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Billet de blog 20 avril 2017

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Réduire l’iniquité de traitement des territoires : une priorité de politique publique

L’égalité de l’accès à la culture pour tout adulte, pour tout enfant est depuis la naissance de la quatrième république, un principe constitutionnel dont la Nation est le garant.

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C’est donc à l’aune de celui-ci que l’on doit au bout du compte évaluer l’action publique conduite depuis sa promulgation.
 
C’est lui également qui a donné, en tant que norme supérieure à toute autre, sa pleine légitimité au mouvement de décentralisation artistique engagé dès la Libération par Jeanne Laurent et poursuivi ensuite par André Malraux puis à la notion d’aménagement culturel du territoire dont Jacques Duhamel fut au début des années 70 l’inspiré promoteur.
Le modèle malrucien qui fait de la confrontation physique aux œuvres d’art, d’hier comme d’aujourd’hui, l’alpha et l’oméga de l’action publique en matière d’art et de culture a été très largement perpétué par ses successeurs sans exception. Parce qu’entre autres raisons, ce modèle, favorable aux artistes et aux professionnels, s’est traduit par un ensemble d’institutions, d’établissements, de labels dont l’héritage oblige.
C’est un bel héritage, envié ailleurs dans le monde, qui de surcroît a su répondre aux nécessités des temps où se construisait cette politique de décentralisation artistique puis d’aménagement du territoire. Il ne pose question qu’à partir du moment où la dépense publique devenue contrainte ne peut plus assumer sa nature inflationniste, ne peut suivre la progression inéluctable de ses coûts. Et qu’il mobilise une part déjà hypertrophiée des moyens budgétaires dévolus à « l’égal accès à la culture » dont la Nation est censée être garante.
Ce modèle a été pensé à la fin des années 50, à un moment de bascule d’une société essentiellement rurale à une essentiellement urbaine, tandis que la mutation sociologique des villes, chahutées par la décentralisation industrielle et les mouvements migratoires appelait que l’on se souciât de reconstruire une cohésion entre ces habitants à l’évidence mise à mal dans laquelle l’offre de culture avait un rôle à jouer.
Ce modèle perpétué a eu pour effet de concentrer l’offre culturelle vers le cœur d’agglomérations dynamiques et prospères où vit une population correspondant pour l’essentiel aux catégories socio professionnelles supérieures et aux publics spontanés de cette offre.
Certes la proximité physique ne saurait gommer les obstacles culturels et sociaux à sa fréquentation. Pour autant, elle constitue un formidable atout pour les citadins, et en même temps la marque d’une répartition territoriale particulièrement inégalitaire.
Les récurrentes velléités de rééquilibrage Paris/Province ou villes/campagnes sont dans tous les esprits.
 
