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Billet de blog 4 juillet 2013

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Bernard Tapie, passé (maître)chanteur et (boni)menteur ?

Bernard Tapie revient au top de l'actualité, sous les projecteurs, invité au JT de 20h de la chaîne public. Il fait son show, il adore cela, et le public lui rend bien, c'est bon pour l'audimat. C'est bien de donner la parole au principal protagoniste de l'affaire éponyme. Mais les journalistes et les enquêteurs font-ils vraiment leur travail ?

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Bernard Tapie revient au top de l'actualité, sous les projecteurs, invité au JT de 20h de la chaîne public. Il fait son show, il adore cela, et le public lui rend bien, c'est bon pour l'audimat. C'est bien de donner la parole au principal protagoniste de l'affaire éponyme. Mais les journalistes et les enquêteurs font-ils vraiment leur travail ?

Reconnaissons une certaine résistance et une certaine pugnacité à David Pujadas (qui n'est pas réputé pour agresser ses invités) dans ses questions et ses répliques, lors de l'interview télévisée de Bernard Tapie. Ce dernier a pu confirmer ses talents d'acteur, sur un ton émotif et affectif, déployant toute sa gouaille pour se montrer en victime, utilisant l'attaque comme meilleure défense : le prétendu voleur étant volé, le complot en sa faveur étant en fait un autre complot ourdi contre lui, par une bande organisée qui n'est autre que ses accusateurs qui viseraient non pas à défendre le bien public mais à exercer une haine ou revanche personnelle, voire aussi à attaquer indirectement Nicolas Sarkozy : Peyrelevade, Clay, de Courson, Bayrou principalement.

 David Pujadas a été particulièrement gentil en faisant plusieurs omissions importantes :

1- Sur le péché originel de l'histoire de l'affaire Adidas :

Non Tapie n'a pas été volé, malgré tout ce qu'il peut raconter et toute la persuasion dont il a brillamment fait preuve en convainquant beaucoup de monde qu'il avait été floué. Cet article du NouvelObs, très clair et précis, rappelle les faits. Tapie veut faire croire qu'il avait déjà redressé l'entreprise Adidas : “ l’essentiel de la restructuration d’Adidas, achevée dès ma première année à la tête de l’entreprise ”. .. “ Les chiffres parlent ” [sans en avancer un. On le comprend, car, comme le rappelle Atlantico, dès le deuxième exercice de gestion Tapie, en 1992, Adidas va plonger… et faire plus d’un milliard de francs de pertes. “ Les chiffres parlent ”, effectivement… ”].

Tapie veut faire croire que le Crédit Lyonnais l'aurait volontairement abusé en tant que mandataire de la vente d'Adidas en sachant que l'affaire valait deux fois plus, acceptant son prix (2,085 milliards de francs soit 318 millions d'euros), faisant porter la propriété par des sociétés offshore complices (qui pourtant ne sont pas filiales ni sous contrôle du CL mais de Citibank et et Warburg) pour mieux le revendre à Robert Louis-Dreyfus qui de surcroît avait gardé une option d'achat en cas de retour à meilleure fortune pour 4,4 milliards de francs (671 millions d'euros). La réalité est que le Crédit Lyonnais aurait pu faire mieux encore : faire jouer le nantissement des titres auquel il avait droit lorsque Tapie ne pouvait plus rembourser sa dette (rappelons en effet qu'il n'a pas mis un sou dans l'affaire et a emprunté tout l'argent nécessaire à l'achat sous condition d'un nantissement, principe courant des acquisitions en LBO). S'il ne l'a pas fait, c'est par injonction du gouvernement de l'époque, de François Mitterrand, pour ne pas mettre en faillite un ministre du gouvernement qu'il cherchait à protéger. Le Crédit Lyonnais ne pouvait pas non plus directement acheter Adidas, ce qui mettait la banque nationalisée en conflit d'intérêt.

