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Acte 1 : le Canard Enchaîné et Mediapart révèlent que Nicolas Sarkozy supervise "personnellement" l'espionnage de certains journalistes chargés de la couverture d'affaires sensibles (voir par exemple cet article du 3 septembre 2010).
Dans un article signé de son rédacteur en chef Claude Angeli, le Canard assure que "dès qu'un journaliste se livre à une enquête gênante pour lui ou pour les siens", le chef de l'Etat "demande" au patron de la DCRI (contre-espionnage) Bernard Squarcini de "le mettre sous surveillance".
Selon l'hebdomadaire, qui cite des sources anonymes au sein de la DCRI, "un groupe" a même été monté à cette fin, composé de "plusieurs anciens policiers des RG", qui "se procurent les factures détaillées du poste fixe et du portable du journaliste à espionner".
Dans cet article du 3 novembre, Edwy Plenel faisait état de la mise en place par l'Elysée d'un système de surveillance et d'espionnage des journalistes mais aussi d'actionnaires de Mediapart, à un moment où la succession de scoops et de révélations sur deux affaires d'Etat, Karachi et Woerth-Bettencourt, mettait le pouvoir sur les dents. Filatures, examen des relevés d'appels téléphoniques, cambriolages suspects : des journalistes de Mediapart – mais aussi du Monde – ont bel et bien été espionnés. Sur la foi d'informations concordantes, Edwy Plenel écrivait notamment ceci, le 3 novembre : « Surtout, on nous affirme que cette inquisition d'Etat est impulsée et coordonnée par le secrétaire général de l'Elysée lui-même, Claude Guéant.
Acte 2 : le même jour, démenti de l'Elysee, qui parle d'accusation "totalement farfelue" tandis que le ministère de l'Intérieur n'a "pas souhaité commenter" cet article. Invité de RTL mercredi matin, Xavier Bertrand, secrétaire général de l'UMP, a qualifié de "grand n'importe quoi" les accusations de l'hebdomadaire.
Acte 3 : Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, et Bernard Squarcini, le patron du contre-espionnage français, accusés de piloter des opérations illégales de surveillance des journalistes, déposent une plainte en diffamation, révèle le Journal du Dimanche le 6 novembre 2010. En cause les révélations du Canard Enchaîné, détaille le JDD. A l'AFP, Claude Guéant explique qu'il veut également porter plainte contre le site Mediapart la semaine suivante.
Acte 4 : le 30 juin 2011, Claude Guéant retire sa plainte en diffamation contre Mediapart. Dommage, car le procès aurait pu étaler la vérité au grand jour ... Le Canard enchaîné qui avait – pour sa part – fait l'objet d'une plainte en diffamation d'un autre proche de Nicolas Sarkozy, Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, est quant à lui toujours poursuivi.
Acte5 : Le 1er septembre 2011, la vérité éclate au grand jour. Le Monde dénonce une "violation de la loi sur le secret des sources pour tenter de colmater les fuites du dossier Bettencourt". Sur son site Internet , le quotidien du soir révèle jeudi que la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a bien examiné les appels téléphoniques de son journaliste Gérard Davet, qui enquêtait sur l'affaire Bettencourt-Woerth. Une juge d'instruction parisienne, Sylvie Zimmermann, chargée de l'enquête ouverte après la plainte du Monde pour "violation du secret des sources", a découvert que la DCRI avait examiné en juillet 2010, après deux réquisitions - classées "confidentiel" - à l'opérateur Orange, les factures détaillées de téléphone portable de Gérard Davet et de sa source supposée. Gérard Davet, journaliste au Monde est l'auteur du livre Sarko m'a tuer.
Acte 6 : le même jour Claude Guéant s'explique, évoquant des "repérages de communication", ce qui est différent "d'écoutes téléphoniques" ... Nadine Morano répète sur Europe 1 les "éléments de langage" : «Il n’y a pas d’écoutes téléphoniques» mais repérage de communication, ce n’est pas la même chose», a assuré Nadine Morano, reprenant l'expressions de Claude Guéant la veille sur France Info.
Et la ministre de l’Apprentissage d'expliquer la différence entre les deux : «Une écoute téléphonique, on écoute vos conversations. Un repérage de communication, c’est savoir les numéros qui ont été en contact, notamment parce qu’il s’agit de savoir quel membre de cabinet, haut-fonctionnaire, qui est soumis au devoir de réserve, qui n’a pas le droit de divulguer des information confidentielles d’un secret d’instruction, est en train de manquer à son devoir de réserve et commet un faute professionnelle.»
Cerise sur le gâteau : Claude Guéant déclare, à la place des juges, qu'il n'y aura pas de sanction !
