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Billet de blog 7 juillet 2023

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Histoires d'eaux à Paris

La Seine, le dix kilomètres nage libre, et la salle de bains de Madame Hidalgo J’apprends en regardant par hasard un reportage, qu’à Paris, les eaux usées, les eaux dites vannes et les eaux de pluie sont encore toutes charriées ensemble dans un même mouvement purificateur à travers les égouts de Paris.

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La Seine, le dix kilomètres nage libre, et la salle de bains de Madame Hidalgo


J’apprends en regardant par hasard un reportage, qu’à Paris, les eaux usées, les eaux dites vannes et les eaux de pluie sont encore toutes charriées ensemble dans un même mouvement purificateur à travers les égouts de Paris. Elles vont dans des canalisations communes vers les stations d’épurations, qui les rejettent une fois nettoyées, dans la Seine.
J’ai été un peu choquée en me souvenant des emmerdements continuels que j'ai dû gérer lors de ma vie d’architecte pour tout bien séparer, pour créer des tas de tuyaux divers et variés, de taille, de pente, de diamètre bien définis pour chacune de ces trois « eaux ».ça ne date pas d’hier ces règlements, et que rien n’ait changé depuis en « sous œuvre », me fait me poser certaines questions. C’‘est un peu comme si pour la galerie, en surface tout était bien propre mais par-dessous, il ne valait pas mieux regarder. Une métaphore de la politique parisienne ?
On pourrait dire qu’à l’inconscient de Paris, représenté par son sous-sol, il faudrait appliquer un bon travail d’analyse. Madame Hidalgo chez le psy ?
A la campagne on vous force à installer et payer des systèmes d’assainissement individuels qui séparent bien tout, ce qui me parait normal. Pourquoi en effet traiter les eaux de pluie qui ne sont pas du tout polluées de la même façon que les autres ? Ça fait un énorme volume en plus à nettoyer, mécaniquement et parfois chimiquement. Mais surtout, dès le départ, à la base, pourquoi les polluer alors qu’elles sont propres ? pourquoi les mélanger aux autres ? C’est d’une absurdité totale.

Mais le clou du problème, c’est ce qui arrive lors de grosses pluies ou de gros orages : il y a des trop-pleins dans les égouts de Paris, qui tout d’un coup sont submergés. Et alors tout, absolument tout, va dans la Seine, directement, sans passer par la case station d’épuration. Les images sont affreuses, on voit de gros bouillonnements noirâtres se déverser par d’énormes bouches qui vomissent dans le fleuve.
Donc dites-vous que quand la Seine monte, c’est qu’elle est pleine de ce qu’emporte nos centaines de milliers de chasses d’eau, actionnées de nos belles salles de bains immaculées Elle-Déco.
Le Zouave du pont de l’Alma se réjouit alors sûrement de se baigner les pieds dans une eau pareille.
« Sous le pont Mirabeau, coule la Seine, scratch scratch scratch » , vous avez entendu l’enregistrement antédiluvien de Guillaume Apollinaire récitant son poème d’une voix tremblotante sur fond de disque rayé? Je ne m’en lasse pas. 

On pourrait alors dire que l’orage symboliserait la colère de Paris qui n’en peut plus de cacher son inconscient submergé par les non-dits (et les non-faits), et déverse alors sa hargne violemment dans la Seine, le navire de son blason voguant sur une eau déchainée dans une tempête de bout de PQ…
Anne Hidalgo, qui ne fait pas grand chose dans le bon sens, qui met la charrue avant les bœufs dans ce qu’elle entreprend dans le but de plaire, qui vit à Paris comme sur un yacht qu’elle veut rendre bien propre et advienne que pourra de ceux qui sont dans les barques alentour, aimerait que l’on se baigne dans la seine en 2024. Que les jeux olympiques puissent profiter d’une Seine propre pour y faire se dérouler les épreuves aquatiques (triathlon, 10 km nage libre). Elle est en train de faire construire un énorme bassin qui pourra accueillir ce trop-plein des eaux toutes mélangées quand il y a un gros orage, pour éviter qu’il aille dans la Seine. On bétonne, on bétonne, - "car ça, on sait faire", nous dit le directeur des travaux, dubitatif quant à l’efficacité de son ouvrage- on dépense des millions. Mais si l’orage est trop gros s’il a beaucoup plu, ça ne suffira pas….

