Le Comité Pauvreté et Politique* alerte les citoyens et les responsables politiques, en particulier les députés européens, sur un sujet très sensible qui risque d'entraîner de graves dérives du fait d'une disposition envisagée dans le cadre de l'accord transatlantique : le recours à l'arbitrage privé pour régler les différents entre les Etats et les entreprises privées (notamment d'investissement) à l'initiative de ces dernières, si elles voient leurs intérêts compromis par des dispositions légales.
Accepterons-nous de transférer une part de notre souveraineté au profit du secteur marchand international ? La question est posée, car c’est ce qui est prévu dans les deux projets d’accords sur les échanges et les investissements Canada – Union Européenne et Etats Unis– Union Européenne.
La « foire aux questions » que l’UE a mise en ligne sur ces négociations est très claire :
http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/ttip/questions-and-answers/index_fr.htm
On peut y lire :
« Les mesures pour protéger les investisseurs n’empêcheront pas les gouvernements d’adopter des lois et ne les contraindront pas à en abroger. Elles peuvent tout au plus entraîner le paiement d’indemnisations ».
Ce qui signifie que si une Loi environnementale ou sociétale a pour effet de baisser le bénéfice potentiel d’un investisseur étranger, celui-ci pourra réclamer de forts dommages et intérêts à l’Etat concerné.
On est donc en train de légitimer politiquement et juridiquement le contrôle, par des investisseurs étrangers, de l’action des Etats européens dans le domaine de l’intérêt général. Il s'agit d'une atteinte anti-démocratique à notre souveraineté.
Pour cela, l’UE propose de court-circuiter les Tribunaux nationaux, et donc les Lois nationales, en créant un Tribunal supra national, dénommé « panel d’arbitrage », qui ne pourra être sais que par les investisseurs étrangers…C’est un tour de passe passe.
L’argument officiellement avancé ?
Dans sa « foire aux questions » elle déclare avoir la « conviction » que c’est mieux ainsi. Sous entendu : les Tribunaux européens et américains ne sont pas à la hauteur, il faut donc les contourner. Ils apprécieront ! D’autant plus qu’il n’y a aucun problème entre ces deux continents dans le domaine des investissements.
Quand on voit l'exemple de la compagnie pétrolière américaine Schuepbach, qui réclame près d'un milliard d'euros d'indemnisation à l'Etat français à la suite de l'abrogation de ses permis sur l'exploitation de gaz de schiste, il y a de quoi s'inquiéter. En l’état actuel du droit, Schuepbach est tenue de s’adresser aux Tribunaux français. Avec la brillantissime idée de la Commission, demain, les tribunaux français seront court-circuités, et les arbitres risquent aussi d’être corrompus ...
En témoigne aussi cet excellent article de Christian Chavagneux d'Alternatives Economiques : "Quand les multinationales attaquent les Etats en justice".
Est-on vraiment prêt à accepter de régler par arbitrage privé, à l'instar de l'affaire Tapie-Adidas, les différends entre Etats européens et entreprises privées américaines qui se sentiraient lésées par des contraintes normatives (sanitaires, sociales et environnementales) susceptibles de contrevenir à leurs intérêts financiers ?
Je ne suis même pas sûre que ce soit compatible avec notre constitution qui stipule que tout doit être transparent quand le bien public est en jeu ...
L’article 2060 du Code civil interdit aux personnes publiques de compromettre : « On ne peut compromettre sur (…) les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l'ordre public ».
La question a été soulevée dans le cas de l'arbitrage privé en faveur de Tapie car si le CDR a bien un statut d'entreprise privée, il est néanmoins contrôlé par un établissement public, l'EPFR, et l'argent public est bien compromis. Voir un avis juridique sur cette question.
Ci-joint le communiqué de presse du Comité ainsi qu'une note de travail plus détaillée, avec textes en référence.
* Think-Tank d'intérêt public dont l'objectif est d'agir "Pour une politique juste et efficace mise délibérément au service de l’Homme, à commencer par le plus démuni." Association reconnue d’intérêt général, présidée par Bertrand de Kermel et dont je suis membre actif.