Introduction
La mangrove représente l'un des écosystèmes les plus importants de la planète. Cette zone naturelle rend des services incontournables nécessaires à l'équilibre écologique. Dans les milieux tropicaux, tout autour de la planète, les mangroves constituent des milieux très sensibles et de plus en plus menacés. L'analyse de l'évolution totale des mangroves indique que les mangroves seraient passées de 19 millions d'hectares en 1980 à 15 millions en 2003 (FAO, 2007). Le monde a perdu 3,7 millions d'hectares de mangroves dans les 25 dernières années. Des études scientifiques ont permis de mettre en évidence les différentes fonctionnalités des zones humides. C'est ainsi que nous pouvons aujourd'hui consacrer une étude sur l'évaluation monétaire des fonctionnalités de ce milieu.
Il existe plusieurs méthodes pour l'évaluation monétaire des services rendus par les écosystèmes. Cependant, les trois principales sont la méthode des coûts de transport (Seenprachawong, 2003, Hesseln et al., 2003) ; la méthode des prix hédonistes (Clarck et al., 1997 ; Le Goffe, 2000) et la méthode d'évaluation contingente (Kosz, 1996 ; Pate et Loomis, 1997 ; Spash, 2000). Cette dernière méthode connaît un développement à fort potentiel depuis le début des années 90. La Méthode d'Evaluation Contingente (MEC) a largement été appliquée ces dernières années à la valorisation des actifs naturels (B. Dessaigues, 1992). C'est aussi une méthode de valorisation de biens non marchands. Elle est actuellement la technique d'évaluation la plus pratiquée, en raison de sa grande flexibilité (Mitchell et Carson, 1989), et de sa flexibilité (Mitchell et Carson, 1989), et de sa capacité à quantifier monétairement l'ensemble des valeurs (d'usage et de non-usage) que les individus attribuent à un bien environnemental. Nous avons donc choisi cette méthode pour estimer la valeur économique accordée par les usagers aux multiples fonctionnalités de la mangrove en Martinique.
Avant tout, il est nécessaire de comprendre le rôle que joue la mangrove dans les différentes zones géographiques où elle se situe, ainsi que l'origine de ses dégradations. Nous tenterons d'exprimer en grandeur monétaire le gain ou la perte de bien être des individus dus à la dégradation de la mangrove. Enfin, notre article veut aussi sensibiliser décideurs économiques et politiques à l'importance de ce capital naturel. Les problématiques environnementales prennent tout leur sens en milieu insulaire compte tenu de la vulnérabilité et de l'exiguïté de ces territoires.
L'objectif de notre démarche est d'internaliser les nuisances subies par la mangrove et d'appliquer la méthode d'évaluation contingente (MEC) à cet écosystème fragile. Nous appliquerons cette méthode aux mangroves les plus fréquentées de la Martinique et exposées à de fortes nuisances.
I - La mangrove, une zone humide singulière
La mangrove est un écosystème fragile, complexe, où la moindre variation physique ou chimique peut modifier ou détruire son équilibre. Des actions de préservation des mangroves sont depuis quelques années en cours dans toutes les régions de l'Outre-Mer.
- Les caractéristiques et les fonctionnalités de la mangrove
Les fonctionnalités de ces espaces naturels sont regroupées en quatre catégories :
- Les fonctions hydrologiques
Les mangroves jouent un rôle fondamental dans la régulation des régimes hydrologiques. Elles stockent une bonne partie de l'eau provenant des pluies diluviennes contribuant à recharger les nappes phréatiques superficielles.
Elles sont capables d'absorber des polluants tels que les métaux lourds et autres substances toxiques (Lacerda et Abrao,1984), ainsi que des éléments nutritifs et matières en suspension (Ewel et al., 1998). Elles ont un pouvoir épurateur. Cela fait d'elles, des filtres naturels d'eaux usées, empêchant de nombreux polluants d'atteindre les eaux profondes (Robertson et Philipps, 1995 ; Tann et Wong, 1999).
- Les fonctions biologiques
Ces espaces forment de véritables réservoirs de biodiversité en constituant l'habitat, le lieu de reproduction et d'alimentation de nombreuses espèces végétales et animales, parfois menacées d'extinction.
