Devant la crise de la dette publique en zone euro et le risque d’éclatement, les dirigeants de la zone euro sont en résumé confrontés au choix entre :
- d’un côté RIGUEUR ET AUSTERITE ET RISQUES ACCRUS DE RECESSION (pour les pays cigales, sans solidarité des pays fourmis) : intransigeance (position allemande) sur l’interdiction donnée à la BCE de faire de la création monétaire pour éviter tout risque d’inflation (et de dévaluation de l’euro). Les pays endettés ne peuvent pas faire jouer l’amortisseur de dévaluation de la monnaie donc c’est le taux d’intérêt qui est seule la variable d’ajustement, d’où les spreads croissants entre pays endettés qui ont des difficultés de remboursement et les autres. C’est la même attitude qui s’oppose aux eurobonds, émissions de dette en euro mutualisée à un taux commun, qui pourrait être faible si garanti par l’ensemble de la zone euro, globalement faiblement endettée et sécurisée grâce à une garantie qui pourrait être donnée par les pays fort (à taux faible). Mais cela reviendrait à faire accepter une solidarité financière entre pays forts et pays faibles, à augmenter le taux auquel les pays fort (l’Allemagne) emprunterait. Or si les peuples allemand et nordiques s’y opposent, ils ne voteront pas leur confiance aux dirigeants, députés, qui accepteraient un laxisme financier au profit des pays faibles (cigales) et à leurs dépens (les fourmis).
=> Cette position se traduit en politique d’austérité et récession chez les pays cigales, avec les risques de sortie de l’euro, de révolte … Qui au final auraient de répercussion néfastes sur les pays fourmis, la fourmilière risquant de s’écrouler.
- de l’autre côté LAXISME BUDGETAIRE ET MONETAIRE, SOLIDARITE entre pays : acceptation d’une solidarité financière entre les cigales et les fourmis, qui peut être opérée à la fois par l’émission de dette publique en euro mutualisée et par de la création monétaire (prêts direct par la BCE). Mais avec le risque d’inflation et de dévaluation de l’euro, d’augmentation des importations telles que le pétrole, le gaz, les matières premières. Ce qui "boosterait" en revanche les exportations vers l’extérieur de la zone euro, mais comme elles ne concernent que moins de la moitié des exportations (60% étant des exportations intra-zone euro), l’effet global sur la croissance et l’emploi n’est pas garanti.

Ne peut-on pas envisager une SOLUTION INTERMEDIAIRE avec deux options :
1- RIGUEUR ET SOLIDARITE : émission commune d’une dette publique en euro et aide aux pays en difficultés sans création monétaire (pas de monétisation de la dette), mais acceptation par les pays fourmis de consentir une contribution pour garantir une émission de dette commune, de payer sur leur propre dette un taux un peu plus élevé ;
2- CREATION MONETAIRE ACCEPTEE MAIS CONTROLEE ET LIMITEE, visant à lâcher du leste en acceptant de la création monétaire, donc un peu d’inflation et de dévalorisation de l’euro, mais de façon contrôlée, limitée. La BCE dispose d’outils pour le faire.
Le point de résistance à de telles options est surtout l’Allemagne, qui n’est pas d’accord, parce que les Allemands fourmis ont peur et ne veulent pas payer pour les cigales, après s’être eux-mêmes serrés la ceinture. Or Angela Merkel est tenue par son Parlement, qui doit encore ratifier le MES, et craint pour sa prochaine élection. Une majorité des Allemands pensent que leur pays serait en meilleure situation sans l'euro, selon un sondage paru dimanche. Pour ouvrir l’opinion publique allemande à cette solution, il faut de la pédagogie, il faut leur expliquer que c’est dans leur intérêt, un éclatement de la zone euro pourrait coûter très cher à l’Allemagne, comme le montre une étude du ministère des finances allemand (contraction de 10% du PIB et forte hausse du chômage). De plus, cette crise a bénéficié à l’Allemagne qui a vu les taux de sa dette baisser très fortement, considérée comme valeur refuge (gain de 60 milliards d’euros sur le coût de financement de la dette en 30 mois), et la baisse de l’euro a dopé les exportations allemandes (environ 30 milliards de rentrées fiscales et de baisse de dépenses sociales). Si l’Allemagne contribuait à hauteur de 100 milliards au coût de mutualisation, ce ne serait que reverser ce qu’elle a perçu en plus grâce à la crise …
Précisons ou rappelons quelques points pour mieux comprendre le contexte et les choix et modalités devant lesquels sont confrontés l'Eurogroup et la BCE concernant la crise des dettes d’Etat en zone euro :
1- Si la banque centrale prête directement à l’Etat en achetant des titres de dette publique sur le marché primaire, i.e. le marché où la dette est directement émise, comme le fait la FED, c’est de la pure création monétaire (la planche à billets). Cela revient à « imprimer des billets de fausse monnaie » ou encore à augmenter d’autant la masse monétaire incluant les crédits tout en la dévalorisant proportionnellement car il n’y a pas eu de hausse de PIB justifiant une création de valeur. En revanche, si l’on intervient sur le marché secondaire, comme le fait la BCE, et que le montant acheté est stérilisé (la banque centrale reprend le montant de liquidité équivalent qu’elle dépose sur un compte) là ce n’est pas de la création monétaire dans le sens où l’effet sur la quantité de monnaie en circulation est neutre. Les titres achetés viennent au bilan de la banque centrale.
