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Billet de blog 15 avril 2014

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Faut-il dévaluer l'euro ?

L'euro est réputé stable et fort, protégeant de l'inflation. Mais peut être trop fort... Les Etats du sud de l'Europe et les entreprises s'inquiètent des effets d'un euro trop fort sur la compétitivité de leurs produits à l'exportation.  Atteignant un niveau de 1.38 $, apprécié de 10% en 2013, l'euro fort serait-il la cause de la faible croissance de la zone euro, voire de la mauvaise santé économique de la France ? Michel Sapin reconnaît lui-même que ce niveau est un frein à la croissance.

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L'euro est réputé stable et fort, protégeant de l'inflation. Mais peut être trop fort... Les Etats du sud de l'Europe et les entreprises s'inquiètent des effets d'un euro trop fort sur la compétitivité de leurs produits à l'exportation.  Atteignant un niveau de 1.38 $, apprécié de 10% en 2013, l'euro fort serait-il la cause de la faible croissance de la zone euro, voire de la mauvaise santé économique de la France ? Michel Sapin reconnaît lui-même que ce niveau est un frein à la croissance.

L'euro est-il vraiment surévalué et pourquoi ?

Tout est relatif. Ainsi face à des devises jugées sous-évaluées, soit du fait de la politique monétaire volontariste de leur pays comme c'est le cas en Chine pour doper les exportations, ou simplement car la création monétaire est autorisée et facilement utilisée, comme c'est le cas aux Etats-Unis par la Fed, l'euro paraît fort.

Un effet peut doper la cherté de l'euro, c'est son attrait pour les investissements étrangers, par des investisseurs soucieux d'investir dans une monnaie stable. Ce qui est bon pour nos entreprises qui cherchent des financements et pour les Etats de la zone qui peuvent facilement émettre de la dette à taux faible pour financer leur dette publique. Un afflux de capitaux étranger avec une demande plus forte d'investissement en euro que d'offre a un effet baissier sur le taux de rendement (intérêt ou dividendes) ou haussier sur le cours de la monnaie sur le marché des changes.

Une dévaluation de d'euro doperait-elle la croissance ?

Pour le simuler, il faut tenir compte de la structure de notre commerce extérieur, la part des emportations et des exportations rapportée au PIB, dont la part en devise différente de l'euro, la sensibilité de nos produits aux prix.

En 2012 le PIB était de 2032,3 milliards d'euros. Les exportations hors zone euro s'élevaient à 198,5 Milliards, soit 10% du PIB.

Plusieurs économistes s'accordent à dire qu'une surévaluation de 10% de l'euro coûte 0.5 point de croissance à la France (estimation de Marc Touati, ACDEFI de même que de Jean-Pierre Petit, Cahiers Verts de l'économie). Ce qui signifie aussi vu dans l'autre sens que si on dévaluait l'euro de 10% la France retrouverait 0.5% de croissance en plus.

Donc si on dévaluait l'euro de 20 ou 30% (ce qui serait le cas aussi d'une hypothèse de sortie de la France de l'euro), on pourrait retrouver 1% ou 1.5% de croissance grâce à l'effet dopant sur nos exportations hors zone euro.

Cependant, comme le rappelle l’économiste Robert ­Rochefort, député européen du Modem, « il faut un taux de croissance d'au moins 1,5 % pour qu’en France on réduise le chômage, un chiffre qui correspond aussi à la réalité démographique ».  A ce taux de croissance de 1.5%, les entreprises créent autant d'emplois en France qu'elles en suppriment du fait de l'amélioration de leur productivité qui garantit le maintient de leur compétitivité.

Pour réellement créer de l'emploi en partant d'une croissance nulle, il faudrait donc dévaluer l'euro de plus de 30% !

Quels autres effets d'une dévaluation de l'euro ?

