
Hier soir 14 avril 2016, pendant que notre président de la République François Hollande faisait son show télévisé sans aborder ce sujet et que J.L Borloo faisait une grande conférence à Vincennes sur l'électrification de l'Afrique, nous tenions aussi à Vincennes à 200 mètres de là une petite conférence-débat citoyenne sur le thème de la pauvreté urbaine, avec pour invités conférenciers Bernard Léger, responsable du Secours Catholique à Fontenay-sous-Bois, un homme de terrain aidant les personnes en difficulté et en situation de pauvreté, et Bertrand de Kermel, auteur du "Scandale de la pauvreté" et président du "Comité Pauvreté et Politique", un homme de lobbying citoyen auprès des dirrigeants et élus politiques, qui a décidé d'agir sur les causes de la pauvreté et des inégalités, plutôt que se limiter à agir sur les symptômes.
Conférence organisée par des amis du MoDem Vincennes-Fontenay-Saint-Mandé mais aucunement partisane, avec participation de Laurence Abeille, la députée EELV de la circonscription, visiblement très sensible à ce sujet. J'ai eu l'honneur d'animer la conférence et le débat.
Tout d'abord Bertrand de Kermel a rappelé la définition de la pauvreté, définition monétaire (<60% du revenu médian soit 987 €/mois), les autres approches et quelques chiffres clés édifiants : 14% de la population est pauvre, la France étant dans les plus faible face à une moyenne européenne à 17% mais pas dans les meilleurs (Norvège et Pays-Bas à 10%) , 1 million de travailleurs pauvres, 3 millions d'enfants pauvres dont 30 000 enfants SDF. En 2011 29% des gens renoncent aux soins de santé par manque de moyen (11% en 2009).


Puis Bernard Léger mentionne l'étude récente du Secours Catholique publiée ce mois-ci sur "Les inégalités qui fracturent l'Iles de France"? Vous pouvez lire l'étude complète ici et voir l'interview de Hervé du Souitch, co-auteur de l’étude. Cette étude fait notamment ressortir que :
Le taux de pauvreté des enfants franciliens s’établit au niveau régional à 24,3% en 2013 (contre 22% quatre ans auparavant), soit une progression de +2,3 points par rapport à 2009. Fin 2013, la pauvreté frappe donc en Île-de-France près d’un enfant sur quatre.
Puis Bernard Léger nous a directement mis en immersion de son expérience quotidienne au Secours Catholique (association qui malgré son nom ne pratique aucunement le prosélytisme mais applique simplement les valeurs de fraternité et d'assistance au plus faible, dans tout le respect et la dignité de la personne humaine). Sans avoir tenu de statistique, il estime sur son terrain à Fontenay-sous-Bois qu'environ 10% sont des Français vivant d'assistance, 45% d'étrangers avec autorisation de séjour et 45% sans papiers (sans autorisation). L'assistance est bien sûr alimentaire, vestimentaire (via d'autres organisations comme la Croix rouge), en aide au logement très social, administrative (adresse de domiciliation, consigne, aide aux demandes administratives et assistance juridique), sans oublier la chaleur humaine et les activités qui aide à trouver une utilité sociale, un lien social, voire à se découvrir des talents (atelier dessin/peinture, cuisine, jeux). A Fontenay, toute l'équipe est bénévole et ne dispose que de 5000 € de budget. Les associations agissent en réseaux, elles prennent en charge l'assistance aux personnes, bien plus que ne le font les collectivités locales. Bernard Léger fustige l'absurdité de la non délivrance d'un permis de séjour et de travail pour une personne ayant un travail. Il y en a beaucoup qui trouvent un travail mais sont obligées de travailler au noir, clandestinement, donc sans payer de charges sociales, sans assurance, souvent exploitées. Et les jeunes qui dès l'âge de la majorité sont frappés d'un avis d'expulsion dans leur pays d'origine où ils n'ont plus de lien depuis longtemps ! Et que dire des personnes qui n'ont même pas l'idée de demander le RSA ou incapable de faire elles-mêmes les démarches (30% des cas au moins) !
On pourrait améliorer beaucoup la situation de ces personnes en appliquant vraiment l'octroi d'une adresse de domiciliation (les CCAS déléguant souvent cela aux associations), en ayant à disposition quelques logements "très" sociaux dans les communes, en attribuant des papiers aux personnes ayant un contrat de travail, des petits boulots, ce n'est pas cela qui manque !
Enfin Bertrand de Kermel a donné sa vision de la société, de la cause de l'aggravation des inégalités et de la pauvreté. Bien sûr c'est un peu facile de fustiger un système, mais c'est un fait : ce monde centré sur l'argent et la rentabilité financière avant toute autre valeur, ce qu'on appelle le "néolibéralisme" dans la mondialisation, insuffisamment régulé, en proie à toutes les corruptions, avec ces trous noirs que sont les paradis fiscaux empêchant les Etats d'engranger des recettes fiscales nécessaires au financement des services publics, est bel et bien un problème.
Faut-il s'en accomoder en régulant mieux ce système, en évitant ses abus ? Ou faut-il changer complètement de système mais comment ?
Oui, on peut mieux réguler, mais il faut le faire au niveau mondial, il faut une réelle volonté politique. Notons des évolutions positives, grâce notamment aux lanceurs d'alerte et à Internet (PapamaPapers, Wikileaks), à une prise de conscience citoyenne, à l'engouement pour le commerce équitable, les AMAP, les circuits courts, tout ce qui concourt au respect de l'humain et de la nature, à remettre au centre plutôt que l'argent.
Selon Bertrand de Kermel, il faut mettre sur un pied d'égalité le commerce, le social et l'environnemental, un tryptique d'équilibre comme l'est la devise "liberté-égalité-fraternité" fondatrice de la république. Toute loi devrait se concevoir et évaluer les impacts sous cette triple vision. Aussi mène-t-il avec le Comité Pauvreté et Politique un combat contre les dispositions dangereuses qui sont dans le TTIP, le Traité Transatlantique de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis, que ce soit sur la prédominance du commerce sur le reste sans que le social et l'environnemental soit contraignant, ou sur le réglement des différents par voie d'arbitrage privé,ou encore sur l'opacité des négociations. Il a été écouté par le ministre du commerce extérieur Mathias Fekl, qui l'a inscrit au Comité Stratégique sur le sujet. Oui, les petites ONG actives se font parfois écouter ! Il ne faut pas désespérer...
Avec toute sa sagesse, empreinte des valeurs humanistes de Pierre Rabhi comme du pape François ou de Matthieu Ricard, Bertrand de Kermel en appelle à la fois aux politiques, qui doivent reprendre le pouvoir face aux lobbies, prendre leurs responsabilités et répondre aux attentes de leurs électeurs, et aux citoyens qui par leur vote mais aussi par leurs actes citoyens, de consommateurs, d'épargnants, d'acteurs de la vie civile, bénévoles pour des associations, ont un pouvoir extra-ordinaire s'ils changent leur comportement.