L’enquête (3eme du nom après celles de 1973 et 1981) du Département des Etudes et de la Prospective du ministère de la culture publiée en 1989 sur les pratiques culturelles des français aboutit à un constat sans appel : tandis que le budget de ce ministère a été doublé 7 ans plus tôt, que l’offre s’est considérablement accrue, les CSP qui fréquentent l’offre publique sont demeurés globalement stables quels qu’aient été les efforts entrepris pour les modifier.
L’accroissement des moyens a provoqué essentiellement un effet d’aubaine pour les mêmes.
Précisons au passage que ce qui filtre de la prochaine enquête de ce département des études, à paraître l’an prochain (comme l’étude sur « Les représentations de la culture dans la population française » menée par Jean Michel Guy) n’apportera pas de correction à ce constat posé il y a presque trente ans.
Le concept « d’œuvres capitales », censé désigner une patrimoine commun à l’humanité toute entière défendu sous la quatrième et les débuts de la cinquième république tant par le puissant PCF d’alors ou des Gaullistes tel André Malraux paraît au final, par un terrible retournement, le marqueur d’une culture de classe plus que la perspective d’émancipation du peuple qu’il entendait signifier.
Les raisons à ce constat sont multiples et combinées.
On en retiendra plusieurs :
-    le métissage culturel d’une société au passé colonial important et qui connaît depuis au moins un siècle une succession de vagues migratoires européennes et extra européennes, de main d’oeuvre comme de réfugiés économiques ou chassés de chez eux par les conflits géopolitiques. En même temps qu’il est occasion d’ouverture et d’enrichissement culturel mutuel, ce sont des repères, des valeurs, des habitus, des croyances qui peinent à s’accorder en même temps que l’exclusion économique sévit qui clive et attise les repliements identitaires.
-    La crise des banlieues du début des années 80, effet collatéral du premier choc pétrolier qui est cependant l’occasion d’une émergence de pratiques culturelles et artistiques, de disciplines même qu’on déclinera sous le terme générique des cultures   urbaines. Jack Lang avec beaucoup de lucidité comprend que « les cités » sont productrices, d’œuvres, de styles, de modes d’être et de paraître, d’esthétiques quelque soit par ailleurs la violence des maux qui par ailleurs les affectent.
-    l’étalement urbain qui n’a cessé de progresser dès lors que les banlieues sont devenues à beaucoup invivables, que les loyers en ville flambaient et qu’une classe moyenne s’est élargie boostant du coup la « France des propriétaires » quitte à s’éloigner considérablement de la ville et de son lieu de travail pour dénicher le lotissement de ses rêves compatible avec ses capacités de remboursement.