2- Sur les liens l’unissant au juge arbitre Pierre Estoup :

Si, en juin 1998, il a écrit dans la dédicace de son précédent ouvrage “ Estoupe ” au lieu d’ “ Estoup ”, c’est bien la preuve, d’après lui, qu’il n’y avait pas de lien entre eux. Cependant, comment se fait-il que cette dédicace ait été si chaleureuse envers quelqu'un qu'il prétendait ne pas connaître ("vous avez changé le cours de mon destin", "avec toute mon affection" ) ? Simplement car Estoup aurait défendu Tapie dans une intervention de presse ? Pourtant il existe aussi d'autres liens avec Pierre Estoup, révélés par Mediapart. Mais on n'en saura rien ...

3-A propos des liens avec Nicolas Sarkozy

Tapie admet lui avoir souvent rendu visite à l’Elysée, mais jamais pour parler de l’arbitrage. Alors, pourquoi une telle assiduité ? Pour discuter de tout et de rien, sauf du sujet essentiel sur lequel Bernard Tapie harcèle Stéphane Richard (aux propres dires de celui-ci) et Claude Guéant ? Par simple amitié (pourtant rien ne montre qu'ils aient été entretenu des liens d'amitié, d'après le directeur de Marianne, voir cet article). Les téléspectateurs n’en sauront rien ...

4- Sur les accusations de faux en écriture et usage de faux

Il y a bien eu falsification du compromis d'arbitrage, de la part du président du CDR, Jean-François Rocchi, qui a ajouté une mention à la version à laquelle le Conseil d'Administration du CDR avait donné son accord. Comme l'a révélé Mediapart en mai 2011, le rapport de la Cour des comptes l'indiquait déjà : le soupçon pèse sur Rocchi d'une des graves irrégularités qui ont émaillé cet arbitrage, en l’occurrence un faux en écriture. Citons Mediapart :

[Le rapport indique que le compromis d’arbitrage qui a été signé entre le CDR et Bernard Tapie – compromis qui fixe les règles du jeu de l’arbitrage – n’est pas conforme à la résolution qui avait été votée préalablement par le conseil d’administration du même CDR. D’un texte à l’autre a été ajoutée une petite modification… qui change tout et qui a fait la fortune de Bernard Tapie.

« Le compromis a été signé le 16 novembre 2007. La version signée est différente du texte et des modifications qui ont été approuvées par le conseil d’administration du CDR le 2 octobre 2007 sur un point important, concernant la qualification de préjudice moral pour l’intégralité de la demande d’indemnisation de 50 millions d’euros au titre des époux Tapie. La rédaction “En leur qualité de liquidateurs des époux Tapie, les parties B limitent la montant de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation à 50 (cinquante) millions d’euros” a été remplacée par la rédaction suivante : “En leur qualité de liquidateurs des époux Tapie, les parties B limitent la montant de l’ensemble de leurs demandes d’indemnisation d’un préjudice moral à 50 (cinquante) millions d’euros.” Ce point était pourtant de première importance pour les finances publiques dès lors que l’indemnisation d’un préjudice moral était laissée à la libre appréciation du juge, que la procédure d’arbitrage est confidentielle et échapper ainsi aux comparaisons et que les sommes n’avaient pas à supporter l’impôt. »]

5- Sur la décision d'arbitrage privé, interrompant le cours de la justice qui donnait tort à Tapie

Juste avant la décision prise par Christine Lagarde d'aller à l'arbitrage, la Cour de cassation avait tranché en faveur du CDR, donnant tort à Bernard Tapie. Voir le communiqué de la Cour de Cassation. Il suffisait de faire entériner en Cour d'appel l'avis de la Cour de Cassation pour le rendre effectif. De nombreux conseillers de Christine Lagarde lui avaient déconseillé de recourir à l'arbitrage (mais elle a finalement tenu compte d'un seul avis contraire, et ceci sans tenir compte d'un avis et cadrage qui avait été rendu par Bercy sous le ministère de Thierry Breton).