- Les fonctions de régulation
Ces services sont souvent les plus difficiles à mesurer (régulation des inondations, régulation du climat, de la température, stockage du carbone, prévention de l'érosion des sols, protection contre les pollutions, barrière contre les tsunamis, les ouragans, les cyclones...). La mangrove est considérée comme un « barrage » naturel face aux vents. Elle sert aussi d'écran naturel anti-bruit, son rôle absorbant autour des aéroports n'est pas négligeable.
- Les fonctions économiques
L'enjeu économique de la mangrove est incontestable. Elle est exploitée pour la pêche, l'aquaculture, l'élevage, la chasse, les plantes, les fruits, les animaux, la nourriture, les fibres, le bois commercial de haute qualité utilisée pour la construction de maisons, de bateaux, de papier journal, d'allumettes, etc. Le bois de palétuvier est particulièrement utile à la construction car, il est résistant. Les ressources ornementales tels que les peaux, les coquilles, les fleurs, les plantes et animaux font l'objet d'un marché pour l'agrément, comme par exemple, les orchidées, les papillons, les oiseaux, etc.
Les écosystèmes contribuent à la santé humaine en fournissant des plantes médicinales (Ruitenbeek, 1992) pour la médecine traditionnelle (la pharmacopée). Elles peuvent être synthétisées en produits pharmaceutiques. La mangrove offre des services immatériels intéressants à travers un enrichissement spirituel, des expériences récréatives et esthétiques. De plus en plus, la mangrove joue un rôle important dans la part croissante du secteur de l'écotourisme. La mangrove est devenue un circuit couramment proposé par les agences touristiques dans le cadre de visites guidées. Cette zone humide représente un laboratoire éducatif fascinant pour l'enseignement de la diversité, de la dynamique et du fonctionnement des écosystèmes. Elle héberge une variété d'espèces qui peuvent être facilement observées. Des aménagements y sont réalisés pour faciliter ces observations. La mangrove est donc un lieu de loisirs mais aussi un lieu « nourricier ».
2. Les pressions exercées sur la mangrove
Les mangroves à la Martinique sont menacées de toutes parts, principalement, par les pressions naturelles et les pressions liées à l'urbanisation.Parmi les pressions naturelles, on trouve les cyclones, la houle, la sécheresse et les effets des changements climatiques comme l'élévation du niveau de la mer, des températures et aussi l'érosion. La mangrove subie aussi des pressions urbaines. Elle peut être détruite par des travaux réalisés parfois très loin sur les bassins versants (constructions de barrages, détournements de rivières, développement de l'agriculture, de l'aquaculture, de la pisciculture, de rizières, etc.).
A la Martinique, les pressions de l'industrie touristique sur les mangroves sont nombreuses. Cependant, les principales sources de pression sont les remblais, les dépôts d'ordures polluants et les pesticides d'origine agricole. Les rejets de produits de dragage peuvent étouffer la mangrove. Les déversements de pétrole et de produits chimiques toxiques comme le chlordécone impactent fortement les mangroves. A la Martinique les mangroves reçoivent directement les rejets agricoles (engrais, polluants), urbains et industriels, elles sont souvent utilisées comme décharge sauvage. Les pesticides peuvent affecter la mangrove et se traduire par une diminution des habitats ou des services qu’elle rend.
Les plantes et animaux marins peuvent être transportés de très loin sur les coques des navires. Leur introduction peut complètement transformer un écosystème ou rendre inhospitalière des zones entières par exemple en modifiant la chaîne alimentaire ou les cycles de l'eau et de l'azote. En conclusion, cette rapide description des différentes fonctions de la mangrove révèle leur utilité et donc, la nécessité de leur bon fonctionnement. Or, assurer leur bon fonctionnement est primordial, car leur destruction est dommageable pour la communauté.
