Je suis enceinte, à quelques jours de l'accouchement, et on me refuse l'accès aux soins publics en France. Mon mari, qui est le père de l'enfant, travaille dans une entreprise française, paie ses impôts et sa sécurité sociale ici, a sa carte vitale et m'accompagne de près à chaque consultation et examen prénatal. Mais la charge des coûts – émotionnels et financiers — d'une grossesse, pour l'État français, doit être entièrement supportée par la femme. C'est du moins ce que la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) a réaffirmé dans un long processus de désinformation ou d'informations trompeuses, inexactes et contradictoires auquel je suis confrontée depuis 39 semaines de grossesse, depuis que j'essaie fortement d'obtenir ce droit, qui est, selon la constitution française, un droit fondamental non seulement pour moi, mais surtout pour mon enfant.
Ma saga a commencé plus tôt, lorsque mon mari et moi n'envisagions même pas d'avoir un enfant, mais nous avons décidé, après avoir terminé mon doctorat en France, d'y vivre plus longtemps. Il a trouvé un emploi et j'ai continué mon travail rémunéré dans notre pays d’origine, en faisant du télétravail, une stratégie qui nous a soutenus et nous a permis de rester en France depuis 2021. Nous sommes nés en Amérique latine et mettre un enfant de plus au monde n'était pas un souhait que nous nous voyions réaliser. Cependant, l'expérience de accompagner de près la mise en œuvre des piliers de l'État-providence français, où l'égalité, la liberté et la sororité semblaient réellement fonctionner, nous a progressivement fait repenser nos projets. Parce qu'elle a été à l'avant-garde d'importantes révolutions, la France se présente comme une version plus intellectualisée, plus inclusive et plus durable du rêve américain. Et donc, pour nous, beaucoup plus attrayante. Nous croyons à la propagande fallacieuse du rêve français, comme tant d'autres étrangers et étrangères qui immigrent ici — ou même comme des touristes qui entrevoient la réalité locale et tant de gens qui veulent venir voir ce pays qui s'est historiquement présenté au monde comme un défenseur des droits de l'homme — bah, oui, et pas de droits de femme.
Le jour où la ligne rose du test de pharmacie s'est révélée à moi d'une couleur presque rouge, cela faisait quatre mois que j'avais demandé le renouvellement de mon droit d’accès à l'assurance maladie. Pendant mon premier trimestre de grossesse, entre les allers-retours du dossier d'un service à l'autre — parce que personne ne savait comment traiter le cas de quelqu'un qui a un titre de séjour passeport talent en tant qu'artiste, mais qui ne travaille pas en France —, pas un seul membre du personnel de la CPAM m'a informée que, puisque je ne cotise pas dans le pays, même si j'y habite, je ne peux pas avoir accès à l'assurance maladie. Je ne me suis donc pas rendu compte du cauchemar que notre rêve allait devenir.
Jusqu'à ce qu'en décembre, voyant la date limite pour déclarer ma grossesse approcher, j'envoie des courriels désespérés à la direction de la sécurité sociale, expliquant mon cas. Une dame très touchée par la situation m'a aidé et j'ai finalement reçu mon attestation d'accès à l'assurance maladie. Mais le soulagement n'a même pas duré jusqu'à Noël. Six jours plus tard, j'ai reçu une lettre signée par le directeur général de la CPAM des Hauts-de-Seine, où je suis inscrite, m'informant que mon accès à l'assurance maladie en France avait été annulé parce que je ne travaillais pas ici, mais dans un autre pays. On me disait de me tourner vers le système de santé de mon pays, où je suis fonctionnaire. Comment faire ? En choisissant de rester éloignée de mon mari pendant la grossesse, l'accouchement et la période puerpérale, puisqu'il travaille en France et n'a pas la possibilité de télétravailler depuis l'étranger ? Une autre option serait de recourir à des soins de santé privés. Cependant, le délai de réponse du système de santé français a été si long — et nous ne savions pas quelle serait l'issue de l'histoire et qu'elle m'empêcherait d'utiliser la mutuelle que mon mari paie — que nous n'avons pas eu le temps de respecter le délai que les prestataires de soins de santé privés exigent pour couvrir des procédures telles que l'accouchement.
