Au commencement était le Verbe. Un verbe insidieux, péremptoire, injurieux sans pour autant qu’il ne soit nommé de la sorte. Ce verbe qui peut s’immiscer dans toute conversation au travail. Il peut s’agir d’une remarque formulée à l’encontre d’une collègue pendant une réunion, par email, dans les espaces de détente, dans le couloir. Une remarque choquante qui « oh n’est qu’une blague », un attouchement qui « n’est qu’un dérapage ». D’habitude ça n’arrive pas, parce qu’au fond, on sait qu’il n’est pas comme « ça ». Comme « ça » quoi au fait ? Comme il serait disproportionné de croire qu’au fond, si un collègue est un peu séducteur, cela doit vous mettre mal à l’aise. De toute façon tout est formulé d’une façon bien trop explicite pour que ce soit vraiment sincère. Et puis il n’y a pas de mal, ce ne sont que des bonnes vieilles blagues. N’est-ce pas ?
Aujourd’hui, en France, une jeune femme peut recevoir des mains aux fesses par son employeur, sentir qu’il touche ses sous-vêtements à travers sa robe, et se faire rappeler ouvertement « qu’elle ne peut rien contre lui ». Elle est intimidée physiquement et verbalement par son agresseur parce qu’il est bon qu’elle se rappelle que c’est une « chieuse », « tu te crois cultivée hein ? tu te crois intelligente hein ? » Mon histoire n’est pas un viol au sens propre du terme. Pourtant, même si le degré de drame diffère, la nature de l’acte reste la même. C’est une agression violente. J’ai d’abord été en arrêt de travail, je n’ai plus de travail, je fais une thérapie. Lui, est toujours à la tête de son entreprise. Ses employés sont au courant. Certains sont scandalisés mais ne peuvent rien. D’autres s’en fichent. Mais avant que ce drame ne se produise, il y a eu toutes les formes de complicité qui ont créé un terrain propice à l’abus: le mépris pour la défense qui se revendique « féministe », les plaisanteries graveleuses auxquelles tout le monde rit pour faire consensus, l’absence totale de contradiction face au « boss ».
Lorsque j’ai déposé plainte contre mon employeur, patron d’une PME parisienne qui présente bien, j’ai eu l’opportunité de découvrir la comédie humaine dans toute sa splendeur. Il y a eu les recommandations conservatrices « mais tu es folle, dis rien, c’est tout c’est comme ça, tu vas t’attirer des ennuis ». Des gens qui vous proposent d’encaisser « vous savez il y en a qui ont eu bien pire et pourtant elles ne disent rien ! ». Chez d’autres des fantasmes de domination se réveillent face à une femme à l’air si fragile. Parfois on vous murmurera aussi - à juste titre - qu’il ne faut pas vous faire d’illusion quant à l’issue d’une telle procédure qui risque de vous détruire. Puis, il y a ceux qui sont bienveillants et courageux, et décident de vous aider du mieux qu’ils peuvent. Ils sont à l’écoute, découvrent en même temps que vous. Ils conseillent, ils cherchent, ils accompagnent. Ils sont essentiels à votre combat car ils seront fiers des efforts immenses que vous allez déployer.
Federico Garcia Lorca avait qualifié la tragédie des femmes : « naître femme est le pire des châtiments ». Le harcèlement au travail en est une manifestation presque caricaturale. Cela vous convient-il ? Personnellement, non, cette situation je la refuse. Elle va à l’encontre du type de société dans laquelle je souhaite vivre. Ce que je veux, c’est un changement de paradigme.
Ce verbe tragique, je décide aujourd’hui qu’il est obsolète.
Les femmes doivent adopter les attitudes pour exploser les verrous d’un système de domination qui favorise le harcèlement en leur imposant le statut d’éternelles spectatrices ou de victimes passives. A nous de dénoncer les agressions comme un scandale inadmissible. A nous, toujours, de refuser d’adopter le silence comme la bonne réponse qui arrangera le plus grand nombre. A nous de nous projeter avec ambition aux postes que nous voulons être les nôtres sans la peur d’être intimidées. A nous d’aider celles et ceux qui sont victimes de ce type d’abus. A nous de poser les normes qui annihileront ce rapport de force propice à ces violences au travail. Avec nous, le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles seront nommés, dénoncés, poursuivis. A notre société, dans son ensemble, de reconnaître les mécanismes infects qui la pourrissent au plus profond d’elle-même. "J'irai dénoncer ton abus".
Quant à celui qui a jugé nécessaire de me faire des avances immondes et me peloter à maintes reprises pour me mettre à une place qu’il croyait être la mienne, je lui adresse les mots suivants : « Bienvenue au XXIème siècle, gros con ! Je te souhaite, avec tout le mépris que je te dois, un excellent crash à l’atterrissage ».