Les années 90 vont correspondre à une forme de dilution de la ruralité dans ce que certains chercheurs en sciences humaines ont baptisé la rurbanité.
Les crises succèdent aux crises, les plans sociaux aux plans sociaux, qui ont frappé et frappent encore en priorité la partie basse de la classe moyenne, la moins qualifiée, celle désormais prise au piège de l’étalement urbain.
Le géographe Christophe Guilluy parle d’une France périphérique à laquelle il rattache 60% de la population française et fait de ces territoires ruraux /rurbains les véritables lieux de relégation où prévaut le sentiment d’abandon, d’oubli, de souffrance à bas bruit en comparaison avec les banlieues qui seraient caractérisées, contrairement aux idées reçues, par une mobilité importante, signe que de nombreux jeunes parviennent à s’affranchir des déterminismes culturels et sociaux qui leur collent à la peau.
Laurent Davezies évoque la fracture territoriale que vient accuser la métropolisation. Ses analyses sont moins radicales peut être que celles de Guilluy mais ne viennent pas loin de là les contredire. Pas plus que l’ « Atlas des Inégalités » qu’a publié il y a deux ans le démographe Hervé Le Bras. 
Alors quel infléchissement doit donc connaître la politique culturelle  quand on pressent qu’elle s’écarte sans cesse davantage du principe constitutionnel rappelé en introduction de cet article ?
Sans que l’affirmation des droits culturels finisse par tenir lieu de volonté politique, tant il est vrai que ne peuvent choisir pleinement leur culture que ceux et celles qui, notamment par l’éducation,  sont en capacité d’effectuer ce choix, de s’affranchir de tout déterminisme.
Ce n’est pas le lieu de pousser plus avant ce sujet, mais je précise cependant, qu’entre l’universalisme des Lumières et l’essentialisation de la différenciation  culturelle, substrat idéologique des droites à travers l’Histoire, je me rangerais, s’il fallait choisir, résolument du côté du premier.
Alors comment se remettre en mouvement dans le sens de cet « égal accès à la culture », formule dont on peut disputer à l’infini la signification ?
-   Donner priorité en mobilisant des moyens nouveaux (cf. mes publications sur ce blog) aux populations de ces territoires délaissés, rurbains/ruraux pour y déployer des activités adaptées aux réalités démographiques et physiques de ceux-ci.
-   Saisir l’opportunité de l’inscription dans la loi d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) qui,sauf exceptions (zones de montagne), doivent comporter au moins 15 000 habitants ce qui augmente substantiellement la capacité à faire en réduisant l’atomisation des approches et des moyens.
-   Œuvrer pour que l’Etat, les Régions comme les départements contractualisent (par un volet obligatoire de la future génération de contrats de plan si ceux-ci doivent perdurer) avec les exécutifs de ces EPCI, pour faire du développement culturel une composante forte du mieux vivre de leur population.
La loi Notr(e) votée voici deux ans, mettant ainsi fin à une longue valse hésitation, a fait de la culture une des rares compétences partagées par tous les niveaux de collectivités, EPCI compris.
Cette exception faite à l’abrogation de la compétence générale est une formidable opportunité offerte par le législateur pour la mise en œuvre d’un développement culturel territorial faisant la part enfin plus belle aux regroupements de communes jusqu’ici si peu pris en compte par l’action publique en matière d’art et de culture.
Les items majeurs de cette contractualisation devraient être:
-    une éducation aux arts et à la culture tout au long de la vie.
-    donner plus de place dans l’action publique en faveur de la culture aux disciplines non artistiques : sciences humaines, vulgarisation scientifique, débats de société sur le modèle d’universités populaires. La politique culturelle se confond trop  avec une politique artistique, préjudiciable d’ailleurs aux arts eux-mêmes.
-    Poursuivre à l’échelle de ces EPCI l’équipement en médiathèques (pour cela il faut défendre le concours particulier de la DGD que l’on sait régulièrement menacé) disposant toutes d’un espace culturel multimédia. Pour initier à une navigation vers les sites internet des institutions et acteurs culturels à la diversité aujourd’hui infinie.
-    Renforcer  les moyens de l’ADRC, agence pour le développement régional du cinéma, pour permettre le maintien et le développement de salles de cinéma équipées en projecteurs numériques et en vidéo transmission.
-    Adjoindre aux compétences de l’administration territorialisée un conseil scénographique pour faire au moindre coût de salles des fêtes, foyers ruraux, salles polyvalentes…des lieux ponctuels ou permanents de pratiques artistiques offrant aux amateurs, à des équipes en résidence, des conditions de travail, de recherche, de transmission satisfaisantes.
-    Développer, notamment grâce à ces aménagements minimaux et peu onéreux, une politique de résidences d’artistes, d’écrivains, de chercheurs, de longue durée (jamais inférieures à un mois) sur ces territoires, résidences de création ou « d’immersion », permettant de vraies rencontres avec les habitants, des transmissions formelles et informelles, des restitutions diverses, un enrichissement mutuel.
-    Des résidences, mais également, chaque fois que possible des implantations d’équipes dans des lieux qu’elles investissent, des « fabriques » qui renouvellent le lien à la population.
-    Diffuser des captations de spectacles, de concerts, d’expositions… dans de bonnes conditions, adossées aux résidences artistiques mises en œuvre et en lien avec  le développement de la pratique artistique, avec les apprentissages au contact de professionnels.
Faire au final, potentiellement de chaque individu l’ACTEUR de son épanouissement, de l’affirmation de son goût, de son  jugement critique sans être cantonné à la posture de SPECTATEUR, de PUBLIC à laquelle il est traditionnellement convié. Pour rendre effectif cette fois, l’exercice de ses droits culturels.
Voilà résumées quels étaient l’analyse de l’état problématique de l’action publique en faveur de la culture et le sentiment d’une urgence à agir qui m’habitaient quand j’ai initié en 2013 le plan d’action territorial qu’on trouvera ci après annexé.
Il vise les habitants d’EPCI reconnus prioritaires en termes d’action publique selon une batterie d’indicateurs nationaux fournis notamment par l’Insee.
L’évidente complexité de sa mise en œuvre, ne serait que parce qu’il suppose  de solliciter des collectivités qui au départ ne demandaient rien, l’effort continu et de long terme qu’il suppose, mériteraient de faire l’objet prochainement d’une première observation sinon d’un premier bilan.
J’ai pour ma part, en l’engageant, voulu que ce plan d’action soit à la fois modeste, pragmatique, empathique et très volontaire.
Parce qu’il en va aussi de l’avenir d’un modèle démocratique qui prend l’eau de toutes parts.
JF Marguerin
lundi 27 février 2017

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