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Billet de blog 23 décembre 2010

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La vérité sur les banques et la crise

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est vrai que les banques ont leur part de responsabilité de la crise financière :

- en particulier certaines banques américaines qui ont favorisé l’octroi de prêts immobiliers « subprime » à des populations insolvables mais en gageant ces prêts sur les biens achetés dont la valeur de cessait de monter du fait de la spéculation, puis ont titrisé ces prêts pour les revendre avec profit à d’autres banques et à des investisseurs, des fonds de pension ou des fonds spéculatifs,

- en second lieu les autres banques par manque de prudence, qui ont acheté ces produits titrisés, basant leur confiance sur les agences de notation, ignorant ou négligeant les alertes que certains économistes donnaient sur le risque de bulle immobilière,

- les banques irlandaises ont en plus subi leur propre bulle immobilière en Irlande : l’avantage fiscal accordé aux entreprises (taux d’impôt sur les sociétés à 12,5%, le plus bas d’Europe) ayant provoqué un afflux d’entreprises, favorable à l’emploi mais aussi en demande immobilière, qui a fait monter les prix artificiellement, donc aussi les prêts immobiliers, entretenant un bulle qui a éclaté dès que la crise est arrivée, déclenchant des faillites qui elles-mêmes ont mis en faillite des banques,

- la crise de la dette grecque a aussi été à l’origine d’une manipulation de chiffres de l’Etat sur les conseils d’une banque, Goldman Sachs, et c’est la découverte de la sous-évaluation de la dette publique qui a déclenché brutalement le réajustement, la spéculation, la montée des taux d’intérêt etc.

Mais les banques ne sont pas seules responsables : l’Etat américain, qui a favorisé les prêts subprime et la dette privée par la politique laxiste de taux d’intérêt très bas de la FED, les agences de notation qui ont attribué des notes sans tenir compte de certains risques et même en conflit d’intérêt car payées par les émetteurs des titres pour leur notation et aussi du conseil aux émetteurs, enfin la banque centrale et les régulateurs américains qui n’ont pas correctement encadré et réglementé les banques d’investissement et les agences de notation, ont laissé proliférer un marché de gré à gré sur les CDS sans prendre la mesure du risque systémique favorisé par ces produits par le fait de la contamination rapide des risques entre banques.

Si la crise vient des Etats-Unis et d’un manque de régulation dans ce pays, il faut cependant reconnaître qu’elle n’est pas seulement conjoncturelle, elle a aussi une origine structurelle. La crise des subprimes n’a été qu’un catalyseur, une étincelle sur le baril de poudre. Elle aurait pu arriver en Europe, comme il y a eu d’autres crises, par exemple en 2001 (bulle internet), ou encore suite au scandale Enron aux Etats-Unis.

Les banques sont en tout cas dans la ligne de mire de certains économistes et de certaines personnalités politiques les estiment responsables des crises, incapables d’assumer leur rôle d’intérêt public de financement à l’économie, voire les qualifient de vampires et de prédatrices saignant les entreprises et les particuliers pour s’enrichir au profit des actionnaires, des dirigeant et des traders. Certains souhaitent leur nationalisation (Joseph Stiglitz, Paul Jorion), voire même leur faillite afin que les Etats puissent les racheter à l’euro symbolique (Frédéric Lordon). D’autres ne vont pas jusque là et prônent une séparation capitalistique entre les activités de banque de crédit et de dépôt d’une côté et activités de banque de marchés et d’investissement de l’autre côté, ou une suppression des activités spéculatives des banques, de trading et d’investissement en compte propre, assorties d’un renforcement des fonds propres, d’un encadrement des agences de notation et des fonds d’investissement, ainsi que d’une généralisation des marchés organisés avec chambres de compensation pour remplacer les négociations de gré à gré des instruments financier dérivés, pour supprimer le risque de contrepartie et garantir la transparence, évitant le risque systémique. La réforme des marchés financiers aux Etats-Unis, engagée par Barack Obama, va d’ailleurs dans ce sens. L’Europe aussi, mais avec retard

Certains chiffres abondent dans l’indécence et donnent raison à ceux qui dénoncent le vampirisme des banques et de la finance, nourrissant ainsi une haine grandissante du peuple à l’égard des banques ainsi qu’un discours politique anti-banque, anti-système, voire une théorie du complot des puissances financières dominant le monde et s’arrogeant des avantages sur le dos du bon peuple :

- malgré la crise, après avoir subi des pertes considérables, les banques ont renoué avec le profit (9 milliards d’euro en 2009, 2 milliards d’euros distribués en bonus),

- l’Etat français a apporté son aide et sa garantie aux banques, en renfort de fonds propres (prêts subordonnés ou participation au capital directe pour Dexia, BPCE et BNP) sans pour autant leur imposer en contrepartie son pouvoir de décision au conseil d’administration, qui aurait pu imposer une forte limitation des bonus, une obligation de plus prêter à l’économie et à des taux moins élevés,

- la BCE prête aux banques à un taux très bas, entre 1 et 2%, pour favoriser la liquidité, permettre aux banques de prêter à l’économie également à taux bas, alors que les banques préfèrent utiliser la liquidité pour acheter des titres de dettes publiques à taux élevé (dette grecque et irlandaise) tout en espérant la garantir de l’Europe sur ces titres (en fait ce sont surtout les fonds d’investissement qui achètent ces titres).