3. Les dangers de la destruction ou de la perte de la mangrove
Les mangroves qui ne peuvent plus fournir de services écologiques complets représentent un important coût social et économique pour la communauté. La dégradation des mangroves affecte la pêche, les recettes touristiques, les recettes d'exportation et la sécurité alimentaire. L'érosion côtière accrue, et la destruction provenant de tempêtes ou d'autres catastrophes naturelles affectent les résidents côtiers, les activités touristiques et de nombreux autres secteurs économiques. La perte de mangroves provoque l'intrusion d'eau salée et détériore la qualité des eaux souterraines. Les changements dans les écosystèmes peuvent directement être des vecteurs des maladies pathogènes (par exemple, le choléra) et de maladies virales transmises par les moustiques (la dingue, le chikungunya, le zika).
Par exemple, l’utilisation des pesticides détruisent les habitats des abeilles nécessaires à la pollinisation. Or, chacun sait que la pollinisation est essentielle à la reproduction de la plupart des plantes. Environ un tiers de l'alimentation dépend de la pollinisation des insectes (légumes, fruits..). Ce service procuré essentiellement par les abeilles est d'autant plus important qu'il n'y a pas de substitut technologique à ce processus. En effet, les écosystèmes peuvent se dégrader au point de ne plus parvenir à assurer certains services. Certains n'étant ni vendus, ni achetés sur les marchés, leur épuisement n'est pas directement mis en évidence par les mécanismes du marché. Pour mettre en relation économie et environnement, n'est-il pas nécessaire de donner une valeur aux biens environnementaux ?
II — Les fondements de la méthode d'évaluation contingente et description du site
Pour modéliser un tel actif naturel, il appartient à l'économiste de l'environnement de lui donner une valeur, voire de l'internaliser à partir des différentes méthodes de valorisation du capital naturel.
- Peut-on évaluer la mangrove ?
L'importance de la reconnaissance de la valeur de la biodiversité est inscrite dans la Convention sur la diversité biologique (CDB) adopté lors du sommet « Planète Terre » à Rio de Janeiro en 1992. Donnez une valeur à la mangrove signifie s'intéresser à sa valeur totale. Une telle démarche est d'une nécessité impérieuse surtout quand on sait que ces espaces sont convoitées et que son utilité ne fait aucun doute. Il paraît donc nécessaire d'intégrer le paramètre monétaire qui malheureusement donne du sens à une démarche de protection et de valorisation.
Ces espaces naturels sont utilisés gratuitement, cette gratuité ne signifie en aucun cas que ces biens naturels n'ont pas de valeur. Les différents services rendus par la mangrove augmentent inévitablement sa valeur.
Se pose alors la question de la valeur de la mangrove ?
Les économistes distinguent les valeurs d'usage direct ou indirect et les valeurs de non-usage.
- Les valeurs d'usage correspondent à l'utilisation effective, envisagée ou possible du bien. Elles sont réparties en valeur d'usage direct, indirect et en valeur d'option.
On retrouve chacune de ces valeurs au niveau de la mangrove en fonction des utilisateurs et/ou des non utilisateurs.
Les usages directs comprennent :
- Les usages de consommation (agriculture, chasse, pêche, récolte....
- Les usages de non consommation (récréation, écotourisme...).
La valeur d'usage direct est reconnue au niveau de la mangrove dans la mesure où c'est un lieu où des utilisateurs pêchent, cultivent, chassent et récoltent des plantes, du bois... Cette valeur vaut aussi pour les utilisateurs d'activités récréatives (randonnées, tourisme, visites, plongée, baignade...).
La valeur d'usage indirect existe pour les pêcheurs car, beaucoup de poissons de récifs naissent et grandissent dans la mangrove avant de regagner la mer. La mangrove est un véritable lieu de reproduction pour les espèces végétales et animales.
A côté de la valeur d'usage réelle on ne peut sous-estimer les valeurs d'usage potentiel. Ces valeurs se partagent en trois catégories les valeurs d'option, les valeurs altruistes, les valeurs d'héritage.
- La valeur d'option correspond aux usages futurs potentiels.
Il s'agit de la valeur que l'on accorde à la préservation d'un actif naturel en vue d'un possible usage futur (par exemple, la valeur accordée à la préservation de la mangrove afin d'avoir la possibilité de la visiter à une date ultérieure).On peut considérer que la valeur future d'une zone humide peut être élevée et que l'exploitation et la transformation en cours pourrait être irréversibles, on peut alors retirer une valeur de quasi-option en renvoyant à plus tard des activités de développement.
