Assez naïvement, je peux écrire que j’aime la chose publique. J’ai le fantasme de servir la société et d’agir dans le sens de l’intérêt général. Participer au contrat social par le biais du travail représente pour moi un engagement politique que je tente de poursuive depuis un peu plus de dix ans. Plus précisément, j’ai la croyance que les infimes projets, réalisés dans mon secteur d’activité, participent d’une manière ou d’une autre au développement d’une société plus juste, moins normalisante voire plus consciente d’elle-même, de ses limites et de ses voies de progrès. Après avoir goûté aux collectivités territoriales et au travail de proximité avec des élus, j’ai souhaité voir ce qui se passait du côté de l’Etat. J’y suis depuis maintenant un an et trois semaines.
La première année fut consacrée à me former. J’ai appris à être fonctionnaire mais non un métier précis. On m’a enseigné une culture commune, un «savoir-être» ainsi que des «savoir-faire» généralistes, c’est-à-dire censés s’adapter à tout type de situation: comment vivre en bonne entente quelles que soient les discordances visibles et profondes, comment se comporter avec les «autres catégories», celles que nous devons être amenés à encadrer, savoir manager, animer une réunion...
Cette formation nous commanda également de savoir nous distinguer d’entre nos pairs. Pour cela, il fallut comprendre ce qui signifiait l’excellence du point de vue du fonctionnaire et se plier aux critères d’appréciation de nos futurs collègues devenus pour un temps professeurs, voire pour certains jurés. Sans surprise, la reproduction culturelle et sociale règne en maîtresse des lieux et organise avec aisance le jeu de la nécessité. L’art d’écrire et de parler définit le périmètre de notre évaluation. Les têtes sont bien faites. Un grand nombre est passé par science po quand d’autres se sont formés sur le tas et ont gravi les échelons. Le classement dirime et sélectionne, malmène souvent pour qui ne sait pas se soustraire à l'intériorisation des limites que l’on veut bien nous assigner.
Une fois sortis, on parle carrière, salaire, indemnités et primes. L’esprit de concurrence, la recherche de l’obtention de nouveaux titres, le désir de réussite d’un concours plus prestigieux sont des habitus dont on ne se défait pas et font passer au second plan l’acquisition d’un métier ou d’une expertise.
Aujourd’hui un premier mois de travail se clôt. Je fais des tableaux excel, mes courriels doivent passer par la validation de mon supérieur hiérarchique et très vite je me rends compte que mes tableaux ne servent à rien. Nietzsche parlait, je crois, de la puissance des faibles. L’Etat s’incarne mais il est autophage, broie les individualités qui le composent, tourne à vide et ne parvient plus à rassembler les lambeaux de sa légitimité.
Respirer, profondément, et observer.
Billet de blog 11 octobre 2011
Au service de l'Etat
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