Selon François Bayrou et Jean-Louis Borloo, réunis samedi 18 janvier 2014 lors du congrès du Mouvement Démocrate, le tournant social-démocrate (et ajoutons -libéral) de François Hollande marqué par la conférence de presse de ce dernier marque la première secousse d'un séisme pour la gauche : la fin de l'union de la gauche initiée en 1971.
Jean-Louis Borloo et François Bayrou lors du 3e congrès du MoDem à Paris. © Martin Bureau / AFP
François Bayrou approuve ce virage très "tardif" car il faut bien le dire, François Hollande a repris quasi mot pour mot la ligne proposée par François Bayrou lors de la campagne présidentielle. Bien sûr ce sont des mots et on attend les actes ... Mais les mots sont importants car ils impriment une évolution idéologique : "C'est la clôture de l'acte ouvert en 1971 avec l'Union de la gauche. Le président de la République a prononcé les mots tabous de social-démocratie, cela a une signification très importante". "La conférence de François Hollande marque la fin d'un cycle ouvert en 1971 avec l'union de la gauche : l'idée que la dépense publique était la réponse à tout et qu'il suffisait de consacrer le système social sans le réformer." "Il s'est passé la première secousse d'un tremblement de terre", croit savoir François Bayrou, qui a qualifié ce changement d'"historique" bien qu'arrivant "trop tard". "Les ondes vont avoir une influence sur l'ensemble de la vie politique française."
Et Jean-Louis Borloo d'ajouter : "Les Français ont compris que le vieil accord socialo-communiste est mort". "Nous sommes prêts à ce débat. Est-ce que cela veut dire pour autant changer de camp? Non."
François Bayrou et Jean-Louis Borloo sont prêts à soutenir François Hollande dans une politique de l'offre, favorisant les entreprises, la création d'activité, pour créer des emplois, des vrais, pas des emplois subventionnés financés sur le déficits public mais des emplois créant de la valeur ajoutée sans grever notre déficit. Ils affirment être dans une opposition constructive, capable de dire oui au président qui pourtant s'affirme dans le camp opposé.
Pour autant, ce tournant social-démocrate-libéral d'Hollande, qui rappelle le cap fixé par de président social démocrate du SPD Schroeder en Allemagne, de même que la politique du travailliste Tony Blair au Royaume-Uni, marque-t-il vraiment la fin de l'union de la gauche ?
Tout d'abord Hollande semble avoir donné une impulsion personnelle à la politique annoncée, qui n'était pas clairement annoncée dans sa campagne présidentielle. La gauche, le PS notamment ou à tout le moins une partie de ses responsables, de ses militants, de ses électeurs, n'est pas forcément d'accord avec ces positions (réactions de Marie-Noëlle Lienneman et Hervé Maurel) même si d'autres l'approuvent sans jusqu'ici avoir osé le dire ouvertement. Les partenaires du PS dans l'union de la gauche, d'EELV comme du Front de Gauche, sont déconcertés. Hollande prend le risque qu'une majorité de la gauche se désolidarise de ses positions et n'approuve pas les propositions du gouvernement, même s'il recueille le soutien d'une partie de la droite et du centre. Pour Jean-Luc Mélenchon, Hollande a fait un choix politique de droite. Il annonce que les députés du Front de Gauche ne voteront pas la confiance au gouvernement sur le pacte de responsabilité annoncé. François Hollande devra aussi affronter la résistance des corporatismes : fonctionnaires de l'Etat et des collectivités locales, baronies des élus des régions et des départements qui ne voudront pas supprimer leurs propres postes, syndicats,... De même que la droite UMP s'en trouve également gênée car ne peut qu'approuver une ligne qu'elle réclame depuis longtemps, ses critiques portent donc sur les mensonges, les revirements du président, son incapacité à appliquer en actes les annonces et promesses, l'impossibilité selon elle de trouver une majorité dans son propre camp pour voter les décisions qui s'imposeront pour appliquer cette politique. On se souvient que François Mitterrand avait également impulsé un virage libéral en changeant d'orientation politique en 1983 soit deux ans après son élection, revenant sur les nationalisations puis s'appuyant sur la finance (le Crédit Lyonnais notamment ...), encourageant la dérégulation des marchés, les privatisations, les stocks options, avec Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius.
Il est aussi un autre sujet sur lequel la politique du gouvernement reprend peu ou prou celle de la droite anciennement au pouvoir, celui de la politique sécuritaire et d'immigration, sous la houlette de Manuel Valls. De même que la réaction de ce dernier à l'affaire Dieudonné, soutenu par le Conseil d'Etat, sacrifiant la liberté d'expression habituellement défendue par la gauche, au bénéfice d'une répression morale préventive dans un contexte de dérapage humoristique, principe contre lequel s'est élevé Jack Lang. Curieusement d'ailleurs les Femen n'ont pas fait l'objet de la même censure ...
Ensuite, même en admettant qu'une majorité du PS fasse amende honorable et constate avec réalisme que cette orientation politique est finalement la seule porteuse de potentiel de croissance et d'emplois, fasse l'aveu d'un changement idéologique, ce qui marque en effet un clivage au sein du PS et entre le PS et ses alliés politiques de gauche, n'aura-telle pas intérêt à préserver artificiellement une union de la gauche en exacerbant des sujets sociétaux, tels que la moralité, la polygamie et la liberté sexuelle du président, le statut de la première dame de France, l'adoption par les couples homosexuels, l'avortement, l'euthanasie notamment pour la fin de vie des personnes âgées, la laïcité et le port du voile, des sujets sur lesquels les alliés de la gauche s'entendent face à une droite privilégiant d'autres positions, pour cimenter à tout prix cette union ? D'ailleurs, le gouvernement vient justement sortir ce projet d'amendement sur l'assouplissement de l'avortement avec l'objectif de le considérer comme un droit public. Un hasard ?
On entrerait alors dans une période trouble marquée du sceau de l'hypocrisie, où les sujets essentiels de l'économie (chômage, emploi, croissance, dette publique, coût de la protection sociale,...) seraient montrés comme secondaires mais néanmoins l'objet d'un consensus tacite entre la majorité et l'opposition, évitant pourtant le débat essentiel pour ne pas trop y donner d'importance ni montrer les accords entre clans opposés, et où le débat politique serait focalisé sur des sujets annexes, privilégiant les sondages d'opinion confirmant un clivage gauce/droite plutôt que réflexion et débats de fond.. Pauvre démocratie !
http://www.mouvementdemocrate.fr/article/notre-mouvement-porte-une-part-essentielle-du-renouvellement-de-la-vie-politique-francaise
http://www.lepoint.fr/politique/bayrou-et-borloo-louent-le-changement-de-cap-de-hollande-18-01-2014-1781790_20.php
http://www.lejdd.fr/Politique/Bayrou-et-Borloo-veulent-batir-une-opposition-constructive-649089