- Les valeurs de non-usage sont associées aux propriétés, aux qualités des milieux auxquelles les individus peuvent être attachés sans pour autant en faire usage. Elles recouvrent deux catégories de valeurs :
- La valeur d'existence est la valeur accordée à la mangrove même si on n'envisage pas d'en faire usage. Mais, on souhaite qu'elle soit préservée « pour elle-même ». Cette valeur « intrinsèque » est difficile à mesurer car les valeurs d'existence supposent que l'on effectue une évaluation subjective sans aucun rapport avec sa propre utilisation ou celle d'autrui, que ce soit maintenant ou à l'avenir.
- La valeur d'héritage (ou de legs) est la valeur liée au désir de transmettre un patrimoine naturel en bon état aux générations futures. Dans notre enfance, nos parents nous encourageaient à nous baigner dans la mangrove, car, celle-ci soigne certaines maladies de la peau, a des vertus cicatrisantes et surtout apaisantes. Les valeurs d'héritage peuvent avoir une importance particulièrement élevée pour les populations locales qui utilisent une zone humide et qui souhaitent la transmettre à leurs héritiers et aux générations futures en général.
L'intérêt scientifique de la mangrove est assez récent. Ce biotope n'a pas encore révélé tous ses secrets. Le nombre important d'espèces animales et végétales se développant dans ce milieu peuvent renfermer des vertus insoupçonnées par la communauté scientifique, d'où la nécessité de léguer aux générations futures ce potentiel inestimable.
Pour le système économique dans lequel nous évoluons, malheureusement, seule la valeur monétaire d'un bien a un intérêt. La contestation d'un projet public ou privé est plus crédible quand on est en mesure de démontrer la valeur monétaire du site naturel sur lequel il doit être érigé. La Méthode d'évaluation contingente est la seule pour l'instant à requérir l'adhésion du plus grand nombre en dépit de l'existence de nombreux biais dont elle souffre.
- La mesure de la valeur d'usage de la mangrove
Dans la théorie néo-classique, la valeur économique d'un bien dépend de l'utilité, du bien-être qu'il procure aux individus. Il ne faut pas confondre la valeur d'un bien ou d'un service et son prix. Le prix d'un bien est l'expression monétaire de sa valeur, c'est-à-dire de la confrontation entre l'offre et la demande sur le marché.
La richesse d'un écosystème n'est pas évaluable par le mécanisme du marché. Il n'y a pas de lien automatique entre le prix payé et la satisfaction (augmentation de l'utilité), tirée de la consommation. L'absence d'indicateurs de valeur a trop souvent conduit les acteurs économiques à lui attribuer un prix nul. C'est pourquoi on estime que la valeur économique totale de la mangrove est la somme de sa valeur d'usage et de sa valeur de non-usage. Cette dernière naît de la satisfaction procurée à un individu du fait de savoir que quelque chose existe. Ces valeurs sont liées à des considérations extra-économiques telles que l'équité, la justice, à l'égard des générations futures ou le respect de la nature.
2. Description de la zone d'analyse et de la méthode d'évaluation contingente
L'analyse que nous avons menée sur la mangrove est une approche préliminaire afin de procéder plus tard à une étude plus ciblée. Cette première démarche a permis de cerner la réaction des martiniquais par rapport à l'utilité de la mangrove donc de sa protection. Nous avons choisi d'étudier l'ensemble des mangroves placé sur le territoire de la Martinique. La détérioration de la qualité des mangroves nous a incité à réaliser cette étude afin de sensibiliser les acteurs économiques et politiques sur la nécessité d'une véritable politique publique de préservation de ce biotope naturel.
Les enquêtes se sont réalisées sur les sites les plus fréquentés de la Martinique tels que sur la Côte Atlantique, le Château Dubuc (commune de Tartane), la Presqu'île de la Caravelle (Trinité), l’Ilet Chancel (commune du Robert). Dans le Sud, la Baie de Génipa (Ducos), la Baie des Mulets, Trou Cochon (Vauclin), Cap Macré (Marin), la baie des Anglais (Sainte Anne), Vatable (Trois Ilets), Morne Cabrit (Lamentin). Ce travail novateur nous a conduit à recueillir le maximum d’informations d’où le choix de plusieurs sites.
