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Billet de blog 12 septembre 2014

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Affaire Tapie-Adidas : selon la police, Tapie n'a pas été lésé par le Crédit Lyonnais

Le Monde vient de publier un article révélant un rapport de police récent qui atteste que Bernard Tapie n'aurait pas été lésé par le Crédit Lyonnais sur l'opération Adidas, contrairement à la thèse qu'il défend et qui a justifié la décision de l'arbitrage privé en sa faveur. Il était parfaitement au courant, le Crédit Lyonnais ne lui a pas caché l'option d'achat souscrite par Robert Louis-Dreyfus.

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Le Monde vient de publier un article révélant un rapport de police récent qui atteste que Bernard Tapie n'aurait pas été lésé par le Crédit Lyonnais sur l'opération Adidas, contrairement à la thèse qu'il défend et qui a justifié la décision de l'arbitrage privé en sa faveur. Il était parfaitement au courant, le Crédit Lyonnais ne lui a pas caché l'option d'achat souscrite par Robert Louis-Dreyfus. La police a en outre établi que devant le tribunal arbitral « M. Tapie et son conseil ont produit des attestations qui s'avèrent inexactes, voire mensongères (…) Le raisonnement des arbitres reposait sur des documents non conformes à la réalité ».

Mais ce rapport ne fait que confirmer ce qui a déjà été dit en 2008 par François Bayrou, Jean Peyrelevade et les journalistes Sophie Fay (Nouvel Obs) et Laurent Mauduit (Mediapart).

Dans une tribune au Monde datée du 25 juillet 2008, Francois Bayrou résume l'ensemble des anomalies du dossier Tapie et notamment au point 4) que "Dans la vente d'Adidas, M. Tapie n'a pas été perdant, il a été gagnant. D'ailleurs, c'est lui-même qui a fixé le prix de vente. Adidas a été acheté en 1990 avec un prêt à court terme de 1,6milliard de francs, à échéance en 1992. A cette date, l'entreprise mal gérée est en situation dramatique. Ne pouvant assurer son échéance, M. Tapie, ancien et bientôt nouveau ministre de la ville, décide alors de la vendre. Il cherche à en obtenir 2 milliards de francs mais l'acheteur (Pentland), découvrant l'étendue des dégâts, retire son offre. C'est alors que M. Tapie donne mandat à la banque de vendre l'entreprise, pour une somme d'un peu plus de 2 milliards de francs qu'il a lui-même fixée. Opération qui lui rapportera au total, si l'on en croit une expertise et une ordonnance judiciaire de l'époque, la somme de 200 millions de francs."

Bernard Tapie a soutenu la thèse que le Crédit Lyonnais l'aurait volontairement abusé en tant que mandataire de la vente d'Adidas en sachant que l'affaire valait deux fois plus, acceptant son prix (2,085 milliards de francs soit 318 millions d'euros), faisant porter la propriété par des sociétés offshore complices pour mieux le revendre à son insu à Robert Louis-Dreyfus.

Mais cette thèse ne tient pas pour plusieurs raisons, comme l'ont rappelé Sophie Fay dans cet article du Nouvel Obs et Laurent Mauduit dans cet article de Médiapart :

- Les deux sociétés off-shore qui faisaient partie du groupe d'investisseurs n'étaient pas des filiales du Crédit Lyonnais, l'enquête l'a confirmé. L'une était une filiale de Citibank et l'autre de Warburg. Il ne s'agissait pas d'un portage, ce qui est confirmé par les témoignages de Jean-Yves Haberer, de Jean Peyrelevade, un écrit des directions de ces deux sociétés ainsi qu'un rapport d'expertise commandé à Marcel Peronnet par la juge d'instruction Eva Joly et qui « dit expressément» que «le montage n'est pas un portage » (on peut lire ce rapport dans l'article de Laurent Mauduit "Le Crédit lyonnais n'a jamais berné Tapie: la preuve!".

- Si le Crédit Lyonnais avait voulu acquérir les titres, il lui suffisait de faire jouer le nantissement des titres auquel il avait droit car Tapie ne pouvait plus rembourser sa dette (rappelons en effet qu'il n'a pas mis un sou dans l'affaire et a emprunté tout l'argent nécessaire à l'achat sous condition d'un nantissement, principe courant des acquisitions en LBO). S'il ne l'a pas fait, c'est par injonction du gouvernement de l'époque, de François Mitterrand, pour ne pas mettre en faillite un ministre du gouvernement qu'il cherchait à protéger. Le Crédit Lyonnais, en tant que banque nationalisée, ne pouvait pas non plus directement acheter Adidas car François Mitterrand avait donné l'instruction "ni privatisation, ni nationalisation"..