De surcroît, il est interdit de recourir à un arbitrage privé lorsqu'il s'agit de bien public et notamment quand l'affaire concerne une administration publique, sauf dans un cas particulier d'affaires internationales avec un risque juridique entre deux Etats soumis à différentes lois. La seule raison qui a permis au Tribunal administratif d'autoriser la procédure était que le CDR était une structure de droit privé. Or le CDR était sous contrôle de l'EPFR, une administration publique, et l'argent en jeu était bien celui de l'Etat, dans un contexte aucunement international. Rappelons aussi qu'un arbitrage suppose une confidentialité du jugement, ce qui n'est pas compatible avec l'obligation de transparence en matière d'utilisation du bien public exigée par la constitution.

6- sur d'autres faits et notamment le mobile

Tout le monde s'interroge sur le mobile du crime, à savoir la motivation qu'aurait eu Nicolas Sarkozy et la bande organisée à favoriser la décision d'arbitrage privé : retour d'ascenseur pour un soutien électoral en 2007 ? Simple lien d'amitié ? ... ou encore un moyen de pression ? C'est plutôt ce dernier motif qui paraît crédible mais pas développé. Pourtant, certains faits en rapport avec l'affaire Tapie ne sont pas évoqués, notamment les liens de Bernard Tapie avec André Guelfi, alias "Dédé la Sardine".

C'est vraiment très curieux que la presse ne parle pas des liens de Tapie avec Guelfi (à peine quelque mots dans Marianne de la semaine dernière) qui lui-même est lié à l'arbitre Pierre Estoup. Tout d'abord sur le pacte scellé entre Tapie et Guelfi à la prison de la Santé en 1997 par lequel ils sont convenus de se partager le butin en cas de victoire de Tapie sur l'affaire Adidas, ensuite sur cette réunion dans un palace à Agadir, impliquant aussi Jean-François Copé et Brice Hortefeux au sujet de l'arbitrage privé envisagé en faveur de Tapie. On peut aussi s'interroger sur l'enquête, car les juges n'ont pas encore convoqué André Guelfi.

François Bayrou aurait rappelé ce fait lors d'un déjeuner avec des journalistes et seuls Challenges et le site Atlantico en parlent (et avant Mediapart par mon entremise) :

http://coulisses.blogs.challenges.fr/archive/2013/07/03/pour-bayrou-tapie-faisait-chanter-sarkozy.html

http://www.atlantico.fr/rdv/revue-presse-hebdos/tapiesarkozy-cle-bayrou-evoque-chantage-hollande-face-fronde-reformateurs-emmaues-nouveau-scandale-barbara-lambert-775484.html

 François Bayrou aurait rappelé aux journalistes qu’il avait tout écrit ou presque – sans être poursuivi en diffamation – sur le fameux arbitrage dans son livre Abus de pouvoir, publié il y a quatre ans chez Plon, éditeur qui vient de sortir le dernier livre de l’homme d’affaires, Un scandale d’Etat, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent.

Je reprends Challenges :

[Dans un chapitre intitulé « L’arbitraire » (sur lequel je donne un lien) était évoquée la responsabilité directe de Stéphane Richard et François Pérol, respectivement directeur de cabinet de Christine Lagarde et secrétaire général adjoint de l’Elysée, mais aussi le lobbying plus qu’appuyé mené par André Guelfi, le Dédé la Sardine de l’affaire Elf. Ce dernier, qui a sympathisé avec Tapie à la prison de la Santé,  a notamment plaidé la cause d’un arbitrage favorable à son ami dans un palace d’Agadir auprès de deux ministres en exercice à l’époque : Jean-François Copé et Brice Hortefeux. Il connaît aussi Pierre Estoup, qui a officié comme arbitre dans l’affaire Elf entre Omar Bongo et André Tarallo. Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il pris le risque, en pleine crise, de lâcher 400 millions d’euros d’argent public à Tapie ? Dans son livre, Bayrou parle d’un « secret ». Aujourd’hui, il va plus loin en évoquant un chantage.

Les amateurs pourront également lire ou relire une dizaine de pages (pages 231 à 239) d'Abus de pouvoir sur François Pérol et son pantouflage contesté chez BPCE, une affaire qui intéresse, là aussi,  la justice.]

On savait Bernard Tapie chanteur et bonimenteur, serait-il aussi passé maître chanteur et plus menteur que bonimenteur ?

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