On entend couramment dire, et c’est repris par la presse, que l’Etat a donné de l’argent aux banques (on parle de chiffres considérables, mélangeant apport en capital, prêts, montants garantis,…), que les banques ont réduit leur financement à l’économie, qu’elles font du profit injustifié sur le dos des clients en engrangeant des marges d’intérêt importantes, maintenant des taux d’intérêt élevés à l’égard de leurs clients alors que la liquidité est fournie à 1% par la BCE ou sur le marché interbancaire.

Aussi est-il important de rétablir une vérité des chiffres, ainsi que d’expliquer la formation du profit et des risques bancaires, pour juger en toute conscience et toute lucidité, sans se laisser embarquer par de fausses idées et par un langage populiste vengeur qui cherche le bouc émissaire pour un profit surtout électoraliste.

La FBF (Fédération des Banques Françaises) vient juste de publier une plaquette « Parlons clair » (ci-jointe) pour donner des chiffres concernant notamment les aides de l’Etat français aux banques et sur les financements des banques françaises à l’économie, en volume et en niveau des taux, ainsi qu’une comparaison avec les autres pays. Bien sûr, cette vision des chiffres, montrant les banques françaises comme vertueuses, fait un peu « propagande ». Elle occulte sans doute d’autres chiffres sur les risques pris par l’Etat en garantie de prêts aux banques (même si ces garanties sont rémunérées), sur les profits des banques et sur les bonus de certains (dirigeants, traders, spécialistes en courtage et banque d’investissement).

Cependant ces chiffres de la FBF sont exacts et disent en substance que les banques françaises :

- sont solides, parmi les plus solides d’Europe,

- n’ont pas coûté d’argent au contribuable (elles ont même rapporté 2 milliards d’euros à l’Etat). De plus, une nouvelle taxe bancaire sur les salaires a rapporté en 2009 1,3 milliard d’euros au budget public. En 2011, des taxes nouvelles s’ajouteront, comme la taxe bancaire sur le risque systémique, estmée à 500 millions en 2011 et 800 millions en 2013.

- financent l’économie : les crédits sont en progression en volume (+3,6% en 2010, alors que le PIB a augmenté de 1,4%, se répartissant en

o +5,6% pour les prêts aux ménages (1026 milliards d’euros) dont +6,8% pour les crédits immobiliers et +2,5% pour les crédits à la consommation,

o +1 ;1% pour les crédits aux entreprises (776 milliards d’euros) dont +4,9% pour les TPE/PME (188 milliards d’euros), sachant que 75% des PME françaises estiment avoir reçu l’intégralité des crédits demandés (contre 63% pour la moyenne européenne)

- pratiquent les taux d’intérêt les plus bas d’Europe :

o 3,22% en moyenne sur octobre 2010,

o 3,01% en moyenne pour le crédit aux entreprises (3,38% sur les crédits nouveaux en moyenne européenne).

- sont un des premiers employeurs privés : 380 000 emplois en France, 30 000 recrutements/an ;

- améliorent en permanence les relations avec leurs clients, notamment en termes de :

o information claire sur les prix,

o prix des services bancaires modérés (dans la moyenne européenne), en baisse de -5,31% comparé à 2009,

o mobilité simplifiée pour permettre le changement de banque avec prise en charge des formalités de transfert,

o accessibilité des services bancaires aux plus fragiles, avec un compte et service de base gratuit, carte bancaire à autorisation systématique, développement du microcrédit.

Maintenant revenons à la question de la formation du profit des banques et expliquons pourquoi une banque fait du profit en temps de crise, de risques accrus, et en quoi ce profit n’est pas forcément distribuable, car doit être mis en réserve face aux risques.

Le profit, le bénéfice net après impôt, qui reste pour rémunérer l’actionnaire (dividendes) ou réinvesti dans la banque (mis en réserve, abondant le capital, les fonds propres), n’est pas un indicateur de rentabilité. C’est le rapport de ce profit sur les capitaux investi, le ROE (Return on Equity ou encore retour sur investissement) qui est l’indicateur de performance. S’il a fallu mettre beaucoup de capital pour renflouer les pertes passées ou anticiper les risques à venir, ce ROE peut être bas et démonter une faible rentabilité. Les règles prudentielles dites de Bâle imposent aux banques un niveau de capital minimum face aux risques mesurés statistiquement :

- risque de contrepartie ou de crédit, lié au risque de défaut des clients, aux faillites de ces derniers, à leur incapacité à honorer leurs dettes, mesuré en fonction de statistiques et du risque de signature du client ou de sa catégorie ; une banque fait payer dans le taux d’intérêt client un coût du risque statistique, comme le fait une société d’assurance au travers des primes d’assurances pour couvrir statistiquement le risque des dommages ;

- risque de marché sur les activités de trading ou de compte propre, mesuré selon des modèles, tenant compte de statistiques, de probabilités d’envol de cours ou de taux ;

- risque opérationnel lié aux erreurs de traitement informatique ou administratif, aux coûts judiciaires, etc.