 L’eau potable, l’eau tout court, va manquer. C’est le problème de la terre. Et on ne sait pas maitriser l'eau et on ne la connait pas. On ne sait rien par exemple de son pouvoir de mémoire.

 Tous, hommes, bêtes et végétaux, nous sommes tous attirés par l’eau. Nous nous regroupons autour de l’eau, nous ne pouvons vivre sans elle, et nous imaginons aussi qu’elle a le pouvoir de tout faire disparaitre. Nos déchets bien sûr mais aussi nos peurs, nos angoisses, et nos « péchés ». Puisqu’elle court, puisqu’elle est en mouvement, l’eau emmène tout avec elle, et ceux d’à côté comme dans l’histoire du loup et l’agneau, en aval se retrouvent avec une eau troublée. En amont aussi si l’on comprend la fable. Mais ça ne se voit pas. L’eau est perverse, l’eau est trompeuse. Elle parait calme mais il y a des courants sous-marins, elle parait claire mais elle est pleine de polluants dangereux, elle est un miroir, qui ne montre pas ses profondeurs, qui reflète ce que nous voulons bien voir.
J’ai bien envie du coup de partager un texte qui fait partie  de mon livre sur l’inconscient.  

 [….]Le fleuve est en même temps celui qui transporte nos angoisses, mais aussi celui qui les fait disparaître si on s’y baigne.
Comme les Indiens qui se plongent dans le Gange pour se purifier, alors que les poubelles et les morts flottent à côté d’eux. Le Gange charrie dans un même élan l’eau purificatrice, mais aussi les maladies et les ordures. Ce paradoxe là nous choque, nous, occidentaux rationnels et civilisés. Pourtant nous utilisons l'eau de nos fleuves, de nos rivières et de la mer pour y déverser nos déchets aussi peu rationnellement que les indiens, mais d’une façon plus pernicieuse, plus cachée. Comme si l'eau pouvait tout faire disparaître. […..]


Lorsque nous assistons à ces scènes de baignades indiennes, notre raison nous dit qu’ils sont fous, car on ne peut pas se purifier dans une eau polluée. Pour les indiens, ce rite est une vérité, une évidence. Il va au-delà de la raison, car c’est un rite qui a un sens dans le fait que l’eau du Gange est la mère de tous, qu’elle est l’origine du monde. Et il est donc tout à fait normal qu’elle accueille tous les déchets des hommes. Pure à sa source, à sa naissance, elle devient de plus en plus polluée, se remplie de détritus, de bactéries délétères, mais aussi de péchés, d’angoisses, de maladies de l’âme et du corps, au fur et à mesure de son cheminement. Elle les transporte au loin, en dehors de ceux qui s’y baignent. Il n’est donc pas dans l’ordre des choses de penser que l’on peut attraper les maladies qu’elle pourrait transmettre, car la croyance en une eau sacrée et purificatrice n’en laisse pas la place. Et cette croyance protège aussi réellement. Le corps se ferme aux maladies éventuelles, et décide de se purifier, et non pas de se polluer. Le corps prend sa force dans ce pèlerinage entrepris avec une croyance et une dévotion qui protège. Lorsque l’on a peur, on est bien plus vulnérable et faible et apte à attraper des maladies. Lorsque l’on est sûr de soi, on est fort et invincible. Le mental que l’on a formé, travaillé, qui est comme enveloppé de certitude, protège du danger possible puisqu’il l’exclu, et donc en même temps de celui de la possibilité d’en être la proie.

Pour nous occidentaux, le fleuve est un chemin d'eau que l’on croit encore ne pas avoir besoin de prendre : il travaillerait pour nous sans que nous n'ayons rien à faire. Nous faisons l’impasse sur la baignade, sur la confrontation « corps à corps », avec l’eau donc avec ce qu'elle charrie de nous. Alors finalement bravo madame Hidalgo ? Non, parce que pour mériter cet éloge, il faudrait qu’elle accepte de se baigner dans la "vraie" eau de la Seine, et ne pas recourir à des stratagèmes qui seront mis en place juste pour la galerie, juste pendant ce laps de temps où le monde aura les yeux braqués sur nous, pendant les jeux olympiques.

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