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Billet de blog 17 octobre 2012

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Le capital déjà plus taxé que le travail !

Alors que le gouvernement envisage d'aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, c'est à dire en l'intégrant dans l'assiette de l'impôt sur le revenu, l'économiste Henri Sterdyniak, pourtant un des initiateurs du Manifeste des économistes atterrés (classés à gauche), alerte sur la fausse bonne idée du gouvernement, fondée sur une idée erronée que le capital est moins taxé que le travail.

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Alors que le gouvernement envisage d'aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, c'est à dire en l'intégrant dans l'assiette de l'impôt sur le revenu, l'économiste Henri Sterdyniak, pourtant un des initiateurs du Manifeste des économistes atterrés (classés à gauche), alerte sur la fausse bonne idée du gouvernement, fondée sur une idée erronée que le capital est moins taxé que le travail.

Ceci pourrait avoir des conséquences très négatives sur le financement et la capitalisation de nos entreprises françaises.

Dans une interview au Point datée du 2 octobre 2012, Henri Sterdyniak en fait la démonstration, en faisant des simulations de taux d'imposition économique exprimés en taux réels (gain financier hors l'inflation), comparant les taux basés sur le prélèvement libératoire sur les revenus fonciers, les dividendes et les plus-values, avant et après réforme de Sarkozy (qui les a augmentés) puis avec remplacement du taux de prélèvement obligatoire par l'intégration des revenus dans le barème de l'IR.

Le résultat ? Le taux réel peut dépasser 100% notamment sur les revenus obligataires comme les emprunts d'Etat ou des SICAV ! "Si vous êtes imposés à la tranche de 41 % sur vos revenus, les taux seront de l'ordre de 108 % sur le revenu réel d'un placement rémunéré à 4 % pour un taux d'inflation de 2 %. Pour les dividendes, il n'y a pas de changement, ils restent imposés à 58 %. Les plus-values mobilières (cession d'actions par exemple, NDLR) seront taxées à 83 %."

De plus, en termes de rentrée fiscale, notons que le revenu financier de dividendes payés a déjà été imposé au niveau de l'entreprise sur le taux de l'impôt sur les sociétés, soit 33,4%, avant que l'Etat prélève à nouveau l'impôt sur ces dividendes par l'impôt sur le revenu de leur bénéficiaire, ce qui n'est même pas compté dans la simulation.

Au final, Henri Sterdyniak juge cette nouvelle taxation du capital dangereuse, car elle incite le capital à aller ailleurs : "Les placements de taux d'intérêt ne rapporteront pratiquement plus rien. Les placements en actions, eux, rapporteront relativement peu." dit-il. "Désormais, on va avoir du mal à trouver des gens prêts à prendre le risque d'investir dans des entreprises." Les placements obligataires ou en actions, même au travers d'OPCVM (SICAV et FCP) ou de fonds d'assurance ne seront plus attrayants pour les épargnants français. Or nos entreprises se financent ou se capitalisent via ces canaux. Elles devront donc faire plus appel soit aux banques (qui les financent déjà à 80% contre 20% pour les marchés, ce qui est inverse aux Etats-Unis), soit faire appel à l'Etat via la BPI. A l'heure où les banques sont en manque de liquidité et de fonds propres et procèdent à des cessions de crédit aux fonds d'investissement (deleveraging) pour pouvoir respecter leurs ratios prudentiels, cette première possibilité est compromise. Voyons la deuxième solution :la BPI.

Pour que l'épargne des Français continue à être drainée vers l'économie, la solution alternative serait donc de les inciter à "placer leur argent à la Caisse d'Epargne, qui centraliserait cette épargne auprès de la CDC qui elle-même placerait l'argent auprès de la BPI (dont la force de frappe est prévue actuellement à 45 milliards d'euros, 60 milliards en cible, ce qui est peu et correspond à une petite banque) pour financer une grande partie de l'innovation. Ce qui est cohérent avec la hausse du plafond du livret A et du livret de développement durable", comme le dit Henri Sterdyniak. Mais le livret A avec son actuel plafond ne draine que 21 milliards d'euros annuellement (sur une épargne total de 224 milliards d'euro dégagée en 2011 sur le total du revenu disponible brut, voir cette synthèse chiffrée toute récente) et il est destiné majoritairement au financement du logement social. L'encours du Livret A s'élevait 206.6 milliards d'euros à fin juillet 2012 et l'encours du LDD à 302 milliards, comparés à un encours de 1366,2 milliards placés en assurance vie selon l'AFA (Association Française de l'Assurance). Voir le dernier rapport de la Banque de France sur l'épargne réglementée. Rappelons aussi que  l'encours total du patrimoine des Français est de l'ordre de 11 000 milliards d'euros, soit huit fois le montant de leurs revenus, dont 3/5ème correspond à du patrimoine immobilier résidentiel, les Français épargnant 16% de leurs revenus annuels en moyenne . Pour rendre efficiente une telle mesure, il faudrait relever le seuil des plafonds bien au delà et tabler sur un transfert important de l'épargne de l'Assurance-vie et des placements classiques en SICAV vers un tel placement. J'avais émis l'idée d'un tel dispositif pour financer notre dette publique (voir mon article de 2009 "l'épargne privée au secours de la dette publique"), afin de l'insensibiliser à la volatilité des taux des marchés, adoptant le même système qu'au Japon (leur dette souveraine dépasse les 200% du PIB et reste à taux très faible, financée par l'épargne des Japonais placée au guichet des postes).

Cet outil de capital-risque d'Etat logé à la BPI n'est cependant pas exempt de risque et pourrait aussi subir de lourdes pertes dans une économie en souffrance, la BPI pouvant se transformer en une gigantesque "bad bank". Elle devrait être soumise, comme les banques privées, aux ratios prudentiels de Bâle. Au final, les pertes seraient subies par l'Etat, donc le contribuable. Il ne faut pas oublier cela.

Il faudrait aussi évaluer le coût d'opportunité fiscal pour l'Etat de ne plus recevoir de recette fiscale sur cette épargne transférée vers l'épargne réglementée, s'ajoutant au déficit.

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