Mis à jour le 03/02/2015.
Note de veille : A 10 mois des prochaines élections législatives la tonalité du climat médiatique s’inverse sensiblement en Espagne, et contrarie peu ou prou les ambitions électorales de la gauche radicale qui doit redoubler d'efforts pour imposer ses thèmes dans le débat public.
L’Espagne ne va pas mal, elle va même bien à en croire les déclarations de Mariano Rajoy du mois de décembre dernier. C’est en substance le message délivré avec insistance par son gouvernement qui affiche depuis quelques semaines un optimisme à toute épreuve malgré des sondages indéfectiblement en berne. Cet optimisme s’appuie notamment sur les prévisions de croissance de Bruxelles et du FMI qui tablent sur une croissance de 2,3% et 2,5% en 2015 et 2016 dans la péninsule ibérique. La perspective des différentes élections qui se tiendront en Espagne tout au long de l’année 2015, dont les législatives qui auront lieu en novembre prochain, n'est évidemment pas étrangère à ce triomphalisme de façade qui succède à six années de déclarations catastrophiques en matière d’économie. Mieux encore, les différentes affaires de corruption qui avaient fortement secoué le pays en octobre dernier, et qui avaient fait les choux gras des médias espagnols en raison de leurs gravités et des personnalités politiques de droite qu’elles impliquaient, parmi lesquelles Rodrigo Rato (membre éminent du PP et ancien directeur de Bankia) et Francisco Granados (ex-conseiller du PP de la communauté de Madrid), ont cédé la place à une actualité tout autre, ouvrant ainsi une nouvelle séquence médiatique où les rôles des principaux acteurs en lice pour les élections ont été redistribués.
Guerre des communications
C’est en effet une séquence nouvelle et pour le moins inattendue qui s’ouvre depuis le début du mois de janvier en Espagne : le PP pavoise devant l’amélioration en trompe-l’œil du chômage et des indicateurs macro-économiques, alors qu’il dissimulait à peine son pessimisme quelques mois auparavant en raison de l’atonie persistante de l’économie et du climat délétère induit par les affaires ; le PSOE, en proie à une crise idéologique semblable à celle que traverse le Parti Socialiste français, revendique désormais à cor et à cri son identité de gauche et n’a plus de mots assez durs pour critiquer les réformes libérales du gouvernement Rajoy ; tandis que l’entourage proche de Pablo Iglesias, leader de la nouvelle gauche radicale qui a fait de la lutte contre la corruption l’un de ses principaux chevaux de bataille, se voit à son tour accusé d'irrégularités vis-à-vis du fisc depuis décembre dernier, faisant ainsi de la nouvelle formation de gauche la principale perdante de cette reconfiguration médiatique. Le renversement de tendance n’aura échappé à personne, et contrarie la direction de Podemos et les militants qui craignent de voir tout à coup l’agenda médiatique leur échapper en raison de vents moins favorables. Les soupçons de fraude fiscale qui pèsent actuellement sur l’un des chefs de file du mouvement, l’universitaire Juan Carlos Monedero, lorsque celui-ci monnayait à prix d’or entre 2005 et 2010 ses activités de conseil au gouvernement du Venezuela, exposent potentiellement le jeune parti dont l'image est encore en construction à des dommages qui pourraient ne pas être tant juridiques que symboliques. On ne reproche en effet pas tant à Monedero d'avoir trompé l'administration fiscale que de s'être enrichi. Idem pour Tania Sánchez (députée IU), la compagne de Pablo Iglesias, qui a dû se justifier dans les médias au sujet d’une transaction immobilière qui n'avait rien d'illégal mais qui lui aurait permis d’empocher une plus-value substantielle. On voit bien quel est le danger pour la gauche radicale espagnole : elle est attaquée dans les fondements mêmes de ses valeurs. En outre, la brève visibilité accordée par les principales chaines de télévision espagnoles à la manifestation du 31 janvier n'a pas permis à Podemos de valoriser suffisamment sa démonstration de force sur les ondes hertziennes nationales, alors que celle-ci était de toute évidence une réussite eu égard au nombre de participants rassemblés à la Puerta del Sol (entre 100 000 et 180 000 personnes). La censure partielle des médias télevisuels est chose habituelle en Espagne : les journalistes de TVE et de RNE dénoncent depuis plusieurs années les pressions exercées sur eux et «les attaques répétées à la liberté d'information».
Machiavélisme du gouvernement
A l’instar de l’économiste vedette catalan Santiago Niño Becerra qui dénonce sur son blog une manipulation éhontée du gouvernement visant à tromper les Espagnols sur l’état réel de l’économie, les principaux porte-parole de Podemos montent au créneau depuis plusieurs semaines dans les médias et sur les réseaux sociaux pour tenter de reprendre la main. Ceux-ci fustigent l’ « hallucination » du gouvernement Rajoy à propos de l’amélioration supposée de l’économie et n’hésitent plus à recourir aux termes de « combines » et de « persécution » pour condamner les basses manœuvres dont Podemos serait victime. Dans un pays où le taux de chômage avoisine toujours les 24% et où les inégalités se sont considérablement accrues depuis 2008, il est vrai que la stratégie de communication de la droite a de quoi laisser perplexe : l’opinion publique n'est pas aujourd'hui consonante avec le message de la reprise économique distillé par le gouvernement, et le désaveu croissant adressé par les Espagnols à toute forme de «parole officielle» rend particulièrement difficile les conditions de réception de ce type de discours. Cette grande méfiance à l’égard des hommes politiques et des médias traditionnels explique sans doute pourquoi le PP a décidé de recourir dernièrement aux services d’une agence de communication pour réaliser une série de petits spots vidéo, dans lesquels on y voit différents membres du gouvernement et du PP en train de tenir conversation dans un cadre informel et intimiste. Loin des Palais et du décorum du pouvoir, Mariano Rajoy, Carlos Floriano, Esteban González Pons, Javier Arenas et María Dolores de Cospedal y défendent leur bilan en jouant la carte de la proximité autour d’un café, et se mettent en scène dans un registre du « parler-vrai ». Même si la ficelle peut paraitre un peu grosse, cette opération de communication montre cependant à quel point le pays se trouve d’ores et déjà en situation de pré-campagne électorale, et comment chaque parti se livre à une véritable guerre des perceptions en tentant d’imposer à ses adversaires sa représentation de la réalité et ce qui doit faire enjeu dans le débat politique. « Je n’accepte pas le portrait sombre de l’Espagne qu’ils dessinent», a ainsi déclaré de façon péremptoire Mariano Rajoy samedi dernier à Barcelone lors d’un congrès du PP, en se référant implicitement à Podemos.
Marco Alagna