Clearstream, littéralement "le flux limpide", est décidément plutôt un cloaque marécageux ! Quelque chose cloche depuis le début dans cette affaire : les fichiers présentés au juge Van Ruymbeke et à Dominique de Villepin étaient évidemment faux depuis le départ et ils n'ont pu que très vite le découvrir. Ceux qui les ont falsifiés ne pouvaient pas ignorer que la supercherie serait vite découverte. Or quels que soient les fauteurs de la falsifiquation, ils n'ont pas fait cela pour faire "une bonne blague", ni pour faire accuser les personnes visées dans les fichiers puisque la falsification grossière allait être découverte. C'est intéressant de réfléchir au mobile du crime, à qui profite le crime, et en quoi cette diversion nous fait oublier le crime d'origine, celui des rétrocommissions sur les frégates de Taiwan, qui vont coûter 1,5 milliards à la France.
Pourquoi la falsification était si grossière qu'elle ne pouvait être crédible ?
Clearstream est un organisme central de règlement-livraison permettant à des professionnels institutionnels (banques) de s'échanger des actions et des obligations. C'est aussi une banque tenant des comptes mais pas de comptes de particuliers. Elle ne tient que des comptes d'institutionnels (banques) qui eux-mêmes détiennent des comptes clients, et plus deux hommes ont certainement des lumières sur cette question. A l'époque où les commissions furent versées, ils étaient au coeur de la tour de contrôle gouvernementale.
Le premier, Nicolas Bazire, est alors directeur de cabinet du Premier ministre, le RPR Edouard Balladur. Il a pour mission de suivre tous les enjeux liés aux contrats d'exportation d'armement. Le second, Nicolas Sarkozy, est ministre du Budget. Les deux hommes forment un tandem au service des ambitions présidentielles de Balladur.
En 1994, DCN International créé une off-shore au Luxembourg. Cette société fiduciaire, Heine S.A., a pour but de « gérer des contrats d'ingéniérie commerciale ». En clair, de mettre de l'huile dans les rouages. En six ans, elle déclare un chiffre d'affaires de 77 millions d'euros.
En novembre 2007, le parquet de Paris explique dans un rapport dressé après enquête de la DNIF (Division nationale des investigations financières), qu'un document saisi par les policiers mentionne :
« l'aval du directeur de cabinet du Premier ministre et celui du ministre du Budget, et laisse supposer des relations ambiguës avec les autorités politiques en faisant référence au financement de la campagne électorale de M. Balladur pour l'élection présidentielle de 1995 ».
Prudent, le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, estime alors qu'il n'y a pas lieu d'étendre le champ de l'enquête à ces faits. Officiellement, ils sont prescrits."
Je vous invite aussi à lire cet article de Bakchich : http://www.bakchich.info/Fregates-le-rapport-du-parquet-de,06545.html
D'après ces articles et les pièces qui y sont jointes, notamment un procès verbal du 22 novembre 2007 en provenance du Parquet, on peut émettre l'hypothèse que N.Sarkozy ait donné son accord pour des rétrocommissions sur lesquelles il n'a aucunement intérêt à dévoiler les bénéficiaires. L'officine luxembourgeoise DCN International chargée de distribuer les commissions a pu passer par Clearstream. Un banquier avait averti d'ailleurs R.Van Ruymbeke sur la piste. Si de surcroît une partie des commissions est revenue pour financer en 1995 la campagne de E.Balladur, cela devient encore plus intéressant. L' article de Backchich explique comment le grand patron du parquet, Jean-Claude Marin, écrit "le dossier judiciaire en question contient des notes qui mettent en cause Nicolas Sarkozy et Edouard Balladur, mais elles sont naturellement « succinctes et imprécises ». Mais, ajoute le haut magistrat, il est hors de question de s’intéresser à cet aspect du dossier. Comptez sur moi, aurait pu ajouter le procureur qui rêve de devenir procureur général de Paris, pour veiller au grain !"
Je constate simplement que Jean-Claude Marin, qui est maintenant procureur de Paris, s'en est pris avant même l'ouverture des débats à Dominique de Villepin, accusant ce dernier d'être un des bénéficiaires de l'affaire Clearstream :
Je constate aussi que l'avocat de N.Sarkozy, Thierry Herzog, qui défendait Thalès dans le dossier des frégates et avait donc eu accès au dossier, aux fichiers Clearstream que l'instruction (R.VAn Ruymbeke) voulait utiliser pour remonter la piste en demandant la levée du secret sur les bénéficiaires des commissions.
Mediapart a aussi fait part des relations qu'entretenait Imad Lahoud, le falsificateur, avec le policier des RG François Casanova, lui-même travaillant pour N.Squarcini, proche de N.Sarkozy, ex n°2 des RG qui a ensuite été nommé à la tête de la DCRI. Et le dernier témoignage du Beau-Frère de D.de Villepin, Michel Piloquet, dévoilé par Mediapart est très intriguant : ce dernier a cotoyé Imad Lahoud, qui lui a proposé une stagiaire, qui s'avère être la fille de François Casanova, avant d'essayer de pirater son ordinateur en compagnie de la jeune stagiaire. Cela sent bien la manipulation, mais plutôt par des proches de N.Sarkozy !
La recherche du mobile de la manipulation et les supositions logiques sont une chose. Trouver des preuves et des témoignages en est une autre. D.de Villepin pouvait demander la levée du secret-défense quand il était au gouvernement, mais il ne l'est plus. Il faudrait demander le témoignage de Jean-Marie Boivin, ex patron des officines luxembourgeoises chargées, à coup de commissions, de faciliter la vente des gros contrats d’armement naval, qui menaçait de faire des « révélations » compromettantes. Mais qui le fera ? Qui osera revenir au dossier Clearstream1 au motif qu'il éclairerait les mobiles de l'affaire Clearstream 2 ?
Lire en complément un article que j'avais publié en septembre 2007 sur Agoravox, ainsi que quelques commentaires intéressants sur l'article. Et article de Philippe Vassé sur les bénéficiaires chinois des commissions versées par l'Etat français.