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Billet de blog 24 juillet 2013

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Le modèle coopératif, une alternative au capitalisme et au socialisme d'Etat

Benoît Hamon, le ministre délégué à l'Economie sociale et solidaire, présente ce mercredi au Conseil des ministres un projet de loi sur l'Economie Sociale et Solidaire, qui selon lui pourrait créer 100 000 emplois. Bien au delà d'un coup de pouce à l'emploi, la valorisation de ce secteur et en particulier du modèle coopératif (de l'esprit coopératif et des structures coopératives) porte un projet de société humaniste alternatif au capitalisme (recherche du profit dans la compétition), de même qu'au socialisme d'Etat (entreprises nationalisées).

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Benoît Hamon, le ministre délégué à l'Economie sociale et solidaire, présente ce mercredi au Conseil des ministres un projet de loi sur l'Economie Sociale et Solidaire, qui selon lui pourrait créer 100 000 emplois. Bien au delà d'un coup de pouce à l'emploi, la valorisation de ce secteur et en particulier du modèle coopératif (de l'esprit coopératif et des structures coopératives) porte un projet de société humaniste alternatif au capitalisme (recherche du profit dans la compétition), de même qu'au socialisme d'Etat (entreprises nationalisées).

L'organisation coopérative est une forme d'organisation qui n'est ni capitaliste ni étatique. Elle met l'humain au centre au lieu de l'argent ou de l'Etat.

Un essai intéressant d'André Martin* sur l'histoire du paradigme coopératif en rappelle les origines, la définition, les valeurs et les principes :
"Les entreprises coopératives sont des organisations économiques et sociales originales. Elles ont pris naissance et se sont développées dans la première moitié du XIXe siècle, période de grande misère ouvrière causée en grande partie par le capitalisme organisé. Elles se sont constituées sous la pression du socialisme associationniste et, quelquefois, sous l’impulsion d’un christianisme découvrant ses responsabilités sociales. "
"Le mouvement coopératif est animé par des valeurs et des principes qui sont ses propres conditions de réussite et des aspirations qu’il souhaite réaliser dans le domaine économique. Sa prémisse de base est le respect et la valorisation de la personne humaine, comme être de liberté qui conduit à l’égalité reconnue des hommes. Il fait la promotion de l’autodétermination et du sens de la responsabilité, indispensables pour que les coopérateurs puissent assumer leurs tâches d’entrepreneurs. Il exige également la solidarité (une action commune vers un but commun) et l’équité (notion de justice dans les échanges, la distribution des biens et la perception des trop-perçus). La coopérative est donc une association de personnes régie par un pouvoir démocratique des membres, qui sont copropriétaires de leur entreprise."

J'y ai consacré un chapitre dans mon livre "La Révolution Humaniste" (Editions Salvator, Nov.2011) car je suis convaincue que la valorisation de ce modèle coopératif est une clé pour remettre les valeurs humaines au centre de la société et une alternative à la financiarisation extrême de l'économie, sans être non plus à l'opposé une solution d'économie étatique administrée et collectiviste. J'ai aussi publié en 2010 cet article sur Mediapart "Coopération plutôt que compétition : la clé pour changer de modèle de société".

L'esprit coopératif, c'est agir ensemble pour un but commun plutôt que l'un contre l'autre chacun pour soi, c'est viser dans ce but commun une finalité de développement humain, un objectif non marchand, à atteindre dans les meilleures conditions d'efficacité et de rapport qualité-prix pour la satisfaction des clients-actionnaires-salariés qui sont impliqués dans la réussite de l'objectif de l'entreprise, à la fois comme investisseurs et bénéficiaires-usagers.

La société coopérative est fondée sur la confiance en l’autre et sur la motivation de solidarité, d’aider l’autre, non de le dominer. Elle suppose une conscience et une responsabilité citoyenne, s’appuie sur un autre comportement. Mais pour que cela fonctionne, il faut non seulement que les organisations humaines, les entreprises, les organisations internationales, les nations, les partis politiques, privilégient la coopération selon cette logique, ce qu’on pourrait imposer aux structures, il faut aussi que les individus qui composent ces structures, à la fois en tant qu’usagers ou consommateurs, en tant que salariés et en tant qu’actionnaires/propriétaires, soient eux-mêmes motivés. Un usager est motivé par le meilleur service au meilleur coût, un actionnaire est motivé par la rentabilité de son placement et l’envie de soutenir l’entreprise, un salarié est motivé par son salaire mais aussi par la fierté de travailler dans une entreprise utile, respectant des valeurs et une certaine éthique, se conduisant correctement. L’approche coopérative revient à faire converger ces intérêts. L’usager est en même temps actionnaire. Le salarié peut l’être aussi.

