral. Onze mois après son officialisation, il apparaît clairement que les principales bénéficiaires sont les entreprises et qu'elles y gagneront 50 Md€ (milliards d'euros) d'allègement de charges sans engagent direct de leur part. Les entreprises n'auront pas d'engagement à rendre à l’État en compensation. Et pourtant, il serait légitime de penser que ces compensations devraient se traduire de telle manière qu'elles satisfassent à certains objectifs annoncés dans le pacte de responsabilité (lutter contre le chômage ou contre le déficit public, par exemple) et que les entreprises rendent compte directement à un service de l’État afin que soit rendu possible un contrôle de la réalisation de leur contrepartie. Cependant, selon le relevé de conclusion du 5 mars8, les entreprises pourront même négocier la nature et les modalités de leur contrepartie dans le cadre des accords de branche.

  Somme toute, le collage du pacte de solidarité au pacte de responsabilité,annoncé le 31 mars 20149, loin d'équilibrer la balance, démontre à quel point les citoyens sont escamotés alors qu'ils devraient être au cœur du système démocratique. Le pacte de solidarité est conçu pour bénéficier à des ménages. D'une part, les ménages ne sont pas stricto sensu des acteurs politiques mais des constructions statistiques (établies pour les besoins d'investigations démographiques, comptables, fiscales...) et, d'autre part, le pacte de solidarité fait figure de faire valoir tardif du pacte de responsabilité, car il est prévisible que parmiles 50 Md€ promis la part des ménages sera moindre que celle destinée aux entreprises10. L'une des mesures du pacte de solidarité initial a été rejetée par décision du Conseil constitutionnel le 6 août 2014. Il s'agissait de l'allègement des cotisations salariales sur les bas salaires – 1 fois à 1,3 fois le SMIC. Le Conseil constitutionnel motivait sa décision car il voyait dans la mesure une disposition discriminatoire et contraire au fonctionnement des assurances sociales basé sur le paiement des cotisations. Autrement dit, aux yeux du Conseil constitutionnel, les allègements de charge semblent soulever moins de problèmes de constitutionnalité quand ils profitent aux employeurs que lorsqu'ils sont favorables aux salariés percevant les salaires les plus faibles.

 L'anti-pacte

  Les décisions de l'exécutif ont trahi les promesses qui l'ont amené au pouvoir. Réaliser ses promesses auraient dû se traduire par des transformations profondes dans la constitution du régime actuel. Et, en particulier, comme l'histoire du pacte de responsabilité le démontre, les perdants sont les acteurs et les dialectiques qui devraient être au centre d'un authentique pacte républicain :

  • l'Union européenne et la construction d'une politique commune : le pacte de responsabilité centré sur l'Hexagone isole la France au sein de l'Union et de ce fait, il réduit sérieusement les possibilités de négocier les règles budgétaires ; pourtant il existe bien des alliances potentielles qui au sein de l'Union pourraient faire pencher la balance en faveur d'une nouvelle donne ;

  • le pouvoir législatif et le débat républicain sont assimilés à une chambre et à une machine d'enregistrement des projets de loi élaborés par l'exécutif ; dans le fonctionnement des institutions et des acteurs (particulièrement politiques et médiatiques), il existe une relation fusionnelle entre les intérêts du gouvernement et la majorité au parlement telle que se confondent souvent obéissance et expression politique au sein du groupe majoritaire, telle que sont rejetées et réprimées (brimades, dénigrements, menaces d'exclusion) toute forme de discordance si bien que celle-ci s'exprime par des voies qui trahissent les défaillances abyssales du débat parlementaire actuel : abstention des députés socialistes qualifiés de « frondeurs », sécession des écologistes, démission de ministres ;

  • les organisations syndicales et le dialogue social sont cantonnées à un rôle passif, particulièrement depuis l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013; les organisations syndicales n'ont plus le choix qu'entre deux issues : lire des accords déjà écrits par leurs pairs et les signer sans pouvoir en négocier les termes … ou bien refuser de les signer, bref s'exclure du dialogue social qui devient une parodie de paritarisme ;

  • et le peuple souverain et la démocratie sociale et économiqueconvoquée par le Conseil national de la Résistance dans son programme poétiquement intitulé Les jours heureux … entre les promesses électorales non tenues et la surdité du pouvoir face aux manifestations de conviction de citoyens actifs et engagés, le vœu qui annonce le pacte de responsabilité sonne comme une demande en mariage adressée par l’État à l'entreprise où le peuple apparaît comme un témoin transparent et elliptique.