Nous avons fait appel de la décision. Nous avons demandé l'aide de médiateurs de la CPAM dès le mois de janvier et toujours pas de réponse. Nous avons contacté le président de la République ainsi que sa femme, les maires de différentes régions et littéralement une centaine d'autres personnes susceptibles de nous orienter vers une solution. Mais la notion d'égalité que la France exporte dans le monde repose sur une façade fragile qui, sans la moindre gêne, est capable de mettre à l'écart et d'exclure une femme enceinte. Tant qu'elle travaille. Si je ne travaillais pas, je pourrais être rattachée à mon mari et tout irait bien, selon m'ont signalé les personnelles de la CPAM.
Dans le cadre du patriarcat bien ancré de ce système, il n'y a aucune projection sur le fait que l'enfant est aussi celui du père et que, par conséquent, les coûts des soins prénataux devraient également être les siens.
Nous avons même dû payer des cours de préparation à la naissance et à l'accouchement, car ces frais ne peuvent pas être liés à la carte vitale de mon mari. Au motif que ce n'est pas le conjoint qui porte l'enfant, l'État français délègue à la mère, et à elle seule, l'obligation d'étudier, de s'informer et de payer pour connaître ses droits en tant que femme enceinte et accouchée, puis en tant que responsable des premiers soins de l'enfant. Le père n'est qu'un figurant et il ne doit pas oser en vouloir plus.
La violence obstétrique ne provient pas seulement des professionnels de la santé qui s'occupent de nous. Il n'y a pas que le médecin, la sage-femme ou l'infirmière qui peuvent nous violenter. Les institutions attaquent également, et souvent avec beaucoup plus de force.
J'ai eu une grossesse compliquée, outre les nausées et les vomissements qui ont duré jusqu'au cinquième mois, j'ai souffert de saignements à la fin du premier trimestre et au début du deuxième. J'avais peur, très peur. Je ne voulais pas perdre cette partie importante de moi que je portais soudainement dans mes propres viscères.
Lorsque j'ai reçu la lettre qui nous refusait la dignité élémentaire des soins de santé, à moi et à mon enfant, j'ai ressenti la douleur de voir quelqu'un que j'aime si profondément être attaqué. Ce qui fait le plus mal, ce n'est pas le coût financier — qui est élevé, mais que nous, mon mari et moi, avons le privilège de pouvoir assumer — mais la tension émotionnelle et psychologique d'être exclu de la société française. Renégat à la marge, au moment où je porte mon fils dans mon ventre et l'invite à faire partie de ce monde, de cette société qui nous exclut.
J'en suis à la fin de ma grossesse et là, je cherche des outils et des espaces capables de me permettre, malgré le traumatisme causé par l'administration française, de vivre la naissance de mon enfant dans l'accueil et la joie. J'ai l'impression que la France, en me laissant dans un état constant de stress et d'anxiété, m'a volé une partie heureuse de ma grossesse et de notre vie en famille. La peur et la tristesse m'ont fait apprécier cette phase beaucoup moins que je ne l'aurais souhaité. Aujourd'hui, tout en préparant l'accouchement, j'essaie de redonner du sens à tout ce qui nous entoure pour accueillir mon fils. Oui, nous avons été surpris par le déclin du rêve français. Mais mon enfant grandira en réalisant qu'ici, dans ce lieu contradictoire, ce sont les gens, avec leur courage et leurs insurrections, qui ont changé le cours même de l'histoire. C'est pourquoi, avec mon mari, nous avons décidé d'y rester. Pour que Gael, notre petit garçon, ait l'espace et l'encouragement nécessaires pour écrire l'histoire qu'il souhaite.
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