Si une dévaluation a un effet positif sur les exportations, pesant 10% du PIB, elle a en revanche un effet négatif sur le pouvoir d'achat car renchérit les importations. En 2012 les importations en provenance des pays hors zone euro s'élèvent à 247,1 milliards d'euros soit 12% du PIB. une dévaluation de 20 à 30% renchérit d'autant ces importations, provoquant une hausse de prix pesant donc 12% de 20 à 30% sur le PIB, soit en moyenne entre +2.4 et +3.6% sur les prix (inflation).

Ce qui signifie que l'ensemble des Français, particuliers, qu'ils soient riches ou pauvres, de même que les entreprises sensibles aux prix des biens et services importés, subissent une perte de pouvoir d'achat 2,4 fois plus élevée que le taux de croissance généré de l'autre côté grâce aux exportations (3,6% de dégradation de pouvoir d'achat divisé par 1,5% de croissance).

Autrement dit, pour éviter un accroissement du chômage, tous les Français contribuent à l'effort en baissant leur pouvoir d'achat.

Ce qui revient peu ou prou au même que s'ils avaient dû payer un impôt, une TVA supplémentaire de 3,6% en vue de booster la compétitivité des entreprises par une baisse de charges d'autant, en concentrant cependant cette baisse de charge sur les entreprises exportatrices, revenant pratiquement au même en impact sur le prix à l'export qu'une dévaluation du prix de 30%.

En effet, les salaires et charges représentent 59,6% de la Valeur Ajoutée (VA=1820,9 Mds € en 2012) soit 53,4% du PIB.
Une baisse de charge moyenne de 3,6% du PIB représente 73,2 Mds. Si cette baisse est appliquée aux salaires des entreprises exportatrices pesant pour 10% du PIB, cela revient à 73,2 sur 203,2 Mds soit 36%, ce qui est proche d'une dévaluation de prix de 30%.

Une baisse de charges uniforme sur toutes les entreprises, non concentrée sur les entreprises exportatrices, a un effet beaucoup moindre sur la compétitivité puisqu'elle serait plus faible sur les entreprises exportatrices et à moindre effet compétitivité sur les autres moins soumises à la concurrence internationale des prix (activités de banque de détail, poste, services à la personne, artisans ...), même si la marge redonnée aux entreprises non exportatrices permettrait d'embaucher plus et d'investir plus pour l'avenir en R&D et en renouvellement de l'appareil productif.

Mais la dévaluation aurait aussi un autre effet, celui de faire fuir les investisseurs, ce qui nuit aux entreprises ainsi qu'à l'Etat emprunteur, avec pour effet une hausse importante des taux d'intérêt. Anticipant une baisse de cours, les investisseurs reportent sur le taux d'intérêt exigé le risque de dévaluation. Une probabilité de 50% d'une dévaluation dans l'année de 30% pèse donc de 15% sur le taux. C'est ainsi que les taux de la dette grecque ont pu atteindre 32% avant la restructuration de la dette grecque (ce n'était pas l'ancitipation d'une baisse de cours de change mais d'annulation de 50% de la dette imposée aux investisseurs, donc une dévaluation de l'actif).

Une fuite des capitaux aurait un effet dramatique juste avant une telle dévaluation (identique en cas de sortie de l'euro) et encore après par la méfiance persistante des investisseurs. Or la hausse de taux d'intérêt a un effet négatif sur la croissance (nuisant aux investissements des entreprises et induisant même des faillites d'entreprises fragiles) avec un effet décalé dans le temps. Donc les 1,5% de croissance gagnée pourrait être perdus dans les années suivantes

Conclusion

Comme le disait le chimiste, économiste et philosophe Antoine Lavoisier (et déjà avant lui Anaxagore), rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ...

Qu'on choisisse la dévaluation de l'euro ou une politique d'austérité (hausse des impôts et baisse des dépenses publiques pour financer une baisse de charges des entreprises exportatrices), cela  produit les mêmes effets sur la croissance, le pouvoir d'achat (en baisse) et emploi (stabilité du chômage, même pas baisse significative). Sauf qu'une sortie de l'euro ou une forte dévaluation induirait plus de méfiance, donc probablement plus de frein à l'investissement et à la croissance.

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