Ce modèle coopératif peut être appliqué à différents niveaux des activités humaines et commerciales :

  • Dans le domaine associatif à petite échelle, par un groupe de personnes souhaitant construire ensemble un projet et en partager les fruits. L'Ecole pourrait même inciter les étudiants, les écoliers, à monter des associations. Des projets de quartier et de voisinage, d'écopartage (d'usage de structures communes, d'outils de jardinage et de bricolage, d'électroménager, de bicyclette, etc.). Le Vélib est une initiative procédant  également de cet état d’esprit, de mise en commun d’un matériel que les clients vont utiliser (même s’ils ne sont pas directement actionnaires, si ce n’est en tant que contribuables via les impôts locaux). Dans le domaine social, il existe déjà des crèches coopératives ;
  • Dans le domaine agricole (regroupement de producteurs) où les coopératives se sont beaucoup développées. Plus récemment les AMAP (coopératives mettant en relation directe les consommateurs et les producteurs) ;
  • Les SCOP, sociétés coopératives,  sont peu nombreuses (environ 2000 en France, pour 40 000 salariés) mais semblent connaître un regain, notamment  suite à une fermeture d'entreprises, lorsque les salariés se  groupent pour recréer l'affaire et poursuivre l'activité.
  • Les structures mutualistes dans les services comme la banque et l'assurance : elles sont déjà beaucoup développées et même majoritaires dans la banque de détail en France. Cependant, les réseaux mutualistes se sont ouverts au marché, introduits en bourse (Crédit Agricole, Natixis/BPCE,...) au travers de filiales dédiées qui même sous contrôle in fine des sociétaires, se sont mis à devoir séduire les investisseurs. Voir cet article du Monde du 18 juillet 2013 "Les banques coopératives jouent-elles vraiment leur rôle ?" ;
  • Les services partagés communs à une profession. Par exemple ils se sont beaucoup développés en France dans le secteur bancaire et financier : plates-formes d'échange de paiement ou de titres, bourse, CCP (Chambres de compensation) ; les GIE (par exemple informatiques) procèdent aussi de cet esprit coopératif. Cette approche n’est d’ailleurs pas antinomique à l’approche compétitive, car on peut voir des structures coopératives être elles-mêmes en concurrence pour un meilleur service (pas nécessairement pour le profit d’ailleurs) ;
  • Les agences de notation pourraient se développer en structure coopérative, au niveau national comme au niveau européen ;
  • les services publics : il est légitime que des services publics relatifs au bien commun et devant répondre à un équilibre des territoires (éducation publique, santé publique, infrastructures routières, gestion de l'eau, ...) soient nationalisés. Cependant certains services publics, plutôt qu'être nationalisés ou privés, pourraient relever d'une structure coopérative. Par exemple les transports ferroviaires pourraient relever d'une gouvernance impliquant plus les usagers ;
  • Un autre domaine où il serait intéressant d’envisager une structure d’actionnariat coopératif est le secteur de la presse et des médias. Si les lecteurs réguliers d’un journal ou les auditeurs de chaînes télévisées ou de médias sur Internet étaient des abonnés actionnaires globalement majoritaires, élisant des représentants au conseil d’administration qui leur rendraient compte de la stratégie, des programmes etc., l’indépendance de ces supports médiatiques serait garantie, sans que cela empêche des compléments de recette publicitaire et une partie d’actionnariat institutionnel ;
  • L'Europe pourrait aussi prendre une nouvelle vigueur, un nouveau souffle, si les pays la composant ou les entreprises et les citoyens de ces pays construisaient plus ensemble en investissant dans des projets communs, des entreprises communes, de la recherche et développement en commun, en coopération plus qu'en compétition. Malheureusement, la Commission européenne (sous l'influence anglo-saxonne très libérale) s'est trop méfiée des approches mutualistes ou coopératives, soupçonnées de "cartellisation" nuisant à la concurrence, d'entente au détriment des consommateurs. C'est ainsi que l'Europe a empêché des fusions d'entreprises européennes qui seraient devenus des fleurons et même perdu des entreprises, vendues aux Américains et aux Asiatiques (Péchiney/Alcan, Arcelor/Mittal, Alcatel/Lucent par exemple). Même la bourse Life-Euronext a fusionné avec le Nyse américain plutôt que Deutsche Börse (à présent sous domination américaine);
  • De même qu'au niveau mondial il faudrait cet esprit de coopération et des structures coopératives pour mettre en place certains projets mondiaux et pourquoi pas une monnaie mondiale (panier de monnaie) qui pourrait être utilisée à la fois pour les réserves et pour des échanges internationaux.
  • Enfin, en politique, le fonctionnement démocratique fonctionne trop comme l'économie capitaliste dans la compétition au lieu de fonctionner en mode coopératif : les partis politiques s'affrontent et attisent les conflits pour prendre le pouvoir plutôt que coopèrent pour viser le bien du pays.

La société coopérative est une société humaniste. Elle est la clé de voûte d’une approche idéologique que l’on peut appeler l’humanisme, en alternative au capitalisme et au socialisme étatique.

* André Martin : Philosophie de la coopération :
http://cursus.edu/article/5436/andre-martin-philosophie-cooperation/

Articles sur le projet de loi ESS :

http://www.20minutes.fr/economie/1191851-20130724-economie-sociale-solidaire-pourquoi-patronat-fustige-projet-benoit-hamon

http://blogs.mediapart.fr/blog/fanelie-carrey-conte/240713/le-retour-en-france-dune-politique-publique-de-leconomie-sociale-et-solidaire

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