Marie-Anne Kraft (avatar)

Marie-Anne Kraft

Abonné·e de Mediapart

365 Billets

4 Éditions

Billet de blog 24 octobre 2012

Marie-Anne Kraft (avatar)

Marie-Anne Kraft

Abonné·e de Mediapart

Des indignés aux citoyens engagés …

Face à l’injustice, à la souffrance humaine, à la destruction de l’environnement, l’indignation est nécessaire et même salutaire. Mais elle peut être récupérée par des partis populistes qui désignent les boucs émissaires, procèdent à des amalgames, proposent souvent de fausses solutions et incitent à la violence et à la destruction, si elle n’est pas immédiatement suivie d’explication, de pédagogie et de discernement, puis d’engagement dans une attitude responsable. Le Mouvement des Citoyens Engagés devrait prendre le relais du mouvement des indignés.

Marie-Anne Kraft (avatar)

Marie-Anne Kraft

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Face à l’injustice, à la souffrance humaine, à la destruction de l’environnement, l’indignation est nécessaire et même salutaire. Mais elle peut être récupérée par des partis populistes qui désignent les boucs émissaires, procèdent à des amalgames, proposent souvent de fausses solutions et incitent à la violence et à la destruction, si elle n’est pas immédiatement suivie d’explication, de pédagogie et de discernement, puis d’engagement dans une attitude responsable. Le Mouvement des Citoyens Engagés devrait prendre le relais du mouvement des indignés.

C’est le sens de mon intervention dans un récent débat auquel j’ai participé au Collège des Bernardins : « Citoyen, suffit-il de s’indigner ? ».

ETAPE 1 : LES INDIGNES

Ce Mouvement des Indignés est né d’une vague de révolte pacifiste populaire en réaction à la crise, ou plutôt à l’enchaînement des crises (crise financière, muée en crise des dettes souveraines, puis en crise économique et sociale suite  à la hausse du chômage et aux plans de rigueur et d’austérité.

Le nom des indignés a été inspiré par le titre du manifeste « Indignez-vous ! », publié en 2010 et écrit par Stéphane Hessel, ancien diplomate et résistant français.

En 2008, la crise s’est étendue à de nombreux pays, déclenchant des manifestations dans les rues, des rassemblements facilités par l’usage d’Internet et des réseaux sociaux :

  • en Islande la population refuse le sauvetage de certaines banques,
  • en Grèce le sauvetage par la troïka apparaît à beaucoup comme une condamnation du peuple qui doit payer pour des fautes dont il ne se sent pas responsable,
  • dans les pays arabes la hausse des prix alimentaires provoque les révoltes du printemps arabe,
  • en Espagne Au début de 2011, des dizaines de petits groupes protestataires ou revendicatifs dénoncent les mécanismes de la crise, le renoncement de la classe politique à défendre les idéaux des droits de l’homme, la passivité des électeurs. Ils appellent à la mobilisation et se rassemblent sous la bannière des Indignados le 15 mai sur la place Puerta del Sol.
  • De tels mouvements populaires, spontanés et cependant bien organisés, en général pacifistes, se forment également au Portugal, en Belgique, aux Etats-Unis (Les indignés « Occupy Wall Street »), en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni …

Les médias ont présenté le mouvement comme n’ayant pas de programme, ou ne portant pas de revendications claires. Or, le mouvement présente dès le départ des demandes, plus larges que des revendications visant à une amélioration ponctuelle de la situation sociale, souvent inspiré par le mouvement altermondialiste : son ambition assumée est de « changer le monde » en le rendant plus humain, plus juste, plus responsable, plus démocratique :

  • entamer une prise de conscience sur la nature oligarchique des systèmes politiques;
  • réformer le système économique et financier ;
  • lutter contre l'austérité ;
  • lutter contre la corruption ;
  • réformer les systèmes politiques ;
  • faire une révolution citoyenne ;
  • donner une place médiatique aux citoyens ;
  • exiger et créer de véritables démocraties.

Cependant, n’étant pas constitué en parti politique et reniant même la capacité des politiques à opérer ces profonds changements, refusant aussi la récupération du mouvement par des partis politiques, n’étant pas organisé selon une hiérarchie avec ses porte-parole officiels, ce mouvement s’est vite révélé comme un porte-voix anarchique de l’indignation des peuples, sans réelle avancée constructive.