Jean Peyrelevade relève plusieurs anomalies dans la procédure d'arbitrage privé : Bernard Tapie a été entendu par les arbitres mais lui ne l'a pas été. Dès lors, le débat n'a pas été contradictoire ce qui  paraît contraire aux principes les plus élémentaires du droit français. Il estime en outre que ses citations ont été tronquées, dénaturées, et que les arbitres n'ont pas pris en compte des pièces décisives du dossier, notamment le rapport d'expertise commandé à Marcel Peronnet par la juge d'instruction Eva Joly  cité ci-dessus.

- Contrairement à ce qu'il prétend, Bernard Tapie était bien au courant de l'option d'achat qui dès le départ était consentie à Robert Louis-Dreyfus. Ce dernier avait exigé des investisseurs, en échange de sa participation (achat de 15% des actions de BTF), une option d'achat de la totalité du capital en décembre 1994 au prix de 4,4 milliards de francs (671 millions d'euros) (1). lui permettant de devenir propriétaire à 100% à ce prix dans le cas où il redresserait l'entreprise. le propriétaire à 100%. La clause d'option n'était pas secrète. Gilberte Beaux, banquière associée à Tapie était au tour de table et a accepté l'option. Dès le 4 mars 1993, Robert Louis-Dreyfus confiait à L’Expansion avoir « une option d’achat sur toute l’entreprise »« Bernard Tapie est lui aussi satisfait. Le 15 février, il touche ses 2 milliards de francs, cash, comme prévu. Mieux, au passage, il dégage une plus-value de 230,8 millions de francs (35 millions d'euros). Le tout en deux ans, sans avoir mis un centime dans l'affaire puisque tout l'argent lui a été prêté », écrivait l’Expansion.

- Mediapart a également révélé  dans cet article de Laurent Mauduit un document confidentiel, signé parRobert Louis-Dreyfus, qui ruine la version de Tapie selon laquelle le Crédit lyonnais lui aurait caché des clauses secrètes lors de la vente d'Adidas en 1993, et sur lequel la justice n'avait jamais mis la main : Les négociations en vue de la cession d’Adidas ont mis face à face non seulement le Crédit lyonnais et le pool d’acquéreurs, mais aussi – c’est ce qu’atteste ce document – « la société venderesse » (c’est-à-dire le groupe Tapie) qui « était représentée par son président, M. Fellous, et assistée de son cabinet d’avocats ».

Ce dernier article du Monde ne fait que confirmer ces informations.

 Bernard Tapie a voulu faire passer l'option d'achat (exerçable sur un prix hypothétique de retour à meilleur fortune du groupe, octroyée par les investisseurs à Louis-Dreyfus) pour un rachat programmé par le Crédit Lyonnais à son insu.

Contrairement à ce qu'il avance, Bernard Tapie n'a pas été floué mais au contraire a été secouru par la banque. Grâce à la vente d'Adidas, il a évité la faillite, fait une plus-value et sauvé sa place de ministre. Puis il a touché le jack-pot avec l'arbitrage privé, au dépens des contribuables.

http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/09/11/affaire-adidas-bernard-tapie-n-a-pas-ete-lese-selon-la-police_4485871_3224.html

http://www.lemonde.fr/idees/article/2008/07/25/francois-bayrou-repond-a-bernard-tapie_1076999_3232.html

http://tempsreel.nouvelobs.com/economie/20130702.OBS6127/affaire-adidas-credit-lyonnais-non-tapie-n-a-pas-ete-vole.html

http://www.mediapart.fr/journal/france/261213/le-credit-lyonnais-na-jamais-berne-tapie-la-preuve?onglet=full

http://www.mediapart.fr/journal/france/020908/enquete-sur-l-affaire-tapie-1-la-folle-histoire-du-nantissement?onglet=full

http://www.mediapart.fr/journal/france/260708/affaire-tapie-les-accusations-de-jean-peyrelevade?onglet=full

 Nouveaux articles du Monde le 12 septembre 2014 :

http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/09/12/adidas-bernard-tapie-refute-les-conclusions-du-rapport-de-la-brigade-financiere_4486460_3224.html

http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2014/09/12/affaire-tapie-un-nouveau-rapport-conforte-la-these-d-un-arbitrage-truque_4486469_3224.html

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