Lorsque l’Eurosystème a racheté massivement de la dette des Etats en difficulté ces achats ont été stérilisés (les avances aux banques diminuent ou leurs obligations de dépôts en banque centrale sont augmentés, pour contrôler la masse de crédit). N’oublions pas que le mandat de la BCE est la lutte contre l’inflation et elle ne peut se permettre de laisser filer l’inflation qui pourrait devenir incontrôlable.
2- Si la BCE accepte d'acheter en secondaire des titres d'Etat à un taux plus faible pour essayer de faire baisser les taux, ce sont les investisseurs-vendeurs qui engrangeront la plus-value, au lieu de faire bénéficier l'Etat du taux faible ! Si les taux de la dette sont élevés car le marché intègre une prime de risque mais que le risque est in fine toujours garanti par les Etats, ce sont en effet les investisseurs qui profitent de rendements élevés au dépens des contribuables. Le jeu paraît donc faussé et donne l’impression que la BCE fait un cadeau aux banques en leur prêtant à 1% alors qu’elles peuvent ensuite acheter un titre portant un taux de 7% sans finalement en subir le risque …
Ce n'est donc pas du tout pareil pour la BCE de prêter directement à un Etat en achetant ses titres en marché primaire et d’acheter des titres déjà émis en marché secondaire aux investisseurs.
3- Le rachat par la BCE (ou par les Banques centrales de la zone euro, l'Eurosystème) de titres d'Etat sur le marché secondaire ou la prise en pension (en collatéral contre avance de liquidités aux banques) est déjà autorisé par le traité. C'est l'achat direct de titres d'Etat, bons du Trésor ou obligations, par la BCE ou par les banques centrales nationales de la BCE qui n'est actuellement pas autorisé par le traité (Art 124 de Maastricht (ex Art 101). . Cependant, l'idée de faire acheter en marché primaire de la dette d'Etat par un organisme autre que la BCE, comme le FESF/MES ou la BEI, qui aurait un statut bancaire lui permettant de se refinancer auprès de la BCE, peut revenir au même qu'un achat direct par la BCE de ces titres. C'est la solution qu'avait préconisée Michel Rocard pour contourner le traité. Cette solution peut générer de la création monétaire si en contrepartie la BCE ne stérilise pas de la monnaie. Mais la stérilisation de la monnaie peut avoir pour effet de diminuer les encours à l’économie, donc de limiter la croissance.
4- La BCE a consenti des prêts aux banques à 1% pour débloquer la liquidité, ce qui a souvent été interprété comme un cadeau fait aux banques. Cette faveur n’a pas engendré une augmentation des crédits à l'économie et la liquidité empruntée par les banques a été en partie replacée auprès de la BCE (à taux zéro), suscitant l’incompréhension. Lorsque les banques ont utilisé ces liquidités pour acheter des titres d'Etat à taux plus élevé, on les a soupçonnées de "se faire du gras sur le dos de la BCE ou des Etats". Pour mieux comprendre, il faut savoir que :
- le marché interbancaire étant bloqué par la défiance, du fait du risque de faillite de banques et la contamination entre banques, la BCE se place au milieu comme médiateur de liquidité. A volumes égaux de besoins de placements/financements des banques, comme celles qui placent à la BCE le font à 0%, cela ne coûte pas à la BCE de reprêter à 1% (elle subit le coût du risque qu'elle a sur ces banques après prise en compte du collatéral). Ce n'est pas un "cadeau".
- quand la banque emprunte à court terme à la BCE a 1%, c'est avec du collatéral en garantie. Si la banque utilise ces liquidités pour prêter à un acteur économique à un taux plus élevé, la différence tient compte de son coût du risque, cela peut être aussi sur une échéance plus longue avec un coût de liquidité additionnel. Tout n'est pas "du gras", sauf si elles savent que le risque dont elles ont reçu rémunération sera finalement quand même pris en charge par les Etats (sur la dette grecque, elles ont bien subi la décote à perte).
- si les banques n'ont pas plus prêté pour le moment à l'économie malgré ses avances (appelés par certains "largesses") de la BCE, c'est surtout parce que les entreprises et particuliers demandent moins de prêts (les entreprises en surcapacités de production investissent moins, les particuliers achètent moins d'immobiliers car les prix sont élevés et les taux bancaires ont monté).