ETAPE 2 : LES ENGAGES (au-delà  des partis politiques)

Il nous faut passer maintenant à une autre étape : des associations peuvent se mobiliser et s’organiser en réseau, grâce à Internet, en proposant que les citoyens eux-mêmes s’engagent et agissent, indépendamment des partis politiques pris dans leurs luttes de pouvoirs et englués dans la conservation de leurs privilèges. A elles de prendre l’initiative d’actions citoyennes qui peuvent avoir un succès retentissant sur Internet, puis relayées par les médias nationaux, permettant au citoyen de s’engager pour faire changer les choses. Le pouvoir n’appartient pas qu’aux élus politiques, qui administrent et légifèrent, mais aussi aux citoyens de la vie civile, par leurs actions de consommation, d’épargne, de participation à la vie civile, aux associations, aux syndicats etc. :

1-      le pouvoir du citoyen consomm’acteur
Le développement durable, trop souvent assimilé et limité à l'écologie, et donc au respect de la biodiversité, au développement des énergies renouvelables, sans oublier le réchauffement climatique, se décline dans le domaine social et environnemental pour les entreprises, c'est ce qu'on appelle la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Pour que les entreprises soient motivées dans cette responsabilité, il est nécessaire de développer la Responsabilité Sociale des Citoyens et des Consommateurs. Par son acte d’achat, le consommateur maximise son intérêt personnel, sélectionne le meilleur article au moindre coût, mais il dispose aussi d’un véritable pouvoir. Il peut boycotter les produits fabriqués par des entreprises polluantes peu soucieuses de l’environnement et de la santé, des entreprises qui exploitent des ressources humaines réduites à l’esclavage, voire des enfants, il peut privilégier les circuits courts en s’assurant que le producteur vive dignement de son travail, il veille aussi à préserver les emplois locaux ou les emplois du pays en achetant des produits fabriqués localement. Il existe déjà des labels, comme le bio, le commerce équitable, les labels écologiques, mais c’était insuffisant. Pour informer le consommateur sur les produits, leur origine, leur mode de fabrication, sur les sociétés fabriquant ces produits ou services, il faut passer à la vitesse supérieure : créer des agences de notation sociale et environnementale, créer de nouveaux labels, diffuser publiquement les informations sur Internet. Se sont développées des initiatives comme Novethic, pour informer le public, créer un label ISR (Investissement Socialement Responsable), réaliser des études. Les associations de consommateurs ont pris un pouvoir considérable sur les entreprises, sur les multinationales. Initialement orientées vers la protection du consommateur, dans un esprit assez individualiste et matérialiste, tourné vers la qualité des produits et les comparaisons de prix, elles peuvent étendre leurs analyses aux comportements des sociétés produisant et distribuant les produits. Ainsi, les entreprises pratiquant de l’évasion fiscale par le biais de prix de transfert, délocalisant des activités au mépris des emplois locaux, polluant à l’étranger pour contourner les normes européennes, dépensant trop en publicité en faisant payer la marque au consommateur, ont vu leur image commerciale se dégrader fortement et ont été boycottées par les consommateurs. Un cercle vertueux peut alors s’instaurer progressivement, les entreprises tenant à leur image de marque et souhaitant se conformer aux souhaits des consommateurs exigeants. Les sociétés de consommateurs pourraient constituer des actions groupées (comme les class actions aux Etats-Unis). Le patriotisme économique a son rôle à jouer, les consommateurs se sentant responsables de défendre l’emploi en France et en Europe, grâce au label indiquant la part de produit fabriqué en France et en Europe (que la marque soit française/européenne ou non), que les consommateurs ont exigé par leur action. Les délocalisations pourraient fortement baisser et des entreprises pourraient relocaliser des productions, créant des emplois. Il ne s’agit pas d’un patriotisme protectionniste, mais d’une prise de conscience que mon acte d’achat est un acte civique pour l’emploi, tout en étant plus conscient du rapport qualité-prix, privilégiant le durable, le responsable, la qualité, acceptant parfois de payer un peu plus cher pour un produit meilleur.

Sur ce sujet je conseille vivement les livres de Robert Rochefort, député européen du MoDem et ancien directeur général du CREDOC, notamment  Le consommateur entrepreneur (1997), Le bon consommateur et le mauvais citoyen,  (2007) et Produire en France, c'est possible,  (2012) avec préface de François Bayrou, tous aux éditions Odile Jacob.