Les recherches scientifiques concernant l'évaluation monétaire des écosystèmes ont beaucoup progressé. De nombreuses méthodes d'évaluation économique des services rendus par les écosystèmes existent. En dépit des nombreux débats suscités par la méthode de la MEC, on peut dire que son histoire est un success story. Elle s'est imposée comme la méthode permettant de mesurer la valeur totale des biens environnementaux dans la plupart des cadres réglementaires (J. Milanesi, 2011).
La méthode d'évaluation contingente (MEC) constitue un puissant outil d'analyse permettant d'évaluer le prix à payer pour bénéficier de l'amélioration de la qualité d'un actif naturel (ou éviter sa dégradation) ou bien la compensation pour supporter la dégradation de cet actif. Cette méthode présente tout de même des limites. Il s'agit d'une méthode assez souple dans sa mise en oeuvre. Par l'interrogation directe d'individus, elle permet de générer une estimation de mesures compensées de variation de bien-être. La méthode d'évaluation contingente (MEC) a été appliquée aux mangroves afin de révéler le consentement à payer d'une population d'utilisateurs, directement affectée par une diminution de ses fonctions d'utilité (fonction récréative, économique et écologique). Un questionnaire d'évaluation a été proposé, par interview directe sur le site à un échantillon d'usagers et de visiteurs. Les données, ainsi recueillies, ont fait l'objet d'un traitement économétrique permettant de mieux connaître les raisons d'un consentement à payer positif ou nul.
La méthode d'évaluation contingente (MEC) repose sur la réalisation d'une enquête au cours de laquelle on cherche à apprécier le montant que chacun serait prêt à payer, autrement dit le consentement à payer, pour la préservation ou la restauration d'un bien environnemental. La méthode d'évaluation contingente a été appliquée pour la première fois par R. Davis en 1963, pour la valorisation des actifs naturels. Cette méthode est depuis très utilisée par les économistes grâce à sa relative simplicité.
C'est une méthode qui est reconnue au niveau des administrations américaines qui acceptent leur intégration dans l'analyse coût-bénéfice de toutes réglementations, au niveau des tribunaux américains pour estimer les dommages subis par l'environnement. Les tentatives d'application de ces procédures d'évaluation environnementales sont encore timides en France et en Europe. Les récentes catastrophes pétrolières telles que celles du pétrolier Exxon Valdez dans le détroit du prince William en Alaska, l'Erika ou le Prestige, ont permis une prise de conscience générale et de la nécessité de la prise en compte d'instrument d'évaluation environnementale.
En effet, l'Etat de l'Alaska commanda une étude utilisant une enquête d'évaluation contingente qui chiffra à 3 milliards de dollars les pertes de valeur de non-usage. Exxon a été condamné à payer 2,5 milliards de dollars à l'Etat d'Alaska. Suite à ce désastre, le Congrès Américain décida de légiférer sur les marées noires. Les fondements théoriques et les modalités pratiques de son application mettent en évidence la singularité de cette méthode dans l'analyse économique.
Il n'existe pas de corpus théorique permettant d'évaluer la validité de la méthode, les progrès dans l'élaboration des questionnaires, les procédures de tests et d'expériences comparées ou encore les méta-analyses permettent aujourd'hui d'éviter un bon nombre de biais et de confirmer la robustesse de la méthode d'évaluation contingente.
- La pratique de l'évaluation contingente L'élaboration d'un questionnaire
La réalisation d’une évaluation efficiente exige la prise en compte de différents facteurs. Elle se fait à partir d’enquêtes.
L'importance de la population : l'échantillon doit être représentatif. La taille minimale de l'échantillon est de 100 individus, elle peut aller jusqu'à 600.Dans la méthode d'évaluation contingente, la mise en place et la gestion du questionnaire est décisive. Elle permet d'assurer la fiabilité et la véracité des résultats.
Le questionnaire est composé de trois parties :
La première partie porte sur l'usage de la mangrove et les activités qui y sont pratiquées. Nous nous sommes aussi intéressés à la fréquence des visites de la mangrove, le mode d'accès et le nombre d'années de sa fréquentation.