Acte 7 : les réactions de l'opposition fusent, notamment :
Au PS, Benoît Hamnon : "Si Nicolas Sarkozy a demandé au secrétaire général de l'Elysée de le protéger en procédant à des écoutes illégales, c'est une affaire d'Etat". Si l'affaire est avérée, "elle appellera une procédure évidente : un, le ministre de l'Intérieur démissionne immédiatement et deux, nous nous retournerons vers le président de la République pour qu'il s'en explique". "Si c'est confirmé par des quasi aveux de MM. Péchenard, Squarcini et Guéant, nous irons au bout, et ceux qui ont violé délibérément la loi non pas pour protéger la sécurité nationale mais pour protéger leurs intérêts, ceux-là devront en tirer toutes les conséquences".
Manuel Valls demandel'audition du ministre Claude Guéant à l'Assemblée.
Seule défense des sympathisants de l'UMP : renvoyer le PS aux écoutes téléphoniques de François Mitterrand !
Le président du MoDem, François Bayrou, a qualifié "d'abus de pouvoir d'Etat" le fait que le contre-espionnage ait pu examiner les appels d'un journalistes du quotidien Le Monde pour identifier ses sources dans l'affaire Bettencourt. Il s'agit "d'un abus de pouvoir et d'un abus de pouvoir d'Etat, a-t-il estimé dans l'émission "Preuves par 3 Public Sénat-AFP". " La vraie atteinte à l’intérêt national, c’est de ne pas respecter la loi dans son pays". "Ce qui est frappant dans l'affaire, c'est que c'est la police, le contre-espionnage, c'est-à-dire l'instrument le plus précieux que l'Etat dispose pour faire respecter l'équilibre du pays et sa loi, qui ont été utilisés contre la loi", a-t-il constaté. Utilisés par qui? "Par l'appareil d'Etat", a dénoncé M. Bayrou en soulignant que le ministre de l'Intérieur Claude Guéant "a avoué élégamment, qu'il y avait eu repérage de communications". "Moi je considère qu'il a été porté atteinte aux lois", a martelé le leader centriste, en invitant maintenant à "laissez agir les juges".
Déclaration de Yann Wehrling, porte-parole du Mouvement Démocrate : "Claude Guéant déclare à la place des juges qu'il n'y aura pas de sanction. Cela témoigne d'un dysfonctionnement grave du ministère de l'Intérieur. Les récentes révélations à propos de ce que le ministère de l'Intérieur aurait commandité à travers ses services pour découvrir les sources d'un journaliste du Monde sont extrêmement graves. De manière avouée et assumée par le ministre de l'Intérieur, les moyens de la police judiciaire ont été mis au service du pouvoir politique, sans passer par la Justice, sans faire appel à la décision d'un juge. Ils sont passés outre les dispositions légales et ont donc commis une infraction à la loi. C'est une situation extraordinaire, qui rappelle des années noires de l'exercice du pouvoir en France. On pensait ces pratiques terminées, mais elles continuent. C'est scandaleux" Le porte-parole du Mouvement Démocrate a par ailleurs estimé que "le ministre de l'Intérieur vient alourdir ces faits en clamant, à la place des juges, qu'il n'y aura pas de sanction. Ceci témoigne d'un dysfonctionnement majeur du ministère de l'Intérieur, qui assombrit un peu plus encore la manière dont les choses se passent entre le pouvoir et la justice et nous prouve que nous sommes dans une démocratie malade". Pour Yann Wehrling, il faut avant tout laisser la Justice faire son travail : "Il y a une plainte de déposée, M. Guéant ne doit pas se considérer au dessus des lois".
Nathalie Griesbeck, députée européenne et responsable de la Justice et des Libertés au MoDem : "D’un ministre en effet plus que de tout autre, on attend qu’il considère comme son premier devoir de respecter et protéger la Constitution et les lois. L’actuel ministre de la Police a choisi de s’en dispenser en faisant rechercher par ses services les sources de journalistes (en l’occurrence du Monde), en violation manifeste de la loi précisément destinée à les protéger de la manière la plus stricte. Car à l’évidence, il n’y a sinon en effet pas de liberté de la Presse ni, en fait, de liberté d’expression véritable possible. Il est urgent que le ministre soit rappelé à l’ordre et se voie interdire de telles pratiques, intolérables dans un véritable Etat de Droit".
Acte 8 : ? Affaire à suivre ...
Le 28 septembre : Le procureur Courroye mis en examen par la juge Sylvia Zimmermann, chargée d'enquêter sur la violation multiple des sources du Monde, pour avoir ordonné à un officier de police d'exploiter les fadettes afin de trouver la source des fuites au profit du journal Le Monde. Voir cet article dans Le Monde et l'article de Mediapart.