Après la publication du livre "Mélancolie française", le journaliste-essayiste Eric Zemmour vient d'écrire un nouveau livre "Le suicide français", expliquant sur les plateaux TV que ce "suicide français" serait l'enfant d'une pensée décadente issue d'une poignée d'intellectuels français des années 1950.
Cette thèse mérite un rappel de faits historiques connus de tous.
De fait le déclin français est réel mais il a exactement 100 ans plutôt que 40, car à cette époque la puissance nationale était à son apogée, étant un empire d'envergure mondiale (en compétition avec d'autres empires, ce qui a d'ailleurs été la cause de la première guerre mondiale.)
La France est sortie affaiblie de cette première guerre mondiale : dommages matériels et humains et --fait nouveau-- dette de guerre aux USA. Ensuite la seconde guerre mondiale lui a été fatale pour les mêmes raisons, mais avec effet amplificateur et défaite militaire de surcroît. Il s'en est suivi une perte définitive des colonies qui a accentué un déclin aussi bien politique qu'économique. A cet égard, l'histoire de la Grande Bretagne n'est pas très différente puisque l'empire britannique a sombré en parallèle du notre, même s'il n'a pas connu une défaite militaire aussi rude.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, a existé une période de prospérité économique mondiale, les 30 glorieuses, qui a complètement occulté notre déclin, donnant l'illusion d'une puissance française retrouvée ou en voie de l'être. Cette illusion a été amplifiée par la politique Gaulliste, qui a glorifié la nation, pris ses distances avec les nouvelles puissances (USA, URSS) et cherché à constituer un bloc Européen. Ce positionnement politique constitue une vraie différence avec les britanniques, pouvant expliquer pourquoi les anglais ont pris conscience, plus tôt que nous, de leur propre déclin.
Au sortir des 30 glorieuses, caractérisées par la consommation, c'est la panne économique puisque les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, et c'est le début du chômage. Le phénomène est d'ampleur mondiale même si certaines nations en profitent mieux que d'autres. Il s'ensuit un second déclin pour la France, caractérisé par des phénomènes tels que immigration, crise financière, environnement, précarité ... qui n'ont rien de spécifiquement français, ni même de spécifiquement européen.
Le décor étant ainsi posé, quels peuvent être les problèmes spécifiquement français et quelle importance faut-il leur accorder, quand il existe des problèmes majeurs sinon vitaux et de portée mondiale ?
Faut-il se désoler de notre déclin et chercher à restaurer l'empire, ou militer pour une gouvernance à la mesure des défis posés, qui eux sont d'envergure mondiale ?
Pour moi, le livre de Zemmour, décrivant un déclin français datant de 1950 est restreint dans l'espace et dans le temps. Il serait plus juste de parler d'un déclin datant de 1914 pour la France et pour l'Europe, mais aussi d'un déclin plus récent pour d'autres puissances. Par ailleurs Zemmour explique le déclin par des causes essentiellement intellectuelles alors que les raisons économiques et politiques, à elles seules suffiraient.
La question qui se pose au fond est celle de l'existence même de la nation: faut-il défendre la nation ou chercher un idéal plus élevé ? Pour moi, la nation n'est qu'une étape dans l'histoire de l'humanité et non une fin. Dès lors la question n'est pas de savoir s'il faut abandonner l'idée de nation mais de savoir à quel moment il faudra le faire.
Ne vivons nous pas un tel moment ? Pouvons nous continuer à glorifier les nations qui, l'histoire l'a amplement montré, "portent en elles la guerre comme la nuée porte l'orage" (1) ?
Marcopol
(1) Citation de J.Jaurès