2-      le pouvoir du citoyen épargnant
La Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) est progressivement mieux prise en compte par le secteur financier, avec l'Investissement Socialement Responsable (ISR). Que ce soit dans les placements d’assurance-vie, l’épargne populaire, les fonds OPCVM, de même que dans le choix de leur banque et de leur compagnie d’assurance, les citoyens doivent comprendre qu’il est préférable de favoriser les structures mutualistes et coopératives, dans l’intérêt des clients-actionnaires donc d’eux-mêmes, préférer des banques ne pratiquant pas la spéculation et n’utilisant pas les paradis fiscaux, que de nourrir un capitalisme financier, trop financiarisé, au profit d’actionnaires ne visant que le profit à court terme sans se soucier du bien commun, de la préservation des emplois, de l’environnement ou du respect des salariés. Plutôt que choisir un investissement uniquement en fonction de son rendement financier, en déléguant le choix à un tiers, l’épargnant responsable a souscrit directement des prêts à l’économie, à des projets de développement durable, à des PME locales, à des sociétés responsables, à des particuliers (microcrédit). Internet a permis de développer ces initiatives, comme Babyloan pour le microcrédit, ou encore dans des fonds labellisés, des fonds éthiques. Avec leurs dépôts à vue et avec une masse d’épargne de 5000 milliards d’euros, les Français se sont rendu compte qu’il pouvaient orienter les choix d’investissement de leur pays, ainsi que le comportement de leur banque. Devant la crise de la dette publique, exposée fortement à la volatilité des marchés, aux investisseurs étrangers (pour les 2/3), avec le risque d’une envolée des taux d’intérêt, il devenait urgent de renationaliser la dette, comme au Japon qui malgré une dette publique supérieure à 200% du PIB, les taux sont très bas car elle est financée par les épargnants. Un fonds citoyen OPCVM pourrait être créé parla CDC ou la nouvelle BPI (Banque Publique d’Investissement) pour dorénavant financer les nouvelles souscriptions par l’épargne. Un autre (ou un par région) serait créé pour abonderla BPI pour financer les PME innovantes.

3-      le pouvoir du citoyen électeur vis-à-vis de ses élus
Les citoyens, lassés des mensonges des politiciens qui ne tiennent pas leurs promesses, se sont organisés grâce à la vigilance d’associations comme Anticor et Transparency International et grâce à des sites Internet comme desintox (http://desintox.blogs.liberation.fr/). Ainsi, les élus devraient être obligés à une transparence sur leurs avantages, sur leur action, leur taux de présence, sur les financements octroyés aux associations et sur les marchés publics. Tout citoyen devrait suivre les actions de ses élus sur Internet, pas seulement au niveau local mais aussi au niveau national et européen et vérifier si ses propositions étaient crédibles, si les chiffres utilisés étaient vérifiés, si les promesses ont été tenues.

4-      Les actions citoyennes de proximité
Réalisant que le lien social s’est délité, que les voisins ne se parlent plus, que les personnes âgées sont souvent isolées, que beaucoup d’enfants ou adolescents traînent dans les rues à la sortie de l’école, que des biens d’équipements (machines à laver, outils, voitures, vélos, …) sont devenus trop coûteux pour les familles modestes, des citoyens peuvent s’organiser pour créer des bourses d’échanges de services et partager l’usage de biens communs : une laverie d’immeuble ou de quartier, le partage d’un véhicule commun, l’offre en bénévolat de quelques heures de soutien scolaire, d’assistance aux courses d’une personne âgée, de cours de bricolage etc. Une bourse de temps, offrant des points, mais sans argent.

5-      Les universités populaires
Lancées par des intellectuels comme par exemple le philosophe Michel Onfray à Caen, des conférences-débats ont été organisées gratuitement pour la population, quels que soient son âge et son origine. Généralisons ces initiatives. Des communes peuvent mettre à disposition gratuitement des salles, par exemple des préaux d’école en soirée, pour tenir ces conférences, dans des domaines diverses : philosophie, économie, histoire, culture, cuisine, informatique, technologie, atelier de langue étrangère …
Pour comprendre le monde d’aujourd’hui, pour décrypter l’actualité, pour connaître les initiatives citoyennes et contribuer à la vie publique ou associative, les citoyens se révèlent de plus en plus demandeurs de ce type de rencontres.

6-      Les corps intermédiaires
Le nom n’est pas très joli … Que signifie « corps intermédiaires » ?
Ce sont des groupes sociaux et humains, situés entre l’individu et l’État, indépendants et autonomes, constitués naturellement ou par accord délibéré en vue d’atteindre un objectif commun aux personnes qui les composent (parti politique, association, syndicat, organisation professionnelle, chambre de commerce, divisions administratives du territoire, chambres de commerce et d'industrie, voire Groupe de pression etc.). Les journalistes, qui servent d'intermédiaire entre la société civile et le pouvoir politique, peuvent également être considérés comme un groupe intermédiaire.
La crise a révélé que les pays qui s’en sortaient le mieux (Allemagne, pays nordiques), savaient mieux organiser le dialogue social, grâce à une meilleure concertation de l’Etat avec ces corps intermédiaires, les associations et les syndicats. Parallèlement, les citoyens de ces pays sont plus impliqués (taux de syndicalisation supérieur à 80% contre 8% en France). La représentation citoyenne déléguant un pouvoir à ces groupes pour défendre ses intérêts peut être un levier important dans nos démocraties. Elle est insuffisamment exercée en France, et par ailleurs exercée plus dans le conflit que dans le dialogue. Mais les choses peuvent changer grâce à une évolution des mentalités, venue de la base, des citoyens eux-mêmes.

CITOYENS, ENGAGEZ-VOUS !

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.