Face à l'extrême-droite plus proche du pouvoir qu'elle ne l'a jamais été depuis Vichy, face à ses dirigeants qui reprennent à leur compte et font leur le vocabulaire résistant en dépit de toute véracité historique, quand ils ne ricanent pas carrément en évoquant les figures de la Résistance. Face à la méconnaissance ou au désintérêt d'une partie de ses électeurs, l'histoire personnelle se confond avec l'Histoire.
Jamais je n'aurais pensé publier une lettre transmise depuis 3 générations dans ma famille, par pudeur sûrement car il s'agissait d'une lettre de famille, sans lien pensais-je naïvement avec la politique, me croyant à l'abri pour toujours de la menace fasciste.
Pourtant après la déflagration qui a suivi la dissolution de l'Assemblée nationale nous avons été nombreux·ses à nous trouver désemparé·es, démuni·es de moyens d'agir autres que nos votes face à une potentielle majorité d'extrême-droite. Parmi mes pauvres moyens d'agir, j'ai choisi un des seuls en ma possession, celui de transmettre la dernière lettre de mon arrière-grand-père, Armand, Résistant Communiste, ouvrier, fusillé par la cour martiale allemande de Saint-Lô (Manche).
Armand, matelot puis ouvrier, descendant d'immigrés Espagnols, entre en résistance en décembre 1940 à Cherbourg (Manche). Distributeur de publications, animateur de grèves puis chargé de lutte armée, il entreprend la destruction de lieux stratégiques de l'armée allemande avant d'être dénoncé par un Français auprès de la Gestapo et arrêté le 1er juin 1942. Il parvient à s'évader puis est repris pour être condamné à mort le 13 juin avant d'être exécuté le 30 juin 1942.
Cette lettre est celle qu'il écrit le 26 juin, 4 jours avant son exécution sans en connaître la date exacte, pour mon arrière grand-mère, vivant à Cherbourg, au crayon à papier sur un bout de papier qu'il parvient à transmettre à un camarade.
J'ai transcrit cette lettre avant qu'elle ne soit totalement effacée il y a plusieurs années et nous avons conservé des photos de la lettre originale mises ici en illustration.

Agrandissement : Illustration 1

Mme ***
Rue du Maupas
Passage à niveau
Cherbourg
St Lô, le 26 juin,
(de préférence à remettre à elle-même)
Ma chère Andrée et chers enfants,
(Va la voir toi-même et embrasse-bien les enfants)
C'est avec un très gros poids sur le cœur que je vous écris ces quelques lignes qui peut-être seront les dernières car je profite qu'un camarade s'en va à Cherbourg et qu'il m'a demandé d'écrire une lettre et qu'il irait te voir.
Tu ne peux savoir ce que tout le monde essaie de faire pour moi car personne n'a le droit de communiquer avec moi et pourtant chacun fait son possible pour que ma vie soit moins dure car cela va faire deux semaines que je suis condamné à mort et je t'assure ce n'est pas la mort qui me fait peur car j'irai au poteau sans trembler, la tête droite.
Je leur ferai voir, moi, comment meurt un vrai Français.
Mais il y en a qui me disent que nous sommes graciés, tu sais moi leur grâce je n'y crois pas et pourtant il y en a un qui a été fusillé mercredi et qui avait été jugé une semaine après mais c'est peut-être après mon évasion car j'avais réussi à m'évader mais j'ai été repris, dommage, enfin n'y pensons plus.
Tous les soirs entre sept et huit heures, j'attends qu'ils viennent me dire « c'est demain au lever du jour » et puis quand il fait nuit, non, pas encore pour demain, alors l'espoir reprend pour la journée car ils préviennent la veille les hommes qui doivent être fusillés mais vraiment pour nous c'est trop long.
Vraiment si c'est pour en venir au même pourquoi ne pas nous passer aussitôt car je n'ai pas peur de mourir mais attendre la mort aussi longtemps est vraiment dur surtout que je suis dans un trou noir de 1m50 sur 1m70 alors il faut toujours que je sois couché, c'est dur, très dur.
Il y a des moments que je voudrais être mort et ce qui me fait le plus de peine c'est de vous savoir sans rien car pour vous la vie doit être aussi dure et c'est cela que je pense du matin au soir et du soir au matin car je ne dors pas ou presque pas. Même que je sois gracié si cela se pouvait, il faudrait attendre la fin de la guerre car je serais quand même condamné aux travaux forcés mais au moins j'aurais un espoir.
Enfin le camarade qui te fera parvenir cette lettre te le dira car d'ici-là je saurai sûrement si je dois mourir ou vivre, enfin aussi je voudrais te recommander les enfants. Ne te laisse jamais mener par aucun à aucun moment il ne faut pas les laisser prendre le dessus car regarde celui à Louise, petit Jean lui était déjà dur, dresse le avant qu'il ne soit trop tard sans pour cela lui faire plus de mal qu'aux autres peut-être si je ne suis pas fusillé, ne serais-je pas si longtemps parti car, l'année prochaine, les allemands seront battus mais au cas du pire envois les à l'école et surtout veille bien à ce qu'ils fassent jamais les voyous, ne les laisse pas courir les rues mais je te dis tout cela et pourtant je sais que tu es une bonne mère et que nos enfants seront bien élevés car pour moi ma tâche est malheureusement peut-être bien terminée tandis que la tienne commence.
Tu dois vivre et lutter pour l'avenir de nos enfants. Ne te décourage pas. Ils ne sont pas la cause de nos malheurs. Tu dois faire en sorte qu'ils ne s'aperçoivent pas trop de mon départ. Peut-être si j'ai la chance d'être gracié je n'ose y croire enfin va voir ma mère, embrasse la bien fort ainsi que toute la famille surtout embrasse bien bien fort nos enfants et prends en bien soin.
Celui qui pensera à vous jusqu'à sa mort.
J'ai eu bien tort de m'occuper de tout cela mais c'était ma destinée.
C'était pour la France.
A bientôt peut-être.