La deuxième partie s'intéresse à l'utilité de la mangrove et au degré de sensibilisation des individus à la problématique environnementale.
Trois propositions ont été formulées : Très sensible, assez sensible, pas du tout sensible.
La troisième partie de l'enquête concerne les données socio-économiques comme : Le lieu de résidence, l’âge, le nombre d’enfants, la professions, la tranche du revenu, la nationalité, le niveau d’études, la situation familiale.
L'objectif étant de mieux connaître les motivations des individus mais aussi de vérifier si ces caractéristiques socioéconomiques n'influencent pas le fait de donner ou pas un CAP > 0. Ces données étant nécessaires à la construction d'un modèle explicatif du CAP. Ces informations sont capitales pour la détermination du consentement à payer (CAP).
Le consentement à payer a été introduit comme une condition nécessaire au maintien de la mangrove dans son état naturel. Ce maintien implique un coût supplémentaire lié à la préservation du site. Le paiement constitue le seul moyen pour financer ce coût aussi bien par les usagers que les visiteurs. La solution retenue dans cette étude était de proposer aux différents enquêtés un ticket pour une journée. Le ticket serait de 2 euros par jour. Il a été le support visuel de cette valorisation. Les personnes interrogées ont été libres de proposer d'autres supports de paiement (abonnement annuel, carte de paiement, droit d'entrée...), d'autres montants que le ticket de 2 euros. Concernant le mode de paiement, la question était ouverte, l'individu a été libre de choisir le mode de règlement qui lui paraissait le plus approprié ; l'avantage de cette formule étant d'éviter un biais conceptuel.
L'enquête a été menée principalement en face à face sur les sites des mangroves. 152 personnes ont été interrogées ayant toute la particularité d'avoir visité au moins une fois la mangrove. Le questionnaire a été mené sur un mois. Les interviews ont été réalisés par un bureau d'études spécialisé. Chaque interview durait trente minutes.
Les résultats de l'enquête montrent que les activités dans la mangrove sont très variées mais surtout sportives.
Ceux qui se rendent dans la mangrove, le font majoritairement pour pratiquer de la marche ou de la course (42,1 %), se promener ou pique-niquer (36,2%), la mangrove est aussi utilisée pour le kayak (29,6%), la plaisance (12,5 %), la pêche (à la ligne, sous-marine) (12,5 %), la chasse aux crabes (15,8 %), autres (11,2%). On trouve ceux qui pratiquent une activité autre que celle proposée, parmi eux, 35,3% s'y rendent dans un but professionnel (travail sur le site, étude, contrôle de police).
Une analyse détaillée des résultats met en exergue que lorsque la fréquentation est occasionnelle, les sondés pratiquent majoritairement de la marche et de la course tandis qu'une fréquentation régulière s'effectue pour les promenades et le kayak. Les hommes sont plus nombreux (61,8%) à fréquenter la mangrove que les femmes (34,9%). Les hommes s'adonnent davantage aux activités sportives et aquatiques dans la mangrove (pêche, chasse aux crabes, jet ski) tandis que les femmes sont plus adeptes de la marche et de la course. Les pêcheurs utilisent la mangrove sur toute l'année. La chasse aux crabes est pratiquée de façon quasi-professionnelle, par une partie de jeunes martiniquais à la recherche d'emplois. La vente des produits issus de la mangrove leur permet de gagner un complément de revenus. La mangrove représente un poids économique indéniable. Si on imposait un droit d’entrée de 2 €, une personne interrogée sur deux (51 %) ne changeraient pas ses habitudes et viendrait aussi souvent qu’avant dans la mangrove. En revanche, 27 % déclarent qu’ils s’y rendraient moins souvent et 14 % affirment qu’ils n’y viendraient plus et 8 % sont sans réponse.
Sans entrer dans l’analyse trop technique de la question, on peut dire que le droit d’entrée pour protéger la mangrove est largement acquis par ses usagers.
Pour conclure, nous dirons que la méthode d’évaluation contingente nous a permis tout de même de donner une valeur à la mangrove et de constater la sensibilité des usagers à sa préservation.