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Billet de blog 14 juin 2013

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Paradis fiscaux : des trous dans la raquette !

 A la fois symbole d'injustice et de corruption, source de perte de recettes fiscales pour les Etats endettés et au coeur de scandales récents (affaire Cahuzac), l'évasion fiscale est à la une de l'actualité et des préoccupations des gouvernants et des citoyens. Après FATCA aux Etats-Unis, voici un plan d'action de la Commission européenne avec trois paquets de mesures. Enfin, ça commence à bouger ! Pourtant, si ces actions représentent une grande avancée, il y a encore de gros trous dans la raquette !

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 A la fois symbole d'injustice et de corruption, source de perte de recettes fiscales pour les Etats endettés et au coeur de scandales récents (affaire Cahuzac), l'évasion fiscale est à la une de l'actualité et des préoccupations des gouvernants et des citoyens. Après FATCA aux Etats-Unis, voici un plan d'action de la Commission européenne avec trois paquets de mesures. Enfin, ça commence à bouger ! Pourtant, si ces actions représentent une grande avancée, il y a encore de gros trous dans la raquette !

«Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c'est fini», claironnait Nicolas Sarkozy en 2009. Et pourtant qu'a-t-on fait ? L'OCDE a actualisé des listes noires, on a accepté de retirer de la liste les pays qui avaient au moins 12 accords d'échanges d'informations bilatérales, il a suffi de faire des accords entre paradis fiscaux pour sortir de la liste ...

A la suite du scandale Cahuzac qui a ébranlé son gouvernement, François Hollande déclare maintenant vouloir «éradiquer» ces territoires «en Europe et dans le monde». Il veut que les établissements rendent publique la liste de toutes leurs filiales, pays par pays, avec le détail du chiffre d’affaires, des effectifs, des résultats et des impôts payés. Mais comme le dit Jean Quatremer, le Président arrive après la bataille : la mesure a déjà été adoptée en mars par le Sénat, dans le cadre de la loi bancaire. Et, pour l’histoire, le gouvernement s’opposait alors à une telle transparence… Continuons de citer Jean Quatremer : "Deuxième axe d’offensive de Hollande, les territoires offshore. «La France établira chaque année une liste de paradis fiscaux», a déclaré le chef de l’Etat. Là encore, rien de neuf. Une liste noire d’Etats et territoires «non coopératifs» existe depuis 2010. Mais aucun des vrais paradis fiscaux ne s’y trouve (la liste est composée du Botswana, Montserrat, Brunei, Nauru, le Guatemala, Niue, les îles Marshall et les Philippines). Tout l’enjeu est de savoir si la France aura la volonté politique d’y intégrer des places comme les îles Caïman, la Suisse ou le Luxembourg."

Les Etats-Unis ont de leur côté pris des mesures coercitives pour traquer l'argent offshore des ressortissants américains en obligeant les banques à déclarer les comptes de ces ressortissants (loi FATCA «Foreign Account Tax Compliance Act»  de 2010). Washington a mis dans la balance la rupture des relations financières avec tout État qui n’accepte pas l’échange automatique d’informations au sujet des ressortissants américains possédant un compte à l’étranger. Une législation particulièrement efficace, qui permettra à Washington, à compter de janvier 2014, de sanctionner durement (via une surtaxe de 30% sur leurs activités locales) les banques présentes sur leur territoire qui ne déclareraient pas les avoirs détenus à l’étranger par des citoyens. Même la Suisse a dû s'y plier.

La Commission européenne envisage aussi de mettre fin au secret bancaire et de mettre en place, au sein de l’Union, un échange automatique d’informations sur les comptes bancaires détenus par les ressortissants européens. L'Union devrait adopter l’équivalent du FATCA américain de 2010. américains. Bien sûr, certains pays de l'UE sont réticents : le Luxembourg et l'Autriche notamment. Pour commencer l'UE pourrait s’assurer que les concessions faites aux États-Unis le seront aussi dans l’UE elle-même... Si l'échange d'information entre Etats membres est quasiment acquis à partir de janvier 2015 (la directive du 1er janvier 2013 abolit le secret bancaire au sein de l'Union), l'Union européenne est encore loin de la loi FATCA américaine.

Mais si les banques internationales implantées aux Etats-Unis et dans un Etat de l' U.E peuvent en effet craindre en rétorsion l'interdiction d'exercer leurs activités dans ces pays, il n'en est rien d'établissements financiers autonomes implantés uniquement en Suisse ou dans un autre paradis fiscal, qui n'ont pas de filiales ou de maison mère aux Etats-Unis ou dans un pays de l'Union européenne. C'est le cas par exemple de Reyl & Cie. Au contraire, ces établissements vont prospérer en récupérant la clientèle de fortunes privées et d'entreprises venant des banques internationales ayant des implantations aux Etats-Unis ou dans l'U.E. Il faut donc aller bien plus loin dans les menaces en interdisant les transactions avec ces pays.

Par ailleurs, il n'est pas obligatoire d'avoir un statut de banque pour se voir confier un patrimoine à préserver en toute confidentialité dans ces pays. Il suffit d'avoir un statut de gestionnaire de fonds ou de courtier en valeurs mobilières, comme l'était Reyl & Cie. En effet, comme le rappelle cet article de Mediapart : "Il est confirmé que Reyl n’avait pas besoin d’indiquer à ses banques partenaires l’identité des clients dont elle plaçait les fonds : en 1999, la société avait obtenu le statut de négociant en valeurs mobilières, à mi-chemin entre le simple gérant de fonds et la banque. Ce statut lui permettait d’ouvrir des comptes groupés ou « omnibus » à son propre nom, pour y regrouper l’argent de plusieurs clients, demeurant anonymes."

Ensuite, l'identité du détenteur du compte ou de titres n'est pas obligatoire dans ces paradis. Un numéro et un code suffisent. Pour faire des transactions sur un compte, il n'est pas obligatoire de mentionner l'identité (les Américains le demandent sur Swift pour les transactions en dollar, qui obligent à passer par des banques correspondantes aux Etats-Unis, mais on peut préférer réaliser un transaction dans une autre devise). Et pour plus de sécurité, il y a les trusts, structure intermédiaire opaque dont les actionnaires sont secrets.

Il est possible aussi grâce à la technique des "ordres de paiements Swift dissociés" se séparer l'ordre d'approvisionnement entre banques (le vrai flux) et l'ordre d'affectation de l'argent ou des titres transmis au bénéficiaire (qui peut être un numéro) dans un message séparé avec un numéro de réconciliation obligeant à auditer les flux internes à la banque du bénéficiaire ou au courtier pour faire le lien. Et on n'est pas obligé de faire un transfert "cash". On peut transférer directement des titres via clearstream par exemple.

Bref, il reste de gros trous dans la raquette ...

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