  Car, avec le pacte de responsabilité, ce sont bien les citoyens qui vont payer la dote, qu'ils croient ou non à l'efficacité future de cette union. Par le jeu d'un raisonnement loufoque nonobstant devenu banal, pour compenser l'amputation anticipée des 50 Md€ (milliards d'euros) de recettes, l’État devra imposer entre 2015 et 2017, 50 Md€ d'économies au détriment des services et des politiques publics, étant donné que les 50 Md€ de coupe se répartissent ainsi : les ministères -18 Md€, les collectivités -11 Md€, l'assurance-maladie -10 Md€ et la protection sociale -11 Md€11.

  Pour résumer, depuis sa naissance jusqu'à ce jour, le pacte hollandais est un pacte avec les entreprises : sans responsabilité, sans débat législatif, sans dialogue social, en contradiction avec la politique européenne et sans le peuple souverain, qui est le seul à endosser le poids de la responsabilité de l'accord entre les parties privilégiées.

  C'est un anti-contrat social au sens développé par Jean-Jacques Rousseau, il y a de cela plus de deux siècles, à une époque où ce dernier représentait les Lumières au crépuscule d'un régime moribond. De même, c'est un anti-contrat social au sens développé par le programme du CNR, les Jours Heureux, qui représentaient le salut et un changement total non seulement par rapport au totalitarisme nazi mais aussi par rapport à l'avant-1936 où les politiques publiques étaient largement dominées par le laisser faire au profit des entreprises.

1D'après Brigitte Gaïti, le libéralisme économique connaît un renouveau au sein de l'appareil d'Etat dès les années 1960. Lire l'article « L'érosion de l’État-providence dans les années 1960 » in Acte de la recherche en sciences sociales, Raisons d’État, n°201-202. L'auteur de l'article y décortique la notion de tournant libéral et le rôle joué par les « concurrences » entre certains ministères dans la mise en œuvre du libéralisme économique.

2Je me réfère particulièrement au 5. b) du « II- Mesures à appliquer dès la libération du territoire » du programme du Conseil national de la Résistance du 15 mars 1944.

3À ce sujet, écouter l'interview de Michel Offerlé sur France Inter http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=977552 et sur Mediapart http://www.dailymotion.com/video/x11fk76_michel-offerle-le-pouvoir-du-medef_news

4À titre d'illustration partielle, l'année 2013 aura enregistré le record suivant : 92% des embauches ont été faites en contrats à durée déterminée.

5La présentation officielle du pacte de responsabilité et de solidarité est accessible à la page suivante : http://www.gouvernement.fr/pacte-,responsabilite-solidarite

6Le pacte de responsabilité précède le projet de loi sur l'activité porté par M. MACRON, ministre de l'économie et des finances, http://www.gouvernement.fr/action/le-projet-de-loi-pour-l-activite

7En 2013, le déficit public est arrêté à environ -87 Md€ d'après cet article de l'INSEE : http://www.insee.fr/fr/themes/info-rapide.asp?id=37

8Le relevé de conclusion est un accord signé par une partie des syndicats et les organisations patronales le 5 mars 2014.

9Par l'allocution du président de la république, l'annonce du pacte de solidarité accompagnait l'officialisation de la désignation de Manuel Valls aux fonctions de premier ministre.

10En tout cas, dans les dépenses de l’État, les transferts vers les entreprises sont supérieurs à ceux effectués en faveur des ménages.

11Pour plus de détails officiels : http://www.gouvernement.fr/plan-d-economies-les-mesures-detaillees

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