Lorsqu’un opérateur bancaire fait un prix de crédit à un client, il obéit à une règle de manière à calculer une marge d’intérêt qui, ajoutée au taux de refinancement de base à court terme de la banque (auprès de la Banque Centrale), doit intégrer :

1- un coût du risque de contrepartie mesuré statistiquement pour ce client (perte attendue fonction du niveau d’exposition, de la probabilité de défaut, de la perte évaluée en cas de défaut) ;

2- un coût d’exploitation, de fonctionnement de la banque (en salaires, charges fixes ou variables,…) selon un barème dépendant du type d’opération, donné par le contrôle de gestion de la banque ;

3- un coût de liquidité, représentant ce que la banque doit payer sur le marché interbancaire ou financier pour se refinancer elle-même sur l’échéance de ce crédit ; il s’agit du coût des ressources global en plus du taux de base au fixing interbancaire, comprenant le coût du risque de contrepartie que la banque fait courir au marché en se refinançant sur cette échéance, indépendamment du niveau des taux du marché ; il comprend aussi les ressources à vue, ainsi une banque qui bénéficie de beaucoup de dépôts à vue non rémunérés a une ressource qui lui coûte le coût de gestion de ces dépôts.

Ce que la banque vise, c’est un ROE cible qui va satisfaire l’actionnaire (par exemple une rentabilité à 13%). Elle traduit ce ROE par client, par opération, en RAROC.

Ainsi, en période de risques élevés, quand le marché est pessimiste sur la capacité des emprunteurs à rembourser, les marges sont élevées et ceci pour toutes les banques qui utilisent les mêmes modèles. De même que la banque va budgéter un coût du risque en fonction de ces anticipations. Si les statistiques ont vu juste, que les modèles prévisionnels se sont avérés exacts, le profit de l’année suivante sera amputé du coût du risque.

Mais il y a là un biais : puisque ce n’est pas le risque initialement anticipé qui est pris en compte en comptabilité, mais un risque constaté, correspondant aux défauts de paiement constatés ou provisionnés sur une base tangible, il est possible que ce coût du risque constaté comptablement diffère du risque initialement anticipé et facturé au client. Si la banque a été trop pessimiste et a ainsi surfacturé ses clients, elle va constater un coût du risque moindre qu’attendu, tout en engrangeant quand même la marge, sans rendre l’argent au client, donc elle est gagnante et cela va augmenter son ROE. Si en revanche la banque avait été trop optimiste et que le coût du risque est plus important, la perte est pour elle. C’est ce qui s’est passé lors du déclenchement de la crise qu’elle n’avait pas vu arriver, que ce soit en termes de coût du risque de marché ou de coût du risque de contrepartie.

Pour faire face à cette procyclité, la banque devrait systématiquement mettre en réserve le gain réalisé entre le coût du risque réel et le coût du risque statistique dans les périodes fastes pour pouvoir l’utiliser pour les mauvaises périodes où l’inverse se produit, disposant ainsi d’un matelas, d’un fonds de réserve comme celui des sociétés d’assurance. Il faudrait aussi que comptablement elle puisse provisionner un risque statistique en plus du risque constaté, pour être plus en phase comptablement avec les règles prudentielles de Bâle (ce dernier point est prévu dans la réforme en cours de la comptabilité bancaire, prévue pour 2013).

En fait on peut même en conclure que les banques ont intérêt à ce que le marché soit toujours pessimiste, de manière à surmarger par rapport au risque réellement ensuite constaté !

C’est là qu’on comprend mieux le problème des bonus versés aux dirigeants et aux traders : ces bonus sont calculés sur le profit réalisé, sans tenir compte du coût du risque statistique. Donc même si les risques augmentent en même temps que le profit, les bonus croissent proportionnellement au profit. Si ensuite la banque est en perte pour risques mal anticipés, ce qui s’est passé avec la crise, les bonus dus contractuellement doivent être payés et les bonus payés dans le passé sont acquis, on ne peut pas les reprendre a posteriori. Ceci est une anomalie.

Maintenant venons-en à la question du rendement pour l’actionnaire de la banque. L’idée de l’actionnaire prédateur qui fait du profit sur le dos des clients de la banque peut être contredite par les chiffres. Ayant moi-même placé mes économies gagnées par mon salaire en épargne salariale du groupe bancaire mutualiste dans lequel je travaille, placé en actions dans la structure cotée en bourse de ce groupe, j’ai perdu pratiquement en valorisation de part la moitié de mes économies placées depuis 2003. Le cours de bourse est deux fois moins élevé qu’à son introduction en bourse. C’est le cas de tous les actionnaires qui ont fait le même placement …

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