Aujourd'hui dernière ligne droite des négociations sur le travail entre patronat et syndicats. La "flexi-sécurité" sonne comme un maître mot. Comment donner de l'air aux entreprises pour encourager l'emploi, par un assouplissement du droit du travail, en facilitant à la fois l'embauche et les licenciements, tout en diminuant la précarité et en renforçant la protection du salarié et du chômeur en contrepartie ? Equation bien difficile, car flexi-sécurité paraît être un oxymore ...
La représentante du Medef, Laurence Parisot, interviewée ce matin sur Europe1, croit à un compromis possible : "Nous pouvons ce soir aboutir à un accord qui rapprocherait la France des plus hauts standards européens en matière de flexi-sécurité".
Laurence Parisot liste alors les points sur lesquels le patronat est ouvert à des évolutions, tels que :
- Le recours au chômage partiel, comme en Allemagne, pour passer une période difficile de crise et de baisse des carnets de commandes, impliquant une baisse de salaire de tous les salariés pour éviter des licenciements, ce qui permet de revenir à une production normale ensuite sans avoir perdu les compétences et sans avoir détruits des emplois ;
- La généralisation d'une couverture mutuelle santé payée à 50% par l'employeur (pour un coût global de 2,5 à 3 milliards d'euros) ;
- Le maintien de droits au chômage pour un chômeur qui reprend le travail sans avoir épuisé tous ses droits (droits au chômage rechargeables) ;
- L'entrée de salariés au Conseil d'administration des entreprises, avec droit de vote.
En revanche elle souligne la désapprobation du patronat à la proposition des syndicats de taxer le travail précaire (les CDD), rappelant que 61% de ces contrats temporaires, dont beaucoup sont de courte durée, 1 ou 2 mois, concernent l'Etat, les collectivités locales, notamment les hôpitaux. Comment l'Etat pourrait-il faire la leçon en ne donnant pas lui-même l'exemple ? (Elle évite de parler de l'IFOP, l'Institut de sondage qu'elle dirige, qui use et abuse des CDD et des CDI intermittents ...). Une telle mesure serait selon elle contraire à la flexibilité et nuirait encore plus à l'économie.
Mais tous ces sujets paraissent être secondaires comparés à ceux qui auraient dû être débattus sans tabou pour essayer de trouver un consensus, une piste d'évolution :
- La fin du CDD pour généraliser le CDI avec un système de droits progressifs en fonction de l'ancienneté dans le poste, droits au chômage, à des primes sociales etc (idées intéressante proposée par François Bayrou)
- L'assouplissement, voire la fin des 35 heures : la durée légale pourrait être négociée par branche professionnelle, la rémunération complémentaire en heures supplémentaires également.
- La formation professionnelle, qui coûte cher aux entreprises (plus de 2% du coût du travail en France), devrait être mieux ciblée sur les emplois à risque impliquant une anticipation des reconversions, les chômeurs, les jeunes,...
- Les licenciements dits "boursiers" : comment les limiter ou les interdire ? Réclamée par les communistes et le Parti de Gauche, la mesure d'interdiction des licenciements boursiers a également été brandie par des socialistes comme Ségolène Royal ou Arnaud Montebourg. Mais comment en définir le contour ? Comment prouver l'intention de licencier de la part d'une entreprise uniquement pour augmenter la valeur de l'action ? Dans un groupe international coté, composé de multiples filiales dont certaines sont rentables et d'autres pas, en quoi les société soeurs, de surcroit dans d'autres pays, devraient subventionner les filiales non rentables ?
- Le principe du SMIC, qui conditionne des aides, des déductions de charges sociales, mais qui est aussi une trappe à bas salaires. Faut-il le moduler, selon les branches, selon le coût de la vie des régions, en revoir le principe ? Comment assurer un salaire minimum qui garantisse une vie décente, pouvoir se loger, se nourrir et se vêtir ?
- La révision du système d'indemnisation des intermittents du spectacle, beaucoup plus favorable qu'au droit commun, qui bénéficie à 100 000 bénéficiaires et coûte chaque année 1,2 milliards, dont la Cour des Comptes a dénoncé des dérives.
- L'harmonisation européenne du droit du travail : pour éviter la concurrence déloyale intra-Union-Européenne, il est logique de viser une convergence fiscale et sociale, donc une harmonisation du droit du travail. Pour commencer comparons les pays nordiques, l'Allemagne, les pays d'Europe du Sud, de l'est, qui sont à des niveaux très différents. Que souhaite l'Europe ? Quelles sont les meilleures pratiques (voir le modèle Danois par exemple)? Comment harmoniser sans céder au moins-disant ?
- L'encouragement au syndicalisme, avec une garantie de fonctionnement démocratique et une vraie implication des partenaires sociaux dans les projets et les décisions des entreprises, comme en Allemagne : seulement 8% des salariés sont syndiqués (contre 24% en moyenne UE, 71% en Finlande, 19% en Allemagne).
Ce soir ou demain, pour faire bonne figure, gageons que des mesurettes seront annoncées, mais pas les vraies réformes ...
Dépêche du 11/01/2012 à 23h24: "Patronat et syndicats disent oui à un accord sur l'emploi" :
et le 12/01/2012 matin : "Emploi : un accord trouvé in extremis"
Les partenaires sociaux ont finalement conclu leurs discussions sur une réforme du marché du travail.
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Avancées sur quatre points essentiels : les complémentaires santé, la création des droits rechargeables, la taxation des contrats courts, et une meilleure application du temps partiel. Les entreprises ont consenti à augmenter les charges sociales sur certains contrats courts. En échange, les entreprises qui embaucheraient un jeune de moins de 26 ans en CDI seraient exonérées de cotisations chômage pendant trois mois.
Voir cet article de Jean-Marc Sylvestre : "Sécurisation de l’emploi, compétitivité, Europe : François Hollande ne sera pas le grand réformateur de la France qu’il voulait être"
http://www.atlantico.fr/decryptage/securisation-emploi-competitivite-europe-hollande-ne-sera-pas-grand-reformateur-france-jean-marc-sylvestre-603278.html