Quelques réflexions à propos du projet d'inscrire dans la Constitution la possibilité de déchéance de la nationalité pour des binationaux nés en France "condamnés définitivement pour un acte qualifié de crime (et non plus, suite à l'avis rendu par le Conseil d'Etat, de crime ou de délit) constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime constituant un acte de terrorisme" (réprimés par les articles 410-1 à 421-1 du code pénal).
Ce projet fait tumulte sur la scène politique et médiatique parce qu'il est de portée éminemment symbolique. C'est précisément pour celle-ci que cette mesure est avancée par l'exécutif.
Comme l'écrit le Conseil d'Etat dans son avis, "la mesure proposée a un objectif légitime consistant à sanctionner les auteurs d'infractions si graves qu'ils ne méritent plus d'appartenir à la Communauté nationale". Voilà assurément un grand sujet que celui de savoir si l'appartenance à la dite communauté, la nationalité donc, peut (doit?), ou non, se mériter. D'ailleurs cette même juridiction relève, tandis qu'elle émet un avis favorable à ce projet sous la réserve de préciser les infractions visées, que "la mesure envisagée par le gouvernement poserait, en particulier la question de sa conformité au principe de la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen" et de mon point de vue, également avec son article premier, "les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits".
Lui opposer le caractère non dissuasif de cette disposition pour des terroristes résolus à mourir en martyre, argument souvent avancé, est donc de faible portée, l'exécutif n'ayant jamais avancé, à raison, cet argument.
Je reviens à la question de la discrimination devant le droit que créerait cette mesure. Aujourd'hui, et grâce au débat passionné qu'elle suscite, on ne peut plus ignorer que l'article 25 du code civil autorise déjà le gouvernement à prononcer par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, la déchéance de personnes ayant obtenu "la qualité de français par acquisition et qui disposent également d'une autre nationalité, condamnés pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ou une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation". Et à l'occasion de ce débat, je pose la question : est on moins français par nationalité acquise que lorsqu'elle relève du droit du sol ?
La réponse est aujourd'hui, (car sous Vichy les déchéances prononcées, par une commission et non dans le cadre d'une procédure pénale, revenaient sur des dispositions prises dans les années 20 en matière d'assouplissement des conditions d'acquisition de la nationalité pour favoriser l'immigration de main d'oeuvre!), aujourd'hui donc, heureusement évidente et négative. Cette inscription dans le code civil a donc créé une inégalité de traitement entre deux catégories de français binationaux, sans que le Conseil Constitutionnel ne l'ait jusqu'à maintenant relevée et l'ait censurée. Quelque soit l'avenir de ce projet au terme du vote du congrès, il devra bien y avoir rétablissement de l'égalité de traitement entre binationaux que leur nationalité française soit innée ou acquise.
Je lis aussi souvent que le projet de l'exécutif ouvrirait un boulevard à son élargissement si d'aventure, un régime autoritaire... Cet argument me semble également de piètre portée. Il s'agit de constitutionnaliser (et d'encadrer strictement le recours à une mesure dont un usage dévoyé serait donc censurable par le Conseil Constitutionnel) le recours rendu possible à une condamnation additionnelle prononcée alors par une juridiction d'assises visant des personnes condamnées définitivement reconnues coupables de crimes particulièrement graves et mise en oeuvre une fois purgée leur peine principale. Observons ce que font les régimes autoritaires advenus dans des pays de tradition démocratique, en particulier en Pologne et en Hongrie. Ils s'attaquent précisément aux cours constitutionnelles ! Autrement dit Madame Lepen n'aurait pas besoin du précédent Hollande pour appliquer ses mesures discriminatoires : il suffit de supprimer ou de vassaliser le conseil constitutionnel pour prendre des mesures spectaculaires, d'une toute autre portée, visant en premier chef les populations "d'origine étrangère".
Pourquoi faut-il alors, de mon point de vue, s'opposer à cette mesure et naturellement rétablir l'égalité de traitement dans le droit français entre binationaux ?
Certains insistent sur le fait que cette disposition est déjà en vigueur dans d'autres pays démocratiques : le Canada, l'Australie. Mais précisément si le déchu en France, est franco-canadien ou franco-australien qu'est ce qui se passe ? Comme le dit Marc Trévidic, "on n'exporte pas le terrorisme".
Si ce même franco-canadien/australien/ce qu'on veut, est déchu dans son autre pays pour des crimes d'une extrême gravité, la France va-t-elle se faire le devoir (on imagine le déchaînement médiatique !) de l'accueillir ? Le crime perpétré n'est-il pas de même gravité quelque soit l'endroit du monde où il a été commis et réprimé ?
Si le binational qui est déchu de la nationalité française et donc expulsable une fois sa peine de prison purgée est en danger dans le pays vers lequel il doit l'être (expulsé), la France sauf à renier sa ratification de la convention de Genève sur le droit d'asile peut-elle lui refuser l'asile s'il le demande et lui est octroyé par l'Ofpra? A propos du "a", d'Ofpra (apatride), que se passe-t-il si le pays (à défaut de la signature d'un accord de coopération ou d'entraide le prévoyant par exemple) vers lequel le déchu doit être acheminé refuse de l'accueillir ? On crée un apatride, ce que le code civil, depuis la loi Guigou de 1998 précisément interdit.
Enfin, la nationalité est un élément constitutif de la personne dont la privation pourrait être regardée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme comme "une atteinte excessive et disproportionnée" (ce qui précisément lui revient d'apprécier, dès lors qu'elle serait saisie), tandis que la Cour de Justice, s'agissant à ma connaissance d'une première en Europe, pourrait également à avoir à se prononcer sur cette mesure du point de vue de sa conformité au droit de l'Union.
Bref on n'en a pas fini avec cette histoire.
JF. Marguerin