Cher Geoffroy de Lagasnerie,
Un défaut de patience m’empêche de lister ici chacune des insanités de votre blog du 11 Février dernier consacré à l’émission Signe des Temps, que je produis sur France Culture chaque dimanche à 12h45.
Dans la mesure ou vous faites dire n’importe quoi à mes invitées du 9 Février, une courtoisie minimale m’oblige cependant à rectifier l’essentiel.
--Toutes vos citations des intervenants dans cette émission sont fausses. La phrase que vous attribuez à l’essayiste Laure Murat à propos de l’écrivain Edouard Louis (« Ce qu’il raconte ce n’est pas la vérité historique mais la vérité hystérique »), n’a jamais été prononcée de cette façon par qui que ce soit; celle, non sourcée sur votre blog, « son agresseur est la vraie victime de toute cette histoire », non plus.
--Contrairement à ce que vous écrivez, même avec beaucoup d’imagination, une émission de débat sur France-Culture n’est pas assimilable à « une opération médiatique », moins encore à « une campagne de presse ». Croyez bien que je le regrette.
--Vous prenez soin, dans votre blog, de ne pas vraiment expliquer le propos du débat que vous attaquez. Du coup, à moins d’avoir écouté Signes des Temps ce jour-là, il est rigoureusement impossible à vos lecteurs de comprendre le sens de vos attaques, ce qui a certes l’avantage de les rendre crédible à peu de frais. J’explique donc pour deux : Mes quatre invitées --Laure Murat, Françoise Lavocat, Marie Dosé et Annie Jouan-Westlund-- et moi-même, discutions d’un livre de votre ami « Edouard », « histoire de la violence ».
L’occasion était donnée par le spectacle qu’a tiré du livre et met en scène en ce moment Thomas Ostermeier au Théâtre des Abbesses.
Cette pièce, comme le livre dont elle s’inspire, reconstitue l’agression et le viol dont Edouard Louis affirme avoir été victime lors d’une rencontre de hasard avec un jeune kabyle qu'il nomme dans le livre Reda, le soir de Noël 2012, au sortir d’un dîner de réveillon passé notamment en votre compagnie.
Il s’agissait, dans cette émission, de réfléchir à partir de ce cas à une question simple – mais dont les implications vertigineuses auraient sans doute amusé Nabokov : que se passe-t-il quand, par orgueil moral ou posture idéologique, un écrivain s’affranchit de la fiction pour écrire ce qu’il pense être « le vrai » et seulement le vrai, comme c'est le cas d'Edouard Louis? Quels brouillages crée, dans le réel, cette pratique si répandue aujourd’hui dans le monde littéraire français?
C’est dans le cadre de ce questionnement sur l’obsession pour une vérité littéraire portée au rang d’unique absolu (« hystérisée ») que prend sens la phrase de Laure Murat par vous citée de travers, et comme quiconque s’en rendra compte en écoutant l’émission.[1].
De même, la phrase exacte de Marie Dozé est-elle "il y a une victime dans tout ça, c'est Reda", et non "son agresseur est la vraie victime." Cette phrase vient conclure un raisonnement dans lequel Dosé explique qu'Edouard Louis dans son livre et dans la pièce accapare la parole de "Reda", qu'il montre en train de l'agresser. C'est-à-dire qu'en niant non seulement toute fiction mais toute subjectivité, en affirmant que "tout est vrai", Edouard Louis fait fi au passage de la présomption d'innocence. C'est ainsi qu'un jeune algérien sans papier se trouve condamné d'avance, ainsi que l'admirateur de Foucault que vous êtes se garde pourtant bien de le rappeler. Cette phrase de Marie Dosé n'est donc en rien une négation de l'agression présumée; elle est une critique d'une pratique littéraire dévoyée et de ses conséquences judiciaires.
Prétendre, comme vous le faites, que nous avons accusé Edouard Louis de mentir sur ce qui lui est arrivé et, par là, « reconduit le viol » n’appelle pas d'autre commentaire, sinon celui que vous n’avez aucune idée de ce dont vous prétendez parler.
C’est vous qui confondez le dossier juridique d’une affaire de viol et le questionnement de sa version littéraire et, si vous le faites, c’est parce qu’Edouard Louis est le premier à dire qu’il n’y a entre les deux aucune différence.
--Enfin, mes invitées ce jour-là étaient toutes de sexe féminin, ainsi que vous le remarquez avec sagacité. Cela vous autorise-t-il pour autant à « noter que beaucoup de gens qui tiennent ces propos à propos d’Edouard sont des femmes et qu’il y a là une homophobie très spécifique et très dure à nommer ? Peut-être certaines femmes considèrent-elles que quand des hommes parlent de violences sexuelles ils leur volent quelque chose ? »
A quel degré d’infantilisme victimaire êtes-vous tombé pour en arriver à des questions pareilles ?
Il n’y a pas eu le moindre propos homophobe dans cette émission, votre misogynie phallocrate ici vous joue des tours. Elle n’a d’égale que vos hallucinations auditives, vos théories lamentables, vos allitérations excessives, et le mépris que vous vous croyez autorisé à répandre sur tout le monde au nom de la lutte des classes du haut de votre ascendance à triple particule.
Marc Weitzmann
Producteur de l’émission Signes des Temps sur France-Culture, tous les dimanches à 12h45 et en podcast sur le site de France-Culture
Dernier livre paru : « Un temps pour